Philosophe de l’éducation, théoricien et pionnier de l’alphabétisation au Brésil, Paulo Freire (1921-1997) a publié une vingtaine de livres, dont seulement quatre avaient jusqu’à maintenant été traduits dans notre langue (voir la mise en contexte de Jean-Claude Régnier, p. 23). Des dizaines d’études lui ont été consacrées. Signe tangible de son rayonnement, plusieurs instituts internationaux (de l’Autriche à l’Afrique du Sud) portent aujourd’hui son nom et diffusent sa pensée ; plus près de nous, l’Université McGill a créé un centre, The Paulo and Nita Freire International Project for Critical Pedagogy, et l’UQAM a également son propre Centre Paulo-Freire. Paru initialement au Brésil en 1996, Pédagogie de l’autonomie est son ultime ouvrage. Dans son avant-propos pour cette édition française, la veuve de Paulo Freire, Ana Maria Araújo Freire, précise à quel point les écrits de son mari étaient redevables à la pensée française, et en particulier à « Emmanuel Mounier, Merleau-Ponty, Gaston Bachelard » et plusieurs autres philosophes (p. 13). Ces penseurs français ne sont pas cités textuellement dans le présent ouvrage, mais leur vision à la fois généreuse et rigoureuse est indéniablement partagée par Paulo Freire. Les écrits engagés de Paulo Freire sont une inspiration à plusieurs titres. Ses propos sont basés sur l’expérience du terrain de l’alphabétisation au Brésil et dans les pays du Tiers-Monde ; de plus, ses exposés théoriques sont rigoureux et critiques, inspirés par la pensée néomarxiste ; enfin, le style même de Paulo Freire est à la fois direct et percutant, mais toujours respectueux des opinions opposées aux siennes, avec un sens de la formule d’une grande efficacité. Humblement, il écrit par exemple : « Enseigner exige la conscience de l’inachèvement » (p. 66) ; ou encore : « Enseigner exige humilité, tolérance et lutte pour la défense des droits des éducateurs » (p. 81). Paulo Freire cite peu les écrits de Marx (p. 114, 140) mais se revendique davantage de l’humanisme (p. 80, 113). Dès les premières pages, Pédagogie de l’autonomie débute par la réaffirmation de l’éthique comme fondement pour l’action et ultimement de l’émancipation de l’individu : « En vérité, je parle de l’éthique universelle de l’être humain comme je parle de sa vocation ontologique d’être émancipé, d’être plus, et encore de sa nature de se constituer historiquement en un être social et non comme un a priori de l’Histoire » (p. 36). Pour Paulo Freire, l’éducation est intrinsèquement ancrée dans ce qui fait de nous des êtres humains : « […] je suis absolument convaincu de la nature éthique de la pratique éducative en tant que pratique spécifiquement humaine » (p. 35). Subdivisé en trois parties, Pédagogie de l’autonomie contient des affirmations qui peuvent remettre en question notre conception de l’éducation, comme ce titre du deuxième chapitre : « Enseigner n’est pas transférer la connaissance » (p. 63). En fait, Paulo Freire ne conçoit pas l’enseignement comme un exercice entre un connaissant et un apprenant ; au lieu d’instaurer un rapport de force, il préfère procéder par une prise de conscience et le partage des connaissances : « L’idéal est que, dans l’expérience éducative, apprenants, éducateurs, éducatrices, tous ensemble, vivent conjointement avec cette connaissance, comme avec d’autres savoirs dont je parlerai, qui, avec eux, deviendront sagesse » (p. 74). Paulo Freire refuse de constater l’état des choses comme une fatalité inébranlable à laquelle on ne peut rien ; il cite en exemple le problème endémique du chômage au Brésil, relié à un discours néolibéral qui est dénoncé sans relâche et qu’il désigne à maints endroits comme « l’idéologie fataliste néolibérale » (p. 37, 72, 115, 138). Au contraire, il affirme que la …
Paulo Freire, Pédagogie de l’autonomie. Traduit et commenté par Jean-Claude Régnier. Toulouse, Éditions ÉRÈS, 2013, 166 p.[Record]
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Yves Laberge
Université d’Ottawa