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Recensions

Eberhard Ortland, éd., Theodor W. Adorno. Esthétique 1958/59. Traduction par Antonia Birnbaum et Michel Métayer. Paris, Éditions Klincksieck, 2021, 363 p.[Record]

  • Dominic Roulx

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  • Dominic Roulx
    Université de Montréal

Ce livre important contient la première traduction française du quatrième des six cours d’esthétique qu’Adorno aurait donnés à Francfort entre 1950 et 1968, après son retour d’exil des États-Unis. Il a fait à l’époque l’objet d’un enregistrement exhaustif de bonne qualité — hormis quelques lacunes mineures — et d’une retranscription tapuscrite de laquelle la traduction présente a été tirée. Ce cours d’esthétique, donné de novembre 1958 à février 1959, s’inscrit dans les recherches inlassablement menées par Adorno pour fournir une théorie esthétique adaptée à la réalité contemporaine de la société (capitaliste) et de l’art (moderne). Dès 1956, nous apprend l’éditeur Eberhard Ortland (Université de Münster), Adorno commença à consigner notes et esquisses qui allaient le mener à la rédaction de l’opus magnum inachevé et publié à titre posthume qu’est Théorie esthétique (1970). Le cours d’esthétique de 1958-1959 est à cet effet le témoignage saisissant d’une pensée en construction et il représente un jalon important dans le développement des réflexions esthétiques du dernier Adorno. L’édition présente contient d’abord, suite à deux courtes notices de l’éditeur et des traducteurs, le contenu des vingt et une séances de cours données par Adorno, accompagnées d’un appareil massif de notes contextualisant les propos et joignant les références, intérieures et extérieures au corpus adornien, nécessaires à son intelligibilité. Suivent cinquante pages de notes et de plans schématiques desquels il se serait librement inspiré pour structurer ses exposés (p. 9, 11). L’éditeur rapporte en outre les annotations — principalement des passages soulignés — qu’Adorno lui-même a inscrit en marge du tapuscrit à la relecture de celui-ci. Une bibliographie des textes réunis (Gesammelte Schriften) et des textes posthumes (Nachgelassene Schriften) dans les éditions allemandes et françaises disponibles à ce jour précède l’index des noms propres. Le lecteur tirera notamment parti de l’appareil de notes assidûment documenté et des annotations d’Adorno qui indiquent les passages que l’auteur jugeait les plus importants, deux bénéfices de l’édition présente qui contribuent à en faire un outil de travail indispensable. Les traducteurs ont respecté la subtile fluctuation du vocabulaire adornien entre les divers lexiques philosophiques qu’il mobilise, de telle sorte que le lecteur reste aux faits des dialogues parfois implicites se jouant entre Adorno et Hegel, Kant, Platon, Lukács ou Freud. Ils ont aussi su rendre à l’écrit ces leçons récitées oralement et parfois pratiquement improvisées, en respectant les hésitations, détours et complexités du mode d’expression oral, sans toutefois y sacrifier l’intelligibilité du propos. Quelques mots sur la spécificité du contenu inédit de ces cours de 1958-1959. Après avoir exposé la problématique qui occupe son cours (la possibilité et la nécessité actuelle d’une esthétique philosophique) et s’être doté d’une méthode pour s’y attaquer (la méthode dialectique, qui s’abandonne à l’expérience concrète de ses objets) (cours 1), Adorno consacre ses efforts à thématiser les relations dialectiques qui relient l’art, la nature et la Raison (Aufklärung) (cours 2 à 4). S’émancipant et s’opposant à la nature en tant que sphère d’apparence séparée de celle-ci, l’art a pour signification essentielle d’exprimer la nature mutilée et de « venir à son secours » face à sa domination rationalisée (p. 51, 65, 79-80). Toutefois, si l’art a le potentiel de défendre les intérêts de la nature, c’est seulement dans la mesure où il se constitue comme sphère d’apparence autonome, ce qui lui est garanti d’une part par la sublimation du désir frustré du sujet à s’approprier la nature, et d’autre part par sa participation à sa domination rationnelle qui installe un rapport d’extériorité mutuelle entre la nature et l’art, produit de l’activité humaine (cours 5). Afin d’illustrer cet entrelacement dialectique de …

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