Article body

Introduction : le rôle névralgique du personnel judiciaire en matière d’accès à la justice

Le nombre de personnes contraintes de se présenter seules à la cour, sans avocat·es, est en pleine progression au Québec[1], comme ailleurs au Canada[2] et dans les pays du Nord global (Global North)[3]. En 2015, on comptait une proportion de 55 % de justiciables non représenté·es[4] (JNR) dans les principaux domaines des matières civiles[5], un nombre pouvant atteindre 85 % devant certains tribunaux administratifs[6].

La présence de plus en plus régulière de JNR devant tous les types de tribunaux et à tous les niveaux d’instance modifie nécessairement l’équilibre d’un système judiciaire contradictoire tel que le nôtre, qui repose sur le droit des parties à présenter leurs preuves et leurs arguments[7], et sur l’indépendance et l’impartialité du tribunal qui tranchera le litige[8]. En effet, les JNR peu familiers et familières avec le droit et la procédure judiciaire peuvent difficilement exercer leur droit à présenter preuves et arguments sans assistance. De surcroit, au Québec, l’offre de services juridiques gratuits ou à faible coût est restreinte, et ceux-ci ne sont accessibles que selon des critères très contraignants[9]. En raison d’un cadre juridique particulièrement rigide, quant au monopole concédé aux ordres professionnels de juristes[10], l’assistance actuellement offerte aux JNR se limite le plus souvent à l’information juridique[11], soit le fait de « donner des réponses à propos du droit en général, sur les options offertes, les processus judiciaires élémentaires et, de façon plus dangereuse, sur la façon dont le droit '“pourrait” s’appliquer ou s’applique “habituellement” »[12]. Les JNR affirment cependant ignorer comment appliquer cette information à leur situation et avoir besoin d’un soutien qui s’apparente davantage au conseil juridique[13], soit le fait de « donner des réponses personnalisées sur la façon dont le droit s’appliquerait à un cas particulier ou l’option qu’une personne devrait choisir ou le résultat probable qu’elle obtiendrait »[14]. Ainsi, les JNR se trouvent bien souvent démuni·es lorsqu’ils et elles se présentent à la cour[15].

Selon la littérature américaine et canadienne anglaise, les JNR se tournent fréquemment vers le personnel judiciaire qui oeuvre aux comptoirs des greffes et aux comptoirs d’information afin d’obtenir de l’assistance[16]. Le personnel judiciaire joue donc un rôle crucial en matière d’accès à la justice pour les JNR. Cependant, puisque la passivité est considérée comme une condition sine qua non de l’impartialité, son assistance auprès des JNR fragilise l’équilibre du système contradictoire[17]. La doctrine explore et défait l’association entre passivité et impartialité[18], affirmant au contraire que l’absence d’assistance renforce le désavantage inhérent à la non-représentation[19] des JNR, disposant disproportionnellement de moins de capital social, économique et culturel[20]. Pour plusieurs, le principe de l’impartialité devrait être interprété de manière à favoriser l’exercice des droits de toutes les parties[21].

La situation québécoise est, à cet égard, méconnue. Selon le site internet du ministère de la Justice du Québec (MJQ), le personnel des greffes « a notamment pour fonctions de recevoir les actes de procédure, documents et pièces que doivent produire les parties et les témoins; de vérifier si les dossiers sont complets et conformes aux exigences des lois; d’assermenter les témoins » et « d’inscrire tout ce qui est dit ou fait pendant l’audience »[22]. Si la capacité du personnel des greffes à aider les JNR est limitée par l’interdiction de prodiguer des conseils juridiques[23] et par la réduction considérable du personnel à laquelle ont mené les pratiques managériales des vingt dernières années[24], aucune étude québécoise ne s’est intéressée à leur travail, et, plus particulièrement, en relation avec la hausse du nombre de JNR. Or, à la lumière des constats posés dans d’autres juridictions quant à l’importance du personnel judiciaire pour les JNR, il est pertinent de s’y intéresser pour mieux comprendre son rôle en matière d’accès à la justice au Québec.

Cet article est divisé en quatre parties, la première présentant la méthode de recherche (1.). Les trois autres parties décrivent et discutent successivement, à partir des propos du personnel judiciaire, de la situation des JNR se présentant aux comptoirs des tribunaux (2.), de celle du personnel judiciaire et des services offerts par les greffes (3.), et finalement des conditions d’accès à la justice des JNR et de la nécessité d’opérer des changements en profondeur pour plus d’équité (4.).

I. Méthode de recherche

La recherche a été menée par le moyen d’entrevues semi-dirigées auprès de membres du personnel judiciaire de plusieurs tribunaux au courant de l’année 2019. Ces entrevues avaient pour objectif de documenter le travail quotidien des greffiers et greffières et de recueillir leurs expériences avec les JNR.

Vingt-sept personnes occupant une variété de fonctions au Palais de justice de Montréal (N=11), à la Cour municipale de Montréal (N=2), au Tribunal administratif du Québec à Québec et à Montréal (N=6) et à la Cour d’appel du Québec à Québec et à Montréal (N=8) ont été rencontrées pour des entrevues d’une durée d’une à trois heures. L’invitation à participer a été transmise par la direction des tribunaux, des greffes ou des services judiciaires qui m’ont envoyé, en retour, les noms des personnes intéressées. Les entrevues se sont déroulées sur leur lieu de travail, dans des bureaux permettant de garantir la confidentialité des échanges. Elles ont ensuite été transcrites, puis elles ont fait l’objet d’une analyse de contenu par le moyen du logiciel NVivo.

Les personnes rencontrées détiennent entre six mois et vingt-cinq ans d’expérience au greffe ou dans des postes similaires pour le MJQ. Plusieurs d’entre elles, surtout celles ayant cumulé le plus d’expérience, ont occupé une variété de postes, soit dans le même palais de justice, soit dans des palais dans d’autres régions ou dans d’autres tribunaux. Elles détiennent plusieurs types de formation allant de la cinquième secondaire à la maîtrise, et la majorité possède une formation de niveau collégial. Au Palais de justice de Montréal, plusieurs personnes ont été engagées avec un diplôme d’études secondaires, puis ont obtenu l’équivalence d’une formation en techniques juridiques à la suite d’un examen offert par le MJQ aux personnes à son emploi. Au Tribunal administratif du Québec, plusieurs personnes oeuvrant au greffe ont une formation de niveau secondaire, alors que la moitié des personnes rencontrées à la Cour d’appel du Québec sont membres du Barreau du Québec.

Afin de protéger l’anonymat des personnes participantes, certaines informations, telles que le district judiciaire pour les entrevues menées au Tribunal administratif du Québec et à la Cour d’appel du Québec, ne seront pas dévoilées. Puisque les équipes de Québec sont relativement petites, cette information pourrait facilement permettre l’identification.

A. Détail de l’échantillon

Au Palais de justice de Montréal, six personnes travaillant au greffe civil à l’ouverture des dossiers, dont une à titre de cheffe d’équipe, ont été rencontrées en entrevue. Elles ont pour tâches principales d’ouvrir les dossiers, d’encaisser les sommes dues et de donner des renseignements aux personnes qui se présentent au comptoir. Certaines ont déclaré parfois aider des personnes à consulter leur plumitif, ou encore y effectuer elles-mêmes des corrections. Une personne oeuvrant au greffe criminel à titre de préposée aux renseignements a participé à la recherche; ses tâches principales sont de communiquer de l’information aux personnes se présentant au comptoir, de faire signer les sentences et les conditions, d’encaisser les cautions et d’inscrire des causes sur le rôle. Une personne du service à la clientèle du greffe des petites créances a également été interviewée; en plus de répondre aux questions des personnes téléphonant ou se présentant en personne au greffe, elle a pour tâche de rencontrer les personnes en entrevue pour les aider à remplir leur demande.

Deux personnes travaillant pour le service du maître des rôles civils et pénaux, dont une comme cheffe d’équipe, ont été rencontrées en entrevue. Elles ont la charge de confectionner les rôles, de fixer les dates avec les parties et de leur envoyer des avis, de s’assurer que les dossiers qui procèdent pourront être entendus, gérant chaque jour plus de 400 dossiers. Finalement, une personne du service des jugements, occupant la fonction de greffier spécial, a également été interviewée. Cette personne rend des décisions dans les causes par défaut et prépare des projets de jugement pour les dossiers de divorce. Le tableau 1 présente le détail de l’échantillon au Palais de justice de Montréal.

Tableau 1

Échantillon – Palais de justice de Montréal

Échantillon – Palais de justice de Montréal

-> See the list of tables

À la Cour municipale de Montréal, les entrevues ont été menées avec deux personnes travaillant comme greffières-audiencières, dont les tâches principales sont de veiller au décorum dans la salle de cour, de recevoir les pièces, d’assermenter les témoins, d’assurer de l’enregistrement de chaque audience et de confectionner les procès-verbaux d’audience. Le tableau 2 présente le détail de l’échantillon à la Cour municipale de Montréal.

Tableau 2

Échantillon – Cour municipale de Montréal

Échantillon – Cour municipale de Montréal

-> See the list of tables

Six personnes oeuvrant au Tribunal administratif du Québec à titre de préposées aux renseignements, dont trois à Québec et trois à Montréal, ont été rencontrées en entrevue. Leurs tâches principales sont de répondre aux questions posées par téléphone ou directement au comptoir, d’aider à l’ouverture des dossiers et au dépôt des requêtes. Le tableau 3 présente le détail de l’échantillon au Tribunal administratif du Québec.

Tableau 3

Échantillon – Tribunal administratif du Québec

Échantillon – Tribunal administratif du Québec

-> See the list of tables

Huit personnes occupant diverses fonctions à la Cour d’appel du Québec ont accepté de participer au projet, dont quatre à Montréal et quatre à Québec : deux personnes chargées de la coordination du greffe, deux maîtres des rôles, deux greffiers-audienciers, une personne agissant comme agent de recherche et une autre, comme juriste. Les personnes responsables de la coordination du greffe ont des tâches diverses : la formation du personnel, le développement des processus du greffe, de même que des tâches s’apparentant à celle de greffier-spécial telles que statuer sur des requêtes de nature procédurale – prolongation de délai, cessation d’occuper, etc. Les personnes occupant la fonction de maître des rôles ont les mêmes tâches que celles ayant cette fonction au Palais de justice, mais peuvent également assurer une continuité de l’audience à la publication des jugements en vérifiant, par exemple, que l’ensemble des éléments de forme soient bien présents dans les décisions avant de les publier. Les personnes agissant comme greffières-audiencières sont présentes au comptoir du greffe, où elles répondent aux questions des personnes au téléphone ou en personne, puis en salle d’audience où elles remplissent les mêmes tâches que leurs homologues de la Cour municipale. La personne oeuvrant comme agent de recherche cumule plusieurs tâches, allant de la gestion du greffe numérique[25] à la fermeture administrative des dossiers, en passant par la correspondance avec les JNR. Finalement, la personne agissant comme juriste suit tous les dossiers déposés, lisant les procédures, agissant en soutien au personnel du greffe si des questions, par exemple, de nature procédurale, sont posées, s’assurant du bon déroulement des dossiers. Plusieurs personnes membres du Barreau du Québec oeuvrant à la Cour d’appel du Québec y ont occupé de multiples fonctions, dont celle d’avocat·e recherchiste dans le cadre de leur stage. Le tableau 4 présente le détail de l’échantillon à la Cour d’appel du Québec.

Tableau 4

Échantillon – Cour d’appel du Québec

Échantillon – Cour d’appel du Québec

-> See the list of tables

Le personnel des greffes rencontré, bien qu’il remplisse des fonctions diverses, a déclaré interagir régulièrement avec des JNR.

B. Analyse et présentation des résultats

L’analyse du contenu des entrevues a permis de dégager trois thèmes qui constitueront la structure de cet article : le fait que les JNR soient démuni·es et désemparé·es, les conditions de travail du personnel judiciaire et les services offerts aux JNR, et finalement les orientations actuelles en matière de services aux JNR et d’accès à la justice.

L’analyse des entrevues avec le personnel judiciaire est complétée, lorsque pertinent pour mieux comprendre le contexte, par les résultats de trois autres recherches menées sous l’égide du chantier de recherche Autoreprésentation et plaideur citoyen du partenariat de recherche Accès aux droits et à la justice (ADAJ)[26]. La première a été menée auprès de douze JNR fréquentant la Clinique juridique du Mile-End par le moyen d’entrevues de groupe complétées par de courtes entrevues individuelles organisées au courant de l’année 2017[27]. La seconde visait à documenter un projet pilote d’accompagnement à la cour découlant directement des constats de la recherche menée à la Clinique juridique du Mile-End. Durant l’année 2018, des étudiant·es ont accompagné cinquante-six JNR dans différents processus judiciaires dans le district de Montréal et ont documenté le processus par des notes d’observation et de courtes entrevues. La troisième recherche a été menée par sondage auprès de JNR au Palais de justice de Montréal, à la Cour municipale de Montréal et au Tribunal administratif du logement (TAL)[28] à Montréal entre les mois de janvier et d’avril 2019 et a obtenu la participation de 332 personnes, dont 38 % au TAL, 32 % à la Cour municipale et 30 % au Palais de justice. L’objectif de ce sondage de dix questions, mené directement dans les couloirs des tribunaux, était de documenter les moyens utilisés par les JNR pour se préparer aux différentes étapes judiciaires, ainsi que de recueillir leurs expériences et commentaires. En plus de répondre aux questions du sondage, les personnes répondantes pouvaient formuler des commentaires qui ont également été consignés.

En l’absence de recherches québécoises sur le travail des greffes, et sur le rôle du personnel judiciaire auprès des JNR et en matière d’accès à la justice en général, je m’appuierai également sur les résultats de recherches menées aux États-Unis et au Canada anglais. Bien que le contexte québécois soit spécifique, tisser des liens avec cette littérature extraprovinciale est pertinent pour approfondir et mettre en perspective les résultats de recherche.

C. Limites de la recherche

Deux limites sont à souligner. La première concerne le fait que la recherche a été menée en majorité dans le district judiciaire de Montréal, et en totalité dans deux grands districts urbains. Il n’est pas exclu que la situation des JNR et du personnel judiciaire puisse être différente dans des districts plus petits ou ruraux, où le volume est moindre et où les demandes formulées par les JNR pourraient être différentes. Comme il n’existe pas de littérature québécoise sur ces sujets, il est impossible de prendre la mesure exacte de ces différences et de leurs conséquences sur la recherche. La seconde limite concerne l’absence d’entrevues menées auprès du personnel du TAL où le volume est le plus important, où la proportion de JNR atteint 85 %[29] et où le personnel judiciaire offre une certaine assistance. Bien qu’invitée à participer à la recherche, la présidence du TAL a refusé par manque de temps, ce qui ne permet pas d’intégrer la situation et les pratiques particulières de ce tribunal dans les résultats de recherche.

II. Des justiciables non représenté·es démuni·es et désemparé·es

Peu importe son lieu de pratique, le personnel judiciaire rencontré rapporte unanimement une augmentation « assez marquée »[30] du nombre de personnes non représentées. Alors qu’il affirme que des JNR se présentent tous les jours aux comptoirs de service et représentent dans certains cas « le tiers de la clientèle »[31], les personnes informatrices les plus expérimentées affirment « qu’il y a un temps, on ne voyait pas ça »[32].

L’analyse des entrevues révèle que les JNR se présentant aux différents comptoirs de service se trompent régulièrement d’endroit, confondant, par exemple, Palais de justice et Cour municipale. Certaines personnes ne savent tout simplement pas quel tribunal est compétent dans leur dossier, et se présentent, par exemple, à la Cour d’appel pour faire appel d’une décision du TAL, sans connaître la compétence d’appel de la Cour du Québec[33]. D’autres encore « viennent au comptoir [du greffe civil du Palais de justice], et ils ne savent même pas qu’ils sont en Cour. Ils pensent qu’ils sont au ministère de la Justice. Et ils demandent justice »[34]. Le personnel du TAQ constate le même phénomène, lorsque des JNR les contactent, en personne ou au téléphone, pensant s’adresser à un·e fonctionnaire de l’autorité administrative avec laquelle ils ou elles sont en conflit[35]. Une personne rapporte :

Quand ils ont reçu, par exemple, une décision d’un ministère, ils nous appellent, puis la plupart des gens, même si on s’appelle « le Tribunal administratif », ils ne comprennent pas encore qu’il va falloir qu’ils passent devant le juge. Puis là quand on leur parle un peu du formulaire à remplir, quand on mentionne qu’ils peuvent être représentés par un avocat, là tout de suite tu sens un peu le stress. Les gens sont là : « Ah, je ne savais pas que c’était aussi sérieux que ça »[36].

Le personnel judiciaire responsable de renseigner les JNR ou en charge de l’ouverture des dossiers explique que, le plus souvent, les JNR « ne sont pas informés du tout, du tout, du tout »[37], voire ont reçu « de la mauvaise information »[38], ce qu’ont confirmé les JNR interrogé·es dans le cadre de mes autres recherches[39]. À la Cour d’appel plus particulièrement, le personnel constate que « certaines personnes ne comprennent pas c’est quoi un appel. Il y en a qui pensent que : ils ne sont pas satisfaits du jugement de première instance, fait qu’ils vont aller en appel puis le juge va aller dans leur sens »[40]. Il n’est donc pas rare que les JNR, qui communiquent avec les greffes au téléphone, par courriel ou en se déplaçant en personne, sollicitent répétitivement le personnel à travers les étapes du cheminement de leur dossier. Le personnel rapporte que des JNR « envoient des courriels sans cesse »[41] ou « reviennent [au comptoir] pendant plusieurs semaines »[42], ayant l’impression qu’« ils pensent qu’on est comme dans un centre d’appel, comme chez Bell ou chez Vidéotron »[43]. Alors qu’il est surmené, le personnel doit répondre à des questions de toute sorte, ce qu’illustre cet extrait d’entrevue :

Ils appellent : « Ah, j’ai une audience demain, comment ça fonctionne ? Comment je m’habille ? Est-ce qu’il faut que je mette une cravate ? » Ça, c’est une question qui est souvent posée : « Comment je m’habille ? » Puis, il a même fallu que j’explique à quelqu’un c’était quoi une tenue de ville. La personne, elle ne savait même pas ce que ça voulait dire[44].

Les informateurs et informatrices rencontré·es dans le cadre de cette recherche rapportent qu’il faut souvent de nombreuses minutes pour communiquer une information simple sur les démarches à faire pour ouvrir un dossier, par exemple. Il arrive également qu’ils et elles soient incapables de faire comprendre aux JNR les prochaines étapes à entreprendre et soient désemparé·es au point de devoir demander de l’aide à un ou une collègue :

Les greffiers sont comme : « J’en peux plus, je suis plus capable. Je ne suis plus capable de lui faire comprendre, ça fait 10 minutes qu’elle est au comptoir, est-ce que tu peux venir s’il te plaît, intervenir, parce que je ne suis plus capable de rien faire avec la personne, elle ne m’écoute pas ». Puis là des fois, ça me prend moi-même un autre dix minutes[45].

Le personnel travaillant à la Cour d’appel souligne qu’il n’est pas rare que des JNR se déplacent de très loin[46] pour se présenter au comptoir et doivent repartir bredouilles, sans avoir réussi, par exemple, à ouvrir leur dossier en raison de documents manquants.

Dans tous les tribunaux, le personnel rapporte que les JNR ont de la difficulté à constituer leur dossier, notamment à remplir les formulaires et les documents légaux. En matière civile plus particulièrement, les JNR « ont de la difficulté à ouvrir des dossiers »[47], remplissent leurs documents « tout croche »[48], et « viennent avec des demandes incomplètes »[49]. Les personnes ayant participé aux entrevues déplorent à cet égard que beaucoup d’informations essentielles à l’ouverture des dossiers judiciaires ne soient pas disponibles sur le site internet du MJQ ou dans des documents distribués dans les tribunaux. Le personnel de la Cour d’appel rapporte avoir, dans les dernières années, développé des aide-mémoires[50], des listes de contrôle[51] et une page de réponses aux questions les plus fréquentes[52] qui permettent de pallier certaines de ces insuffisances. Au TAQ, depuis 2018, des techniciens et techniciennes juridiques soutiennent les JNR au téléphone dans la préparation de leur dossier.

Il n’est cependant pas rare que le personnel, qui affirme « ne pas pouvoir refuser de prendre une procédure »[53], ouvre des dossiers et fasse payer les tarifs judiciaires associés, tout en sachant qu’ils ne pourront pas cheminer parce qu’ils sont incomplets. Selon certaines personnes, cette pratique relève de l’accès à la justice :

On ne peut pas refuser aucune demande. Donc, si la personne insiste de présenter la demande comme telle, il faut lui donner un numéro, il faut procéder à l’ouverture de la demande, même si on sait que, après ça, ils vont recevoir des avis de dossier incomplet parce que ce n’est pas complètement rempli ou il manque des documents nécessaires. Mais le principe c’est de ne pas refuser les personnes d’accéder à la justice. Ça, c’est très clair pour nous[54].

L’ouverture de dossiers incomplets entraîne des délais supplémentaires pour les JNR, puisqu’un tel dossier « reste sur les tablettes, puis il n’y a jamais rien qui se passe »[55]. Le personnel judiciaire rapporte également que lorsque les JNR contactent le greffe pour savoir pourquoi leur dossier est incomplet, il est impossible de leur répondre puisqu’il s’agit de conseils juridiques qui relèvent en exclusivité des membres du Barreau ou de la Chambre des notaires. Les JNR doivent donc trouver, elles ou eux-mêmes, ce qui est incomplet dans leur dossier et remédier à la situation. Un greffier-audiencier de la Cour municipale de Montréal affirme au sujet de l’incapacité des JNR à constituer leur dossier : « J’ai vu beaucoup trop de monde être pris tout seul à ne pas savoir »[56]. La difficulté à obtenir une information précise a été rapportée par les JNR ayant participé au sondage que j’ai mené dans les tribunaux, qui décrivent le Palais de justice comme un « labyrinthe », affirment être « confus du fait que personne ne soit en mesure de [les] aider » et déplorent le rôle limité du personnel des greffes[57].

Le personnel judiciaire rapporte également qu’il arrive que des JNR ouvrent des dossiers dans le mauvais tribunal ou manifestement hors délais. Suivant la logique rapportée plus haut, il accepte tout de même de les ouvrir. Un préposé aux renseignements du TAQ explique : « J’ai une personne qui s’est présentée au comptoir, qui voulait absolument déposer une requête contre la Régie du logement. Ce n’est pas ici, la Régie du logement. Ils insistent; “OK, on va le prendre.” Au bout du compte, on va le prendre »[58]. Pour plusieurs des personnes rencontrées, il ne leur revient pas de déterminer si une demande est recevable ou non. Il appartient plutôt aux juges, après que les dossiers ont cheminé jusqu’à une audience, d’annoncer aux JNR qu’ils ou elles se trouvent au mauvais endroit, ou encore sont hors délais, comme l’explique une informatrice :

Le client qui vient porter la requête, on ne [le] juge pas. On regarde si tout est là, le nécessaire est là, parfait. On donne la date, merci, bonsoir. On n’est pas des juges puis on n’est pas payés pour décider si sa requête est recevable ou elle ne l’est pas. Ce n’est pas dans notre mandat, ce n’est pas à nous à décider. Les juges sont payés 300 000 et plus, c’est à eux autres, qu’ils fassent leur job[59].

À la Cour d’appel, bien que le personnel du greffe confirme qu’il ne lui revient pas de dire à une partie qu’elle ne se trouve pas dans le bon tribunal, des mesures particulières peuvent être mises en place en matière criminelle, en raison des droits fondamentaux en jeu et des délais de rigueur. Ainsi, une informatrice affirme :

Je ne peux pas lui dire : « Vous n’êtes pas au bon endroit ». Il faut qu’il soit capable, dans mes informations, de détecter qu’il n’est pas au bon endroit. [Mais] quand c’est en matière criminelle puis qu’il serait dans son délai d’appel puis qu’il y a des droits fondamentaux… En consultant les avocats [du greffe], ça arrive qu’ils me réfèrent : « On va mettre ça entre les mains d’un juge, puis il va lui répondre »[60].

Ces nombreuses embûches ont pour effet qu’il « peut être très long pour [les JNR], quelquefois, d’obtenir un jugement »[61], d’autant plus que les procès peuvent se dérouler assez difficilement. Pour une greffière-audiencière de la Cour municipale, « la vraie problématique, c’est quand ils sont rendus à procès sans avocat. C’en est parfois même ridicule, je dirais »[62]. Dans la même veine, des JNR rencontrent de la difficulté à faire exécuter leurs jugements et se tournent de nouveau vers le personnel judiciaire pour être informé·es et appuyé·es.

Les informateurs et informatrices rapportent que les JNR sont souvent « désemparés »[63], « désespérés »[64], « découragés »[65], « au bord de la crise »[66], ce que confirment les entrevues menées avec eux et elles[67]. Si le personnel judiciaire doit parfois composer avec des insultes, des cris, des « courriels pas très gentils »[68] et « des propos racistes »[69], il lui arrive également « d’être mis devant la misère humaine »[70] et de devoir gérer une réelle détresse psychologique. Des JNR téléphonent ou se présentent aux greffes en pleurs, racontant s’être fait saisir maison et voiture ou ne plus pouvoir voir leurs enfants. Dans ces cas, il arrive parfois que le personnel judiciaire tente de trouver par lui-même des ressources vers lesquelles les diriger :

J’en avais parlé avec mon directeur. On avait regardé sur internet, je pense, puis il y avait aussi le service d’aide au palais de justice, que j’avais contacté. Ils n’avaient pas pu vraiment m’aider. Je ne me souviens plus si j’avais appelé le CLSC, mais j’avais dit : « Ah, peut-être que vous devriez appeler au CLSC de votre quartier, il y a probablement un service au niveau de la… » Mais je n’avais rien qui me disait où consulter, qui aller voir. Je n’avais rien, je n’avais aucune ressource à leur donner. Le ministère [de la Justice] ne fournit pas des ressources quand quelqu’un du public nous appelle puis parle de détresse psychologique[71].

La présence de plus en plus fréquente des JNR dans les tribunaux québécois exerce une importante pression sur le personnel judiciaire qui décrit les greffes comme « la porte d’entrée » des services judiciaires. Après une réduction substantielle de ceux-ci dans les dernières années[72], au profit des ressources en ligne, c’est le personnel judiciaire qui en subit les conséquences.

III. Un personnel judiciaire débordé, des services inégaux et insuffisants

Sans surprise, le personnel judiciaire rapporte qu’il est « très, très éprouvant d’un point de vue psychologique, d’être au comptoir à l’ouverture de dossiers »[73]. Alors que les JNR ont « besoin d’être écoutés »[74] et d’être « mis en confiance »[75], plusieurs membres du personnel disent ne pas « être outillés »[76], ne pas être des « psychologues »[77]. Ce travail d’écoute et de soutien — qui relève de l’intervention sociale — est chronophage et ajoute au « surplus de travail lié à une baisse d’effectifs »[78] rapporté par toutes les personnes participantes[79]. À la Cour d’appel, le problème est particulièrement criant :

Les greffiers, il y a un gros roulement d’emploi depuis cinq ans. C’est difficile d’avoir des greffiers pour plusieurs raisons. Il faudrait parler au Conseil du trésor… Les conditions de travail sont difficiles. Le salaire n’est peut-être pas assez grand pour la lourdeur de leurs tâches. Ce sont des grosses tâches qu’ils ont, les greffiers. Ils ont de la pression de partout, que ce soient des personnes qui se représentent seules, des avocats, des juges, puis même de l’interne, des coordonnateurs. […] La fonction publique québécoise a de la difficulté avec la rétention d’emploi, surtout pour les techniciens juridiques parce qu’il n’y en a pas beaucoup puis il y a beaucoup d’avocats. Donc là, ça fait qu’on engage des avocats qui vont être ici six mois, un an, et là, il[s] part[ent], et là on doit former quelqu’un d’autre. Donc la personne qui a le plus d’expérience au greffe en ce moment, a un an d’expérience[80].

En entrevue, le personnel judiciaire affirme être sous pression, débordé et à bout de patience[81] : « on est tout le temps dans le feu de l’action »[82], « le téléphone sonne sans arrêt »[83], « ça nous gobe l’énergie, puis la patience »[84]. Bien qu’elles tentent d’aider les JNR autant que possible, les personnes rencontrées en entrevue affirment du même souffle que cette assistance est une « perte de temps »[85] puisqu’elles ne sont pas en mesure de leur offrir les services dont ils et elles ont réellement besoin, soit des conseils juridiques[86]. Affirmant être tenu par le devoir d’impartialité incombant aux tribunaux[87], ne pas pouvoir empiéter sur le travail des avocat·es[88] ou vouloir engager sa responsabilité professionnelle[89], le personnel judiciaire n’est autorisé qu’à communiquer une information très générale y compris les membres du Barreau[90] : « j’ai les mains liées »[91].

Interrogées sur la différence entre information et conseil juridiques, les personnes rencontrées en entrevue fournissent des réponses bien différentes, parfois très vagues[92], certaines affirmant que « c’est dur à dire »[93]. Par exemple :

Il y a des choses que je faisais avant, puis que mes collègues me disaient : « Hey, tu n’es pas supposée de dire ça ». Moi, de référer quelqu’un à l’Ordre des psychiatres dans ma tête, ça ne tombait pas dans le conseil juridique, puis c’est par la suite qu’on m’a dit : « Ah, tu ne peux pas leur dire ça. Il faut que ce soit un avocat qui le fasse ». Fait que, encore là pour moi, elle est vraiment floue cette ligne de ce qui est un conseil juridique ou pas. J’aurais vraiment de la misère à répondre[94].

Si la limite entre les concepts d’information et de conseil juridiques n’est pas la même pour toutes et tous, les membres du Barreau semblent en avoir une conception généralement plus précise[95]. Les avocat·es étant plus nombreux et nombreuses à travailler au greffe de la Cour d’appel que dans les autres tribunaux, il semble y avoir généralement plus de constance dans l’offre de services dans ce tribunal que dans les autres tribunaux étudiés. Ainsi, une personne oeuvrant au greffe civil du Palais de justice de Montréal constate « que tout le monde n’est pas capable de donner la même réponse sur c’est quoi un conseil juridique versus donner de l’information » et affirme qu’une formation sera bientôt offerte au personnel des greffes du Palais de justice pour harmoniser les pratiques[96].

Pour plusieurs personnes, l’information juridique est définie a contrario du conseil, qui est « ce que l’avocat peut faire »[97]. Le conseil juridique est défini comme « aussitôt qu’il faut qu’on dépasse de l’information qui est publique »[98]. Dans ce sens, « expliquer la loi »[99], « interpréter une disposition, une décision ou des conclusions »[100] ou « dire : “À votre place, je ferais ça” »[101] constituent des conseils juridiques. Alors que pour certain·es, l’information juridique est « très technique, se limite au type de document et au tarif »[102], d’autres estiment pouvoir aider les personnes à faire des recherches dans le plumitif, les informer sur les recours possibles, expliquer « le déroulement de la procédure et comment rédiger les documents »[103], lister les pièces à déposer pour ouvrir un dossier, ou encore « dire [aux JNR] si leur recours a été rejeté ou accueilli […], surtout s’ils n’ont rien compris de la décision »[104]. Au Palais de justice et à la Cour municipale, les personnes rencontrées rapportent des pratiques informationnelles divergentes, qui se cristallisent dans des services différents pour les JNR selon le personnel à qui ils ont affaire[105]. Par exemple :

« Est-ce que vous voulez faire une conférence à l’amiable ou une médiation ? » Les gens nous demandent : « C’est quoi la différence ? » Techniquement, on ne peut pas le dire parce que dans le Code de procédure, ça explique c’est quoi une conférence à l’amiable puis une médiation. Au début, je le disais parce que je ne savais pas qu’on ne pouvait pas le dire. Pour moi, c’est une question simple[106].

Une personne précise : « supposons qu’on a un couple d’un certain âge, ils ont été mariés puis c’est évident que Madame pourrait avoir droit à une pension alimentaire, mais je ne peux pas lui dire ça. Tu ne peux pas prendre pour une partie plus que l’autre »[107]. Une autre ajoute :

On n’a pas le droit, nous, de les orienter vers telle ou telle chose. Mais moi personnellement, si quelqu’un arrive [et] il y a des procédures qui sont faisables, comme une rétraction de jugement, donc moi je vais lui donner l’information à la personne : « Vous avez [le] droit de présenter une rétractation de jugement, pour présenter votre rétractation, étant donné que vous n’étiez pas là le jour du jugement, la loi vous donne ce droit-là ». Mais je ne rentre pas dans les détails. Nous avons un formulaire, nous avons des paiements, voilà ce qu’il faut faire[108].

Le même phénomène est observable au Tribunal administratif du Québec, où le personnel du greffe rapporte des pratiques informationnelles diverses. Cependant, le service de préparation pour les JNR, par lequel des technicien·nes juridiques font des « appels téléphoniques personnalisés » pour leur expliquer comment se préparer, permet éventuellement de pallier ces différences et aux JNR d’obtenir des services équivalents.

La situation est quelque peu différente au greffe de la Cour d’appel où une plus grande proportion d’avocat·es travaillent, où le volume est moins important et où une personne désignée alloue environ 25 % de son temps à la correspondance avec les JNR. Le personnel évalue les situations « au cas par cas » pour faire « des interventions personnalisées »[109] en fonction des situations et de la compréhension que les JNR ont du droit et des exigences procédurales de l’appel. Le personnel du greffe correspond avec les JNR par la poste, par courriel ou par téléphone, parfois à de nombreuses reprises, et remet souvent les modèles, aide-mémoires et règlements de la Cour, en « faisant des choix dans les outils »[110] de manière à orienter les JNR.

Malgré ces interventions personnalisées, des différences notables existent également ici en termes de services disponibles, mais aussi en matière de dispense, en fonction de l’interprétation que le personnel judiciaire a de ses pouvoirs. Ainsi, en plus des délais de rigueur dont j’ai parlé plus haut et sur lesquels il ne se prononce pas, le choix du moyen d’appel et l’absence de notification adéquate peuvent être fatals. Les personnes rencontrées en entrevue disent renvoyer les JNR vers les textes de loi, mais souvent sans succès. Si elles se disent toutes préoccupées par la préservation des droits des JNR, ici aussi certaines ont une conception plus conservatrice de ce que l’information juridique leur permet de faire. Par exemple, une greffière affirme pouvoir « aller jusqu’à dire qu’il est possible de présenter une requête pour permission de bene esse, si tu n’es pas certain [entre une permission d’appeler et un appel de plein droit en matière civile] »[111]. Une autre explique que les JNR ne signifient souvent pas correctement les procédures, que ce soit par incompréhension ou parce qu’ils ou elles « ne veulent pas engager les frais d’huissier qui sont des centaines de dollars »[112]. Au contraire de sa collègue, elle rapporte ne pas donner d’information sur les possibilités ou sur les manières de les mettre en oeuvre : « C’est tellement difficile de leur faire comprendre que, un, je n’ai pas le droit de leur dire comment faire, et, deux, je n’ai pas le droit de leur donner l’information qu’ils peuvent demander un mode spécial de signification »[113].

En plus de ces différences, les avocat·es oeuvrant au greffe détiennent un pouvoir discrétionnaire de dispense du greffier[114] qu’ils et elles exercent en application des règlements de la Cour d’appel pour accepter des procédures qui ne correspondent pas aux exigences de forme, en raison, par exemple, de l’interligne, des marges ou de la police qui ne sont pas respectées, mais aussi de questions de fond[115]. Les avocat·es rencontré·es en entrevue affirment exercer régulièrement ce pouvoir discrétionnaire, ne pouvant pas exiger la même rigueur des JNR que de leurs confrères et consoeurs, considérant également les coûts liés à la production d’un mémoire d’appel qui doit être déposé au greffe en cinq exemplaires. Ici aussi, l’évaluation des situations et les décisions se prennent au cas par cas :

Je ne peux pas exiger d’un monsieur — comme c’est arrivé récemment — ça ressemblait à ça [un classeur en désordre] puis ce n’était pas tout à fait clair ce qu’il avait déposé, mais il était désemparé, il avait les larmes aux yeux. C’était très émotif pour lui. Je me suis posé la question : « Est-ce que je suis capable de travailler avec ça ? Est-ce que les juges vont être capables de travailler avec ça ? » La réponse, c’était oui. Ça ne respectait pas du tout nos règles, mais je le dispense. C’est moi qui l’assigne, puis si les juges ne sont pas contents, c’est sûr que — ça n’est jamais arrivé — mais je devrai expliquer pourquoi j’ai utilisé la dispense du greffier. Mais je pense qu’il y a quand même un gros bon sens à tout ça aussi, puis je ne peux pas exiger ça [un mémoire produit par une compagnie], qui coûte excessivement cher[116].

Il arrive régulièrement que les JNR déposent « un tas de feuilles »[117] en guise de mémoire. Le personnel du greffe se sert alors d’une liste de contrôle pour déterminer quels documents sont recevables. Une fois les documents recevables sélectionnés, ils sont analysés de manière à « déterminer que, dans les documents qui nous ont été transmis, leur intention [des JNR] était d’interjeter appel de telle chose »[118], puis à leur donner des indications claires sur les prochaines étapes à suivre. Dans certains cas, la base de l’appel n’est pas claire au point où il n’est pas possible de savoir s’il s’agit d’un appel en matière civile ou criminelle.

La situation des JNR détenu·es, que ce soit en établissement correctionnel ou hospitalier, fait l’objet d’attention et de démarches plus importantes et soutenues de la part du personnel du greffe de la Cour d’appel[119]. La Cour d’appel a développé un programme avec Justice Pro Bono[120] grâce auquel, en matière de soins, les JNR qui n’ont pas accès à l’aide juridique peuvent, dans certaines circonstances, avoir accès aux services d’un·e avocat·e, en personne ou par téléphone. Pour permettre aux JNR d’accéder à ce programme, le personnel du greffe doit faire des démarches auprès de Justice Pro Bono.

Puisque les JNR détenu·es ne peuvent non seulement pas se déplacer, mais ne peuvent également pas recevoir d’appels téléphoniques ou de courriels, que leurs délais d’appel sont courts, et que les droits en jeu sont fondamentaux, le personnel judiciaire prend des initiatives qu’il ne prend pas autrement. Par exemple, une greffière raconte avoir envoyé par la poste à un JNR en détention qui ne savait pas ce qu’est un mémoire, « un exemple de mémoire, j’avais imprimé la procédure, je l’ai mise dans une enveloppe, je lui ai posté. Je me suis dit : “Au moins, il aura un exemple”, puis il nous a finalement envoyé un mémoire. Sommaire, mais quand même »[121]. Dans d’autres cas, les JNR détenu·es vont « rédiger deux, trois pages, manuscrites : “Je veux faire appel avec ça” »[122] et le personnel tente de trouver un moyen d’ouvrir le dossier rapidement, de manière à préserver le droit d’appel.

Puisque le jugement de première instance est nécessaire pour inscrire l’appel sur le rôle, mais que bien souvent les JNR détenu·es n’y ont pas accès, il revient aux greffiers et greffières de la Cour d’appel de faire les démarches pour en obtenir copie. Une difficulté majeure est que les greffes de première instance, au contraire du greffe de la Cour d’appel, n’acceptent pas les appels à frais virés : les JNR en établissement de détention ne sont donc pas toujours en mesure de communiquer avec le greffe pour obtenir leur jugement. De même, le personnel des greffes de première instance refuse bien souvent de transmettre les jugements aux JNR détenu·es à la demande des greffiers et greffières de la Cour d’appel, prétextant qu’il s’agirait d’un conseil juridique. Dans ces cas, le personnel du greffe de la Cour d’appel remplit les formulaires de demande de transmission de jugement et les envoie au centre de détention en disant : « Il faut que vous signiez le formulaire, il faut que vous l’envoyiez au greffe de première instance, à l’attention de telle personne puis à tel numéro de télécopieur »[123]. Dans d’autres cas, il cherche lui-même dans le plumitif :

Mettons que je n’ai pas de numéro de dossier de première instance : il y a-tu eu un jugement, c’est quelle date, c’est quoi la nature de ce dossier ? Des fois je n’ai rien, puis là, mettons qu’on l’appelle Jean Tremblay. Fait que là, je vais faire une recherche avec son nom dans le plumitif, puis là je vais voir un Jean Tremblay, ou il a-tu d’autres dossiers criminels ou c’est quoi ses accusations[124] ?

Des démarches similaires sont faites pour l’obtention des transcriptions. Dans le même esprit, depuis quelques années, le greffe de la Cour d’appel n’exige plus que les JNR détenu·es notifient leurs procédures et s’en charge lui-même :

Avant, on exigeait qu’il les notifie. Puis on refusait des procédures. Les techniciennes disaient : « Ce n’est pas notifié ». Puis là le détenu disait : « Bien là, “notifier”, premièrement, ça veut dire quoi ? » Puis là on disait : « Vous pouvez l’envoyer, voici les façons… » — « Mais c’est impossible, je suis détenu. Comment tu veux que j’envoie ? » […] Aujourd’hui, c’est nous qui envoyons les procédures au ministère public. On [les] envoie par des moyens technologiques, tandis qu’on exige des parties une signification. Donc par agent de la paix ou huissier, ou un reçu, copie, mais pas une simple notification. Ça, essayez de faire comprendre ça à une personne non représentée[125].

L’incapacité pour le greffe de la Cour d’appel de communiquer avec les JNR détenu·es peut avoir d’importantes répercussions sur la capacité des JNR de se préparer pour leur audience alors que, selon les informateurs et informatrices rencontré·es, les informations ne leur sont pas systématiquement transmises par le personnel des établissements correctionnels[126]. Ces situations contraignent le personnel judiciaire, de même que la cour elle-même, à trouver des stratégies pour joindre les JNR et s’assurer qu’ils et elles puissent exercer leur droit d’appel. Par exemple :

On a mis un paragraphe dans l’ordonnance qui ordonne au directeur de la prison de remettre dans les vingt-quatre heures de la réception, l’ordonnance au détenu. Comme ça, on est sûr que le détenu sait qu’on est au courant de sa requête, qu’elle aura lieu telle date, et qu’il se prépare en conséquence. Ça nous est arrivé une fois, j’avais envoyé l’ordonnance, pour un individu qui avait fait une requête, mais qui n’avait pas mis de date de présentation. Puis quand on l’a fait comparaître, il disait qu’il n’était pas au courant, qu’il n’était pas prêt puis ça a entraîné une remise. Donc, depuis ce temps-là, on a mis un paragraphe qui force le directeur de l’aviser[127].

Les différences de conception de ce qu’est l’information juridique, le pouvoir discrétionnaire, de même que la diversité des formations du personnel judiciaire dont une importante proportion n’a pas de connaissances juridiques, ont pour effet que les services offerts aux JNR sont très variables selon les tribunaux, mais aussi selon le personnel avec lequel ils et elles ont affaire[128]. Si les services sont généralement plus personnalisés et plus précis à la Cour d’appel, le personnel des greffes ne peut, au mieux, que fournir des modèles et des brochures, donner l’adresse de sites internet, expliquer comment télécharger des formulaires et référer aux lois et à des ressources externes comme les Centres de justice de proximité (CJP)[129]. Or, en entrevue, les greffiers et greffières affirment que ces ressources ne correspondent pas aux besoins des JNR qui ne savent pas quoi déposer en preuve, ne font pas la différence entre la preuve et les arguments, n’arrivent pas à calculer les délais de rigueur, veulent savoir si le jeu en vaut la chandelle.

Les entrevues révèlent que le personnel judiciaire a l’impression d’être laissé à lui-même, obligé de trouver seul les moyens de répondre aux demandes des JNR[130]. Une personne rencontrée en entrevue affirme que les JNR sont « une épine dans le pied »[131]. Elle rajoute : « On ne peut pas leur rendre le service qu’ils demandent [des conseils juridiques] parce que ce service-là n’est pas offert. Donc c’est un problème majeur. Puis la direction s’en lave les mains depuis très, très longtemps. Ça a toujours été le problème »[132].

IV. Un système à repenser

Plusieurs initiatives ont été prises dans les dernières années pour rendre l’information juridique et les documents judiciaires plus accessibles, que ce soit dans les tribunaux, en ligne, ou par le biais des CJP. Ces initiatives ne font pas la différence pour le personnel judiciaire[133] qui rapporte qu’un nombre non négligeable de JNR n’ont pas accès à internet, à un ordinateur, à un cellulaire[134] ou à une imprimante[135]. Par ailleurs, le personnel judiciaire rapporte que plusieurs JNR rencontrent des difficultés de lecture et d’écriture, ne lisent ni le français ni l’anglais, ou ne réussissent pas à se débrouiller sur les sites internet des tribunaux ou du MJQ[136] :

Est-ce que le citoyen est bien équipé ? Non, il ne l’est pas. Il faut qu’il soit mauditement débrouillard pour se défendre lui-même parce que ce n’est pas clair, on donne un site internet qui donne un exemple à peu près, mais le client doit l’adapter à sa situation. Ça, il ne le comprend pas toujours. Fait que c’est compliqué. Toute la bébelle, la procédure, la démarche, ils ont beau dire qu’ils veulent mettre ça au plus simple [pour le] citoyen, mais c’est quand même compliqué[137].

La multiplication des services en ligne[138], souvent présentés comme une panacée[139], ne change donc pas le quotidien du personnel judiciaire. Bien au contraire, l’aide que les greffiers et greffières doivent offrir aux JNR pour comprendre et remplir les documents disponibles en ligne implique de nombreux échanges[140], du temps au téléphone pour les assister avec le remplissage de formulaires alors que les JNR sont sur le site internet de leur tribunal, ou encore pour envoyer par la poste ou par courriel des documents disponibles en ligne :

Quand [je réponds à] l’appel d’une personne non représentée qui me semble désemparée, ne comprend pas, moi je prends toujours le temps de leur envoyer des modèles de procédures. Parce que des fois on leur dit : « Allez sur notre site internet, les modèles sont là », mais notre site internet, il peut être quand même difficilement navigable parfois[141].

En plus des difficultés de nature pratique, les personnes travaillant au greffe civil du Palais de justice ont rapporté que « les sites du gouvernement sont très mal faits »[142], qu’ils ne sont pas mis à jour régulièrement et que beaucoup d’information relative aux procédures et aux tarifs n’y est plus valable. Les sites du MJQ n’ayant pas été mis à jour à la suite de la réforme du Code de procédure civile en 2016, le personnel judiciaire « gér[ait] la confusion »[143] depuis trois ans au moment des entrevues.

Selon certaines personnes interviewées, le fait que de plus en plus de documents soient en ligne décourage les JNR qui ne sont pas familiers avec internet. Elles vont jusqu’à dire que certain·es « ne vont pas jusqu’au bout parce que ça leur fait peur »[144]. Cette affirmation est cohérente avec les recherches menées ailleurs, selon lesquelles la mise à disposition d’information et de formulaires en ligne, même en langage clair, est loin de répondre aux besoins des JNR[145] qui ont besoin d’un accompagnement personnalisé pour compléter efficacement les différentes étapes judiciaires[146]. L’accompagnement peut être offert en personne par des bénévoles[147], des parajuristes[148], du personnel judiciaire désigné[149] ou des bibliothécaires[150], mais aussi en ligne par le moyen de programmes facilitant la sélection, la confection et l’assemblage des documents[151]. Ces avenues sont actuellement restreintes au Québec par un cadre juridique particulièrement rigide laissant peu de place au développement de services pour les JNR[152].

Il faut souligner que l’effet de la rigidité du cadre juridique est renforcé par le flou entourant l’information et le conseil juridiques. Plusieurs personnes rencontrées ont, par exemple, affirmé se montrer particulièrement conservatrices dans l’information donnée aux JNR, par crainte de problèmes ou de représailles de la part du Barreau du Québec. Certaines en avaient d’ailleurs fait l’expérience, par exemple :

Il y avait une plainte contre moi parce que j’ai donné des informations à un client puis qu’un avocat a fait une plainte. C’était tout simplement de dire que ça prenait un affidavit pour présenter une requête. Une chose aussi simple que ça. Donc des choses qu’en principe on n’est pas censé donner parce qu’il y a des livres juridiques qui sont offerts. Donc, les gens qui voulaient faire leur procédure pouvaient se payer ça ou consulter ça dans la bibliothèque[153].

Selon une informatrice, les pratiques ayant cours au Tribunal administratif du logement ne sont cependant pas influencées par les plaintes, une affirmation impossible à vérifier puisque je n’y ai pas mené d’entrevue :

À la Régie du logement [Tribunal administratif du logement], on faisait plus de conseils juridiques. On donnait plus de procédures, comment faire la mise en demeure, c’est nous qui rédigions les demandes des clients, à la Régie du logement. C’est nous autres qui faisions des affaires même si on n’avait pas le droit, même si le Barreau faisait des plaintes, bien on disait : « Telle loi, c’est ça. C’est telle loi, telle affaire, telle chose »[154].

Ainsi, en raison de ces contraintes et des craintes qu’elles suscitent, une proportion importante d’informateurs et d’informatrices affirment référer les JNR aux CJP, tout en sachant que leur personnel n’était pas, au moment des entrevues, autorisé à y prodiguer des conseils juridiques[155], et parfois sans savoir dans quels domaines de droit ils agissent[156]. Plusieurs racontent que des JNR, de retour à la case départ, reviennent aux greffes sans avoir obtenu de réponse à leurs questions après avoir consulté un CJP. Le personnel judiciaire continue tout de même de les y référer, faute de mieux. Les entrevues menées avec des JNR confirment que les services d’information juridique ne permettent pas, le plus souvent, une préparation adéquate au processus judiciaire. Les usagers et usagères de la Clinique juridique du Mile-End ont, par exemple, rapporté que le suivi de dossiers et l’accompagnement personnalisé offerts par la clinique faisaient toute la différence[157], des services que les CJP ne peuvent offrir encore à l’heure actuelle.

Le personnel judiciaire est aux premières loges quand il s’agit des barrières à l’accès à la justice. Il sait très bien que les services actuellement offerts sont inadéquats et ne permettent pas aux JNR une participation effective aux instances judiciaires qui les concernent. Les personnes rencontrées en entrevues déplorent le décalage entre le discours actuel sur l’accès à la justice et le soutien offert en pratique à des JNR qui « ne sont pas outillés pour gagner »[158]. Elles proposent plusieurs solutions simples pour améliorer la capacité des JNR à préparer leurs documents, notamment avec l’appui de parajuristes qui pourraient oeuvrer dans les tribunaux de manière permanente. Les parajuristes seraient en mesure de décharger substantiellement le personnel judiciaire en préparant les documents de manière adéquate dès le départ, ce qui éviterait les procédures incomplètes ou erronées et les allers-retours qu’elles impliquent, mais aussi toutes les questions relatives à la préparation des documents ou aux informations disponibles en ligne.

Les informateurs et informatrices sont cependant réalistes quant à la mise en place d’un tel service, évoquant « des batailles entre les professionnels »[159] et donnant en exemple l’opposition du Collège des médecins du Québec à la reconnaissance de compétences aux infirmières praticiennes spécialisées[160]. Pour les personnes interviewées, l’attitude corporatiste du Barreau du Québec, « protége[ant] ses plates-bandes »[161], va à l’encontre de l’intérêt général. Évoquant « ce qui se fait ailleurs »[162], elles affirment « ne pas comprendre pourquoi on ne le fait pas »[163].

Le personnel du Palais de justice de Montréal souhaite le développement de modèles de procédure à l’image de ce qui a été développé à la Cour d’appel, de même qu’une simplification du plumitif pour « le rendre un peu plus user-friendly »[164]. Ces outils permettraient éventuellement d’offrir aux JNR les éléments de base pour préparer leurs documents. Le personnel judiciaire de la Cour d’appel est cependant mitigé par ces solutions dont les limites, qu’il expérimente au quotidien, sont très tangibles. Une personne affirme par exemple : « En tout cas nous ici, à la Cour d’appel, on développe énormément d’outils. Des fois, je trouve qu’on est rendu au-delà de nos capacités. On n’est pas au-delà, mais on est au bout de ce qu’on peut faire, quasiment »[165]. Elle continue en disant qu’une des solutions à envisager est de « rendre les règles un petit peu plus souples ». Une de ses collègues, plus radicale, déclare qu’« il faudrait repenser le système. C’est à repenser parce que nous, c’est fait pour travailler en langage juridique, avec des gens qui ont une formation juridique »[166].

Conclusion. Le marché de la justice et les laissé·es-pour-compte

C’est bien tout le paradoxe que met en lumière cette recherche : alors que le personnel judiciaire travaille dans un cadre pensé pour des litiges n’impliquant que des parties représentées, la présence de plus en plus importante de JNR n’a provoqué aucun changement structurel dans les tribunaux québécois. Le personnel judiciaire est donc tenu de se comporter comme s’il avait affaire avec des avocat·es et les JNR, de maîtriser le droit substantiel et procédural[167]. Pour Lauren Sudeall, ces exigences à l’égard des JNR sont « dangereuses » : 

At best, it creates unnecessary frustration for pro se litigants and decreases in judicial efficiency; at worst, it makes the judiciary complicit in the creation and maintenance of an unlevel playing field, reduces the likelihood that fair and just outcomes will result from the judicial process, and violates constitutional due-process requirements[168].

L’interdiction pour le personnel judiciaire de prodiguer des conseils juridiques, qui vise deux objectifs — protéger les JNR de recevoir des conseils de la part de personnes non qualifiées[169] et préserver l’impartialité du tribunal —, ainsi que l’absence de services de soutien adéquats dans les tribunaux, notamment pour aider les JNR à préparer leurs documents, se matérialise ainsi dans la formalisation d’une justice à deux vitesses : la justice de ceux et celles qui peuvent se procurer des services juridiques, et celle des laissé·es-pour-compte qui doivent trouver, seul·es, comment sortir du labyrinthe judiciaire. À moins d’assurer l’accès à des services juridiques pour toutes et tous, ce qui ne semble pas constituer un projet à courte échéance, l’accès à la justice devra passer par des mesures concrètes et structurelles. Le personnel judiciaire continuera d’être en première ligne du système de justice.

Les pratiques judiciaires sont en évolution, du moins à l’extérieur du Québec. Alors que les juges sont invités à abandonner leur passivité pour s’engager dans un rôle proactif balisé par des règles préservant leur impartialité et leur apparence d’impartialité[170], plusieurs juridictions autorisent maintenant le personnel judiciaire, voire le personnel d’organismes communautaires ou de bibliothèques, à assister les JNR à toutes les étapes de l’instance. En se servant de différents outils tels que des scripts, des manuels d’information, des formulaires et des modèles de procédures accompagnés d’instructions, le personnel judiciaire peut, par exemple, expliquer les différentes étapes de la procédure et les exigences en termes de droit substantiel et de preuve. Le personnel judiciaire peut aussi indiquer les documents à remplir pour présenter ou répondre à une requête, et anticiper les questions du tribunal[171]. De même, des directives judiciaires reconnaissent et facilitent l’accompagnement des JNR par des personnes de leur choix pour les soutenir en prenant des notes, en aidant à l’organisation des documents, en faisant des suggestions discrètes aux JNR et en leur offrant un soutien émotionnel[172]. Ces mesures, bien que ne remplaçant pas l’accès à des services juridiques, comblent une partie des besoins des JNR. Les recherches démontrent qu’elles améliorent leur accès à la justice, tout en facilitant le travail du personnel judiciaire et des juges[173].

Ces constats mettent en cause l’incapacité, au Québec, de faire évoluer les pratiques dans le sens de l’intérêt public alors que plusieurs juridictions y parviennent. Au-delà de la volonté politique, une telle évolution requiert de réfléchir à l’accès à la justice en termes structuraux, dépassant les intérêts et les privilèges des parties prenantes du système de justice. Elle exige également de prendre les conditions de travail de ceux et celles qui travaillent à servir les JNR au sérieux. Tant que la justice est marchandée[174] et que les profits individuels priment sur les intérêts collectifs[175], elle ne sera que le « domaine privilégié de citoyens eux-mêmes privilégiés »[176], au détriment des laissé·es-pour-compte de la justice.