Dès le tournant des années 1960, l’éclatement partiel des anciens cadres de référence nationaux a ouvert la voie à une plus grande reconnaissance des défis auxquels faisaient alors face, partout en Amérique du Nord, les collectivités minoritaires. À l’exception de John Skrentny, de Joel Belliveau et de Tudi Kernalegenn, peu de chercheurs se sont penchés sur les rapports entre cette mobilisation des diverses minorités nationales sur l’ensemble du continent et les mouvements contre-culturels des années 1968. Sous la direction d’une équipe multidisciplinaire, le présent recueil d’articles, issu d’un colloque organisé par le Réseau de la recherche sur la francophonie canadienne à l’Université de Regina en 2018, se propose donc de faire ressortir les schèmes épistémologiques et idéologiques qui pourraient mener aujourd’hui à une « compréhension mutuelle » (p. 9) des questions identitaires ayant touché tous les milieux minoritaires durant cette période névralgique. Dans un premier survol de l’historiographie récente, Ingo Kolboom constate l’absence de référence aux sociétés minoritaires nord-américaines dans le « narratif européen sur les “années 1968’’ » (p. 15). Le chercheur attribue cette « cécité » aux difficultés conceptuelles qu’a pu poser l’émergence de nationalismes « régionaux » au Québec, en Acadie, en Corse, en Bretagne ou ailleurs, pour une gauche intellectuelle européenne axée sur le rejet de tous les cloisonnements identitaires. Bien qu’elles aient servi d’arrière-plan médiatique, les manifestations de mai 1968 en France n’ont sans doute été qu’une série d’événements lointains sans grande pertinence pour les groupes minoritaires d’Amérique du Nord. Ce sont bien davantage les luttes de décolonisation et le mouvement américain des droits civiques qui ont servi de prémisses à la reformulation des rapports entre majorité et minorités à l’échelle d’une Amérique qui se voulait alors désenclavée et enrichie par la diversité de ses marges. Dans ce contexte de profondes transformations identitaires, chacune des sociétés minoritaires a cherché à mettre en oeuvre ses propres stratégies de légitimation. Dans une étude portant sur la minorité mexicano-américaine, Ignacio M. García note, par exemple, l’importance des modèles autochtones à la base du militantisme chicano dans le sud-ouest des États-Unis à la fin des années 1960. García s’intéresse notamment à la figure centrale d’Octavio Ignacio Romano dont les écrits, aujourd’hui méconnus, font l’apologie d’un « nationalisme éclectique » (p. 45) inspiré par la vision des premiers peuples du Mexique. Au Canada, la modernisation des institutions traditionnelles a joué, au contraire, un rôle de premier plan. Ainsi, dans une perspective comparatiste fort intéressante qui lui permet d’évoquer en contrepoint le Manitoba et le Nouveau-Brunswick, Michael Poplyansky examine trois pôles de la jeunesse fransaskoise au cours des années 1970 : le réseau des associations étudiantes, le collège Mathieu de Gravelbourg et le Centre d’études bilingues de l’Université de Regina. Ces derniers président à la création d’une identité fransaskoise qui, au-delà des revendications linguistiques, cherche également à inclure les droits des communautés métisses. Pour Stéphanie St-Pierre, c’est au cours de cette période de profonds changements que les minorités franco-canadiennes deviennent des objets d’étude à part entière dans les universités canadiennes. La création de « structures de recherche et de diffusion du savoir, de même que le message qu’on y diffuse, servent d’indice du rôle de l’histoire dans le discours intellectuel des années 1968 et de la redéfinition du territoire des francophonies canadiennes » (p. 114). L’Institut franco-ontarien à Sudbury et le Centre d’études franco-canadiennes de l’Ouest à Winnipeg permettent de structurer l’historiographie propre à ces nouvelles communautés identitaires et territoriales. Par la mise en récit des identités, la littérature rend aussi compte de ces déplacements conceptuels, comme le montre Jérôme Melançon dans son relevé des rapports de proximité et de distance …
Michael Poplyansky, Clint Bruce, Joel Belliveau, Anne-Andrée Denault et Stéphanie St-Pierre (dir.), La dimension oubliée des années 1968 : mobilisations de minorités nationales au Canada et aux États-Unis, Québec, Presses de l’Université Laval, 2023, 300 p., coll. « Culture française d’Amérique »
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François Paré
Université de Waterloo
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