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Comptes rendus

Yves Charles Zarka, Un détail nazi dans la pensée de Carl Schmitt, Paris, Presses Universitaires de France, Collection Intervention philosophique, 2005, 96 pages.[Record]

  • Luc Vigneault

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  • Luc Vigneault
    Université de Moncton
    Campus d’Edmundston

La polémique entourant la collaboration de certains intellectuels allemands avec le régime nazi n’a rien de nouveau. Le cas de Heidegger a encore récemment été passé à la loupe par Emmanuel Faye, et le débat a été très vif. Il n’est donc pas étonnant que les écrits de Carl Schmitt apparaissent au banc des accusés. Quiconque connaît un tant soit peu le juriste et philosophe Carl Schmitt ne contestera non seulement son adhésion au parti national-socialiste allemand (NSDAP) ni ses prises de position et son engagement en faveur de l’idéologie hitlérienne mais aussi, et surtout, le fait que jusqu’à sa mort il n’exprima aucune forme de regret sur sa collaboration avec le régime nazi et la légitimité de celui-ci. Nul doute, Carl Schmitt fut bel et bien un nazi consentant et conscient des actions que ce régime présupposait. La question reste maintenant de savoir si les concepts juridiques et philosophiques de celui qui se considérait lui-même comme le fils spirituel de Hobbes ont encore, malgré ces faits, une quelconque valeur théorique. Que les idées de Schmitt aient trouvé preneur du côté de l’extrême droite n’est pas une chose surprenante. La question, plus problématique en effet, est que depuis quelque temps cette appropriation n’est plus l’unique apanage des ultra-libéraux ou des néo-conservateurs, mais de plusieurs penseurs importants de l’extrême gauche. Étonnant, mais comment comprendre une telle chose? Outre les nombreux colloques, ouvrages ou articles, récemment consacrés à la pensée de Schmitt, on trouve actuellement chez les penseurs – clés du néo-marxisme (Toni Negri, Étienne Balibar ou Giorgio Agamben, pour ne nommer que ceux-là) une réappropriation des thèses de Schmitt, réappropriation qui viendrait pallier une « crise  » de la pensée marxiste. Comment un auteur comme Carl Schmitt peut-il alimenter des discours de gauche? La « crise très profonde de la gauche postmarxiste  » offrirait-elle l’occasion à la théorie schmittienne de substituer la critique bien connue de Marx tant du « libéra­lisme, du parlementarisme, de la représentation que de la formalité des droits de l’homme »? (p. 92) Telle sera la question que pose Zarka à propos de cette surprenante polémique sur la pensée de Schmitt. Le contexte dans lequel s’inscrit le petit livre de Yves Charles Zarka est une sorte d’urgence à prendre position dans cette polémique et suit une série d’articles qu’a pu­bliés l’auteur depuis 2002 sur le sujet. La prise de position de Zarka ne prétend pas faire le tour de la question « Schmitt » — l’auteur nous annonce qu’il prépare un autre ouvrage sur Carl Schmitt — mais, au contraire, simplement prendre position dans cette réappropriation insensée. La barbarie nazie ne s’est pas mise en place sans une longue et savante préparation: loin d’être un événement accidentel, une faille dans un parcours, elle est plutôt le fruit d’une idéologie, d’un travail de la pensée qui a développé et légitimé la nécessité même de sa réalisation. Ce sont les idées comme telles, propres à ce genre d’idéologie « qui conduisent aux ténèbres que [Zarka] appelle meurtrières » (p. 10). Parmi les fabricateurs de ces idées, Carl Schmitt occupe une place privilégiée, et cela pour deux raisons: pour la réappropriation dont il est l’objet mais aussi pour la radi­calité avec laquelle il mettra sa pensée au service d’une légitimation de cette barbarie. L’essentiel de l’ouvrage de Zarka sera de cerner la principale contribution de Schmitt à l’idéologie nazie dans la définition du juif et de la race juive comme « ennemi » intérieur et extérieur du régime nazi et du peuple allemand, définition dont découlera l’exposition de la position schmittienne d’une légitimation théorique de l’élimination de cet « ennemi …