Paru pour la première fois chez Gallimard en 2000 dans le collectif de Marc Sadoun, La démocratie en France : Idéologies (t. I, chap. 1 : « La démocratie française au risque du monde »), cet ouvrage de Pierre Bouretz a beau être classé dans la rubrique histoire, il n’en reste pas moins un excellent travail de philosophie politique. Son ambition est d’expliquer « la passion de l’universel » qui structure la vie intellectuelle et la culture politique française depuis les Lumières et plus particulièrement depuis la Révolution de 1789, laquelle sera vécue comme une aurore. Sous la forme d’« une anthropologie historique » destinée à mieux cerner le rapport que la République française entretient avec l’universel, il s’articule en deux temps : tout d’abord, l’auteur explore deux autres conceptions de l’universel, l’une américaine, vécue dans l’expérience révolutionnaire de 1776, l’autre allemande, plus riche d’enseignement à ses yeux, dans la mesure où c’est contre l’Allemagne que « semble s’être forgée la conscience nationale » française à partir du xixe siècle ; en second lieu, bien que cette comparaison soit à l’évidence requise pour « une intelligence du rapport de la démocratie française à l’universel », elle ne saurait être dissociée cependant de l’exigence d’« une relation critique par rapport à sa propre histoire » (p. 22 et 23). Or, de l’avis de P. Bouretz, la démocratie française continue de buter sur des difficultés et des paradoxes qui tiennent à la nature de son entreprise et qui l’empêchent du même coup de procéder à un examen exhaustif de ses fondements. Avec beaucoup d’aisance l’auteur montre que, dès les premières heures de la Révolution, ses principaux protagonistes eurent à choisir entre l’imitation de principes démocratiques reconnus ailleurs et la volonté de faire de la France « le phare universel de la liberté » (p. 15 et 37). L’option choisie, la seconde, allait être déterminante par la suite : persuadée « que l’universel se confondait avec la singularité de son histoire nationale » (p. 17), la France, écrit-il, n’a pu que se fermer à tout ce qui risquait de troubler « sa tranquille certitude » (p. 21). Toutefois, une telle assurance ne doit pas faire oublier selon lui que l’universalisme français s’est toujours nourri de la menace « des retours du passé », et plus que tout sans doute de la hantise du religieux (p. 18 et 19). À quoi s’ajoute un autre élément déjà effleuré plus haut, qui, si l’on n’y prenait garde, empêcherait toute interprétation rigoureuse de la démocratie française et de ses ambitions universalistes, à savoir que cette dernière a toujours cultivé l’art de concilier « la radicalité d’un effacement du passé et la continuité d’une identité : [un peu] comme si l’universel avait besoin d’être affranchi de tout héritage pour être pur, tout en devant se réapproprier les éléments d’une grande histoire afin d’être complet » et « unique » (p. 19-21). De ce point de vue, tout conduit à penser que 1789 a plutôt fait renaître le sentiment religieux au moment même où ses adversaires voulurent l’éradiquer une fois pour toutes des consciences individuelles et de la vie sociale. Mais Bouretz de préciser aussitôt que, dans le cas de la France, se pose surtout la question de savoir si le concept clé de son histoire moderne, la laïcité, comprise comme « solution à l’antagonisme des visions du monde et vecteur d’une pacification sociale par intégration des individus dans une matrice commune », n’est pas davantage un « rationalisme militant » destiné purement et simplement à « affranchir […] les consciences de toute métaphysique » (p. 20). Tels …
La passion de l’universel[Record]
…more information
Étienne Haché
Tours, France