Selon Donald Davidson, il est possible d’expliquer l’agir humain en invoquant un modèle particulièrement simple : nos actions sont causées par nos désirs et nos croyances. Le modèle davidsonien (souvent qualifié de « causal theory » ou de « standard theory of action ») a exercé — et exerce aujourd’hui encore — une influence dominante dans la philosophie de l’action et la philosophie de l’esprit contemporaines. L’un des avantages les plus remarquables de ce modèle est bien sûr sa parcimonie psychologique. D’après Davidson et ses admirateurs, l’agir humain peut en effet s’expliquer sans que l’on doive invoquer « de mystérieux actes de la volonté, ou des formes de causalité étrangères à la science ». Durant ces quinze dernières années, le modèle davidsonien a été la cible d’un impressionnant barrage de critiques. Christine Korsgaard et David Velleman, en particulier, deux ardents défenseurs d’une approche néo-kantienne de l’agir humain, ont accusé Davidson d’avoir exclu l’agent humain de sa théorie de l’action. En effet, le simple bon sens semble nous indiquer que nos actions sont causées par nous, les agents, et non par nos désirs. Et c’est précisément cette capacité que l’agent a de causer et de contrôler ses actions — autrement dit, la capacité d’agir de façon autonome — qui différencie les êtres humains des animaux. Aux yeux de défenseurs de l’autonomie tels que Korsgaard et Velleman, le modèle davidsonien représente peut-être de façon satisfaisante le comportement animal, mais il ne dispose pas des outils conceptuels nécessaires à une représentation adéquate de l’autonomie caractéristique de notre agir. La tâche principale de la philosophie de l’action serait maintenant de combler cette lacune et d’enrichir le modèle davidsonien en y intégrant les éléments nécessaires à une approche adéquate de l’autonomie humaine. Dans un important ouvrage récent, Nomy Arpaly s’attaque aux défenseurs de l’autonomie, et en particulier à la résurgence néo-kantienne dans la philosophie de l’action contemporaine. Selon Arpaly, en effet, l’idée d’un agent autonome contrôlant ses actions et choisissant lesquels de ses désirs il va suivre est un mythe. Arpaly fonde sa critique de l’autonomie sur une analyse originale des conditions de la responsabilité morale. Pour les défenseurs contemporains de l’autonomie comme pour Kant, c’est notre capacité d’agir de façon autonome qui fait de nous des êtres moralement responsables et qui nous distingue des créatures incapables d’agir moralement. Arpaly s’inscrit en faux contre cette prémisse centrale de l’éthique kantienne. À ses yeux, un examen minutieux de nos pratiques morales révèle que notre responsabilité morale, cette caractéristique distinctive et essentielle de l’agir humain, peut s’expliquer sans l’autonomie. En conséquence, Arpaly pense qu’il convient maintenant de nous débarrasser de notre obsession pour l’autonomie, et ce, tant dans le domaine de la philosophie de l’action que dans le domaine de la psychologie morale. Les problèmes abordés par Arpaly sont à mon avis importants et méritent d’être pris au sérieux par les défenseurs de l’autonomie. Pourtant, je crois qu’il convient, en réponse à Arpaly, de repenser l’autonomie et non de rompre le lien que la tradition kantienne a établi entre l’autonomie et la responsabilité morale. La démarche d’Arpaly se fonde sur une critique radicale de l’intellectualisme, à ses yeux excessif, qui corrompt un important segment de la philosophie de l’action contemporaine. Selon la tradition kantienne, en particulier, ce sont nos capacités réflectives et discursives qui sont la marque distinctive des êtres humains et qui doivent jouer le rôle central dans une approche philosophique de l’autonomie. Ces capacités intellectuelles nous permettent de reconnaître les raisons pratiques qui s’appliquent à nous et de former des jugements normatifs sur ce qu’il faut faire. Pour les admirateurs contemporains de Kant, une action …
Appendices
Bibliographie
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