McGill Law Journal
Revue de droit de McGill
Volume 62, Number 4, June 2017
Table of contents (10 articles)
Articles
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Conditions géographiques de mise en liberté et de probation imposées aux manifestants : une atteinte injustifiée aux droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association
Marie-Eve Sylvestre, Francis Villeneuve Ménard, Véronique Fortin, Céline Bellot and Nicholas Blomley
pp. 923–973
AbstractFR:
Au cours des dernières décennies, les espaces publics se sont refermés sur les manifestants et les dissidents politiques. Que ce soit par des techniques policières de contrôle des foules, des arrestations de masse ou par l’adoption de règlements visant à encadrer le droit de manifester, ces personnes sont des plus en plus nombreuses à être prises en charge par le système de justice pénale. Dans ce contexte, le recours aux conditions de mise en liberté et de probation ayant des effets géographiques — telles que des conditions de ne pas se trouver dans certains lieux publics, de respecter un certain périmètre ou un couvre-feu, de ne pas s’associer à certains groupes et personnes ou de ne pas participer à un rassemblement public ou une manifestation —, imposées à des moments stratégiques, soulève des questions importantes au regard des libertés d’expression, de réunion pacifique et d’association. Or, on constate qu’il n’y a encore que très peu de contestations de ces conditions. En nous fondant sur un travail de terrain auprès de manifestants assujettis à de telles conditions à Montréal, Toronto et Vancouver et une analyse de la jurisprudence, nous explorons les conséquences de ces conditions sur leur droit à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association ainsi que différents obstacles à la formulation d’arguments constitutionnels. Outre les contraintes juridiques et celles propres à la pratique du droit criminel, nous suggérons que l’absence de contestation peut être aussi liée à des considérations spatiales et géographiques largement ignorées par les tribunaux. En nous appuyant sur la géographie critique du droit, nous militons en faveur d’une plus grande compréhension spatiale de la liberté d’expression ainsi que des outils utilisés pour la réprimer.
EN:
In recent decades, public spaces have become increasingly constrained for protestors and political dissidents. Whether through crowd-control policing techniques, mass arrests, or the enactment of regulations intended to constrain the right to protest, these persons have been captured by the criminal justice system in greater and greater numbers. In this context, conditions of release and probation having geographical effects—such as restrictions on access to certain public spaces, conditions imposing a boundary or a curfew, restrictions on associating with certain groups and persons or restricting participation in public demonstrations or protests—imposed at strategic moments, raise important questions related to freedom of expression, peaceful assembly and association. We note, however, that there have been very few rights-based challenges to these conditions. Using interviews with protesters subject to such conditions in Montreal, Toronto, and Vancouver, along with case-law analysis, we will explore the consequences of these conditions on the right to freedom of expression, peaceful assembly, and association, as well as the obstacles to using constitutional challenges to such conditions. Aside from legal constraints, especially those particular to the practice of criminal law, we suggest that the absence of legal challenges may also be linked to geographical and spatial considerations largely ignored by courts. Supported by a critical geography, we advocate for a greater spatial understanding of freedom of expression and the tools used to repress it.
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Understanding Fiduciary Duties and Relationship Fiduciarity
Leonard I. Rotman
pp. 975–1042
AbstractEN:
How well do we truly understand the legal concepts we regularly use and discuss? Truly understanding a legal concept necessitates understanding why it exists, what it was constructed to accomplish, and the purpose or purposes it was intended to facilitate. A lack of attentiveness to that raison d’être results in the loss of connection between the concepts and their underlying rationales. The divorce between legal concepts and their philosophical foundations renders the former susceptible to manipulation and misuse as they lose their connection to their philosophical and doctrinal foundations and subsequently become more and more unintelligible.
As it presently sits, fiduciary jurisprudence is one of the most confused and least understood areas of contemporary law. This is not a new development, but one of long standing. Jurisprudence and legal commentary indicate that both lawyers and judges misuse fiduciary principles for reasons inconsistent with fiduciary law’s conceptual foundation.
The primary purpose of this article is to enhance the understanding of fiduciary duties and relationship fiduciarity by promoting a more robust understanding of the fiduciary concept centred upon its foundational raison d’être. In the process of establishing a stronger philosophical and doctrinal base for the fiduciary concept, the article will also contemplate the contributions provided by of one of the more recent additions to fiduciary law scholarship, authored by Remus Valsan and published in a recent issue of this same law journal.
FR:
Dans quelle mesure comprenons-nous réellement les concepts juridiques que nous utilisons et discutons régulièrement? Une réelle compréhension d’un concept juridique nécessite de savoir pourquoi il existe, quelle est la fonction pour laquelle il a été conçu, et le ou les buts qu’il visait à atteindre. Or, le manque d’attention octroyé à leur raison d’être a pour conséquence la perte du lien entre ces concepts et leurs logiques sous-jacentes. Le divorce entre les concepts juridiques et leurs fondements philosophiques rend les premiers susceptibles à la manipulation et à l’abus, perdant ainsi le lien avec leurs fondements philosophiques et doctrinaux, et devenant de plus en plus inintelligibles.
La jurisprudence du droit fiduciaire est présentement l’une des plus confuses et moins bien comprises du droit contemporain. Or, ceci n’est pas un nouveau développement, mais un problème de longue date. La jurisprudence et les commentaires juridiques indiquent tous deux que les avocats et les juges abusent des principes fiduciaires pour des raisons qui sont incompatibles avec le fondement conceptuel de ce droit.
L’objectif premier de cet article est d’améliorer notre compréhension des obligations fiduciaires et de la relation fiduciaire en favorisant une compréhension plus robuste du concept fiduciaire, centrée sur sa raison d’être fondamentale. En établissant une base philosophique et doctrinale plus solide pour le concept fiduciaire, l’article examinera également la contribution récente au droit fiduciaire de Remus Valsan, publiée sous la forme d’un article dans un numéro récent de cette même revue.
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Le contrat de prestations logistiques
Kamelia Kolli and Stéphane Rousseau
pp. 1043–1100
AbstractFR:
L’organisation des activités des entreprises a pris un tournant majeur avec l’apparition de l’entreprise réseau. Celle-ci a éclipsé l’entreprise traditionnelle, hiérarchisée et unifiée dont l’idée fondamentale était l’intégration verticale de toutes les étapes de fabrication. La concurrence est d’une telle férocité qu’il est difficile pour une seule entreprise de supporter les coûts de gestion et de contrôle de toutes ses activités. L’entreprise réseau repose sur la création de relations stratégiques avec des prestataires spécialisés en leur externalisant les activités périphériques qui ne font pas partie de son coeur de métier. Ce nouveau mode d’organisation se matérialise par la conclusion d’un contrat de prestations logistiques qui est dépourvu de qualification et de régime juridiques spécifiques. Sa pleine expression se trouve dans la notion de logistique encore inconnue de la majorité des juristes. Rares sont les juristes qui ont analysé le contrat de prestations logistiques ou qui se sont prononcés de manière irrévocable sur le traitement juridique à lui accorder.
L’article traite des fondements organisationnels et logistiques du contrat de prestations logistiques et s’intéresse également à son traitement juridique au Québec et en France.
EN:
The organization of business activities has taken a major turn with the emergence of the network firm model. This model replaced the traditional and hierarchical firm model which is based on the vertical integration of all stages of production. Competition is so ferocious that it is difficult for a single company to bear the costs of managing and controlling all of its activities. The network firm relies on the creation of strategic relationships with specialized service providers by outsourcing non-core activities. This new mode of organization is materialized by the conclusion of a logistics contract which lacks a specific legal qualification and regime. Indeed, the logistics contract is rooted in the concept of logistics, currently unknow to the majority of the legal doctrine. Few legal experts have analyzed this contract or have decided irrevocably on the legal treatment to be granted.
This article deals with the organizational and logistical foundations of the logistics contract and is also interested in its legal treatment in Quebec and in France.
Wainwright Lectures / Conférences Wainwright
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Le Marchand de Venise : le pari et la dette, le jeu et la loi
François Ost
pp. 1103–1152
AbstractFR:
Le Marchand de Venise est tenu, à raison, pour une des pièces les plus juridiques de W. Shakespeare, avec Mesure pour mesure. Au coeur du débat, la fameuse clause pénale que l’armateur vénitien Antonio se laisse imposer par le prêteur juif de la place, Shylock : une livre de chair prélevée sur son propre corps, en cas de défaut de paiement. On en retient généralement la tirade de Portia plaidant en faveur de la miséricorde (mercy) du prêteur. Et on lit la pièce comme l’illustration du procès éternel entre la lettre et l’esprit, le formalisme juridique et l’équité. La présente contribution entend discuter cette interprétation traditionnelle en replaçant l’intrigue dans son contexte socio-historique : le casino vénitien, ses jeux de séduction et de pouvoir, et le nécessaire financement des aventures d’Antonio par le ghetto. Mais au-delà de l’analyse juridique et du décryptage sociologique, c’est d’une lecture anthropologique que relève l’écriture de Shakespeare. On comprend alors la pièce comme un affrontement de passions juridiques radicalisées. Pour Shylock, le billet à ordre, assorti de la fameuse clause, est l’occasion d’assouvir enfin une vengeance nourrie d’un ressentiment séculaire. Pour Antonio, joueur invétéré, toute l’affaire est l’occasion de jouer son ultime « va-tout » et de jouir à l’avance d’une partie de « qui perd gagne » — car un armateur vénitien ne peut pas perdre, n’est-ce pas, face à un prêteur juif.
EN:
The Merchant of Venice is, for good reason, considered to be one of Shakespeare’s most legal works, alongside Measure for Measure. At the heart of the debate is the famous penalty clause that Venetian ship owner Antonio allows to be imposed on him by Jewish moneylender Shylock. The clause requires a pound of Antonio’s own flesh in the event that he defaults on payment of his loan. Generally called to mind is the monologue by Portia, who pleads for the moneylender’s mercy. The play is read as an illustration of an eternal trial between the letter of the law and its spirit, between legal formalism and equity. This lecture questions this traditional interpretation by placing the story back into its socio-historical context: the Venetian casino, the games of seduction and power, and the fact that the adventures are necessarily financed by the Venetian Ghetto. Yet, in addition to legal analysis and sociological decoding, an anthropological reading of Shakespeare’s work is warranted. The Merchant of Venice can be understood as a clash between radicalized legal passions. For Shylock, the promissory note, containing the famous penalty clause, presents itself as an opportunity to finally quench his thirst for vengeance, fueled by age-old resentment. For Antonio, a diehard gambler, any transaction is an opportunity to go for broke and to preemptively turn misfortune to his advantage. After all, how could a Venetian ship owner lose to a Jewish moneylender?
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Les luttes de clocher en droit comparé
Giorgio Resta
pp. 1153–1199
AbstractFR:
Depuis la genèse du « comparatisme », attitude caractéristique du XIXe siècle, plusieurs disciplines scientifiques ont affirmées leur identité « comparative ». Toutefois, dans la plupart de ces disciplines la comparaison a été comprise et appliquée selon plusieurs variantes. Les différentes manières de comparer prennent alors la forme de « méthodes », chose qui génère inévitablement la controverse, en donnant lieu parfois à des « luttes de clocher ». Le cas du droit comparé est particulièrement intéressant. Depuis son apparition, cette discipline n’a jamais suivi une seule méthode, et cela, pour la simple raison qu’il n’a jamais eu un seul projet intellectuel sous-jacent et a servi plusieurs « clients ». En bref, il n’y a jamais eu de droit comparé, mais seulement plusieurs comparatismes. Ce texte propose un petit exercice d’« archéologie » de la comparaison juridique, en suivant quelques traces laissées par le passé, qui conditionnent toujours notre compréhension et notre exercice de la discipline. La prémisse de départ est que, si l’on veut réfléchir aux défis contemporains, il faudrait commencer par « historiciser » attentivement l’entreprise du droit comparé et les « combats pour la méthode » qui l’ont caractérisée, de façon à mieux comprendre ses transformations à travers le temps, ses réalisations et ses limites inhérentes.
EN:
Since the birth of “comparatism”, an attitude characteristic of the 19th century, various scientific disciplines have asserted their “comparative” identites. Yet, most of these disciplines have understood and applied comparison in different ways. These different modes of comparison take the form of “methods”, which inevitably generates controversy, sometimes leading to power struggles. Particularly interesting is the case of comparative law. Since its emergence, this discipline has never followed one particular method for the simple reason that it has never been limited to a single underlying intellectual project. Rather, it has served multiple “clients”. In sum, there has never been a comparative law, only mulitple comparatisms. This article proposes a sort of “archaeological” exercise in legal comparison. It follows clues left by the past, which still condition our understanding and exercise of the discipline. The central thesis is that if we want to reflect on modern challenges, we must begin by carefully historicizing the undertaking that is comparative law and the methodological disputes that have characterized it. In this way, we will be able to better understand its transformation over time, its accomplishments, and its inherent limits.