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L’objectif de cet ouvrage collectif, fruit d’un colloque multidisciplinaire tenu à l’Université Simon Fraser (SFU, Burnaby, C.-B.) en 2019, est clairement annoncé dès son introduction : « Cet ouvrage est une vitrine sur la recherche actuelle consacrée à la francophonie et au français en Colombie-Britannique. » (p. 16) Si la visée principale est d’offrir cette « vitrine », ce tour d’horizon de la situation francophone dans l’Ouest, il nous paraît, après la lecture de l’introduction et des huit chapitres, que l’ouvrage dépasse largement son objectif initial. C’est, en fait, un regard élargi, particulièrement riche et nuancé que l’on y retrouve, un examen historique et contemporain des enjeux de cette francophonie qui évolue en contexte minoritaire et des défis que doit relever cette communauté diverse, plurilingue, unique.
Les deux premiers chapitres portent sur l’histoire et les luttes de la communauté francophone en Colombie-Britannique et retracent, de ce fait, la genèse du français et du système scolaire francophone de l’Ouest. Dans le premier chapitre, Nicholas Kenny (SFU) présente une analyse en profondeur de cette histoire. Des « pionniers » de Maillardville aux écoles fondées par les Soeurs de Sainte-Anne, en passant par le Chinook, Kenny montre que la francophonie de l’Ouest est et a toujours été plurielle et que cette communauté a évolué au gré des contacts, mais aussi au gré des luttes et des défis. Le deuxième chapitre poursuit cette discussion en examinant les débuts de l’instruction en français et en s’interrogeant sur l’équivalence des écoles francophones par rapport aux écoles anglophones. Pour ce faire, Emmanuelle Richez (Université de Windsor) présente deux causes qui se sont rendues devant la Cour suprême du Canada : celle de l’école Rose-des-vents et celle du Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique. Dans les deux cas, l’auteure fait état des embûches judiciaires auxquelles les requérants ont dû faire face et montre que, malgré l’adoption officielle du bilinguisme au Canada en 1969, il demeure des inégalités frappantes dans les ressources mises à la disposition des francophones en Colombie-Britannique.
Les trois chapitres suivants se focalisent sur les questions tout aussi importantes de la diversité, de l’inclusion et du plurilinguisme dans la francophonie britanno-colombienne. Dans le troisième chapitre, Trâm Lai-Tran (SFU) examine la construction de l’identité dans les écoles francophones de la province. Comme l’auteure le met bien en évidence, il s’agit d’un sujet particulièrement complexe, qu’on ne peut aborder sans, d’abord, constater la diversité de cette population : « Les écoles du CSF[1] accueillent des élèves provenant de plus de 70 pays et plus de 52 langues, autochtones et de migration, y ont été répertoriées. » (p. 75) Cela impose une conception plus large de cette communauté et, surtout, du rôle de l’école dans le soutien de cette identité francophone, mais aussi bilingue, plurilingue. Le quatrième chapitre (Sarah Schroeter, Université de Regina) se penche sur des questions ayant trait à la race dans les écoles francophones de la Colombie-Britannique et souligne d’emblée que « malgré le fait qu’il y a toujours eu une certaine diversité dans les écoles francophones, celle-ci a trop souvent été traitée comme étant nouvelle et, de ce fait, les besoins des élèves minorisés ne sont pas toujours reconnus ni priorisés. » (p. 84) C’est, effectivement, un point important qui est au coeur de ce chapitre, dont on ne parle pas assez, sans doute par peur de toucher aux sujets intrinsèquement épineux que sont le racisme et les inégalités systémiques. Le chapitre porte donc sur une étude réalisée dans une école francophone sur une période d’un an et sur une analyse des discours raciaux chez les élèves. Les résultats sont fascinants et ouvrent la voie à une discussion profonde sur la perception de soi et les stéréotypes, entre autres. La recherche de Schroeter montre qu’il y a encore beaucoup de chemin à faire dans l’inclusion des discours sur la race dans le programme scolaire, trop souvent mis à l’écart ou considérés comme « tabou[s] » (p. 108), mais qui font pourtant partie du quotidien des élèves. Toujours sous cet angle de l’identité, de la diversité et de l’appartenance, le cinquième chapitre aborde l’intégration des immigrants et des réfugiés francophones dans la région vancouvéroise. Ancré tant dans les politiques gouvernementales que dans la communauté, ce chapitre illustre les complexités de cet espace francophone qui est, d’une part, diversifié et, de l’autre, divisé. En adoptant une approche ethnographique et intersectionnelle, les auteures (UBC, SFU, Université d’Ottawa) proposent donc des pistes pour une inclusion et une intégration au sens large et, pour faire écho aux chapitres précédents, une reconceptualisation du fait francophone dans la grande région de Vancouver. La discussion présentée à la fin du chapitre (p. 122-125) est particulièrement saisissante non seulement parce qu’elle est très bien informée du point de vue politique et institutionnel, mais, surtout, parce qu’elle s’intéresse aux rôles et aux responsabilités de la communauté dans l’inclusion des personnes immigrantes ou réfugiées.
Les trois derniers chapitres de l’ouvrage se recentrent sur l’enseignement et les réformes scolaires. Le choix de conclure l’ouvrage par ces trois chapitres est pertinent, soulignons-le, puisque cela permet de faire le point sur les politiques et les enjeux traités dans les chapitres précédents. Dans le chapitre 6, Cécile Sabatier Bullock et Rémi Léger (SFU) examinent les politiques éducatives liées à l’enseignement et à l’apprentissage du français langue seconde dans la province. Ainsi, les auteurs expliquent clairement le Plan pour l’éducation (BC’s Education Plan) lancé en 2013 et s’intéressent aux implications de cette « vision renouvelée du système éducatif britanno-colombien » (p. 130). La discussion qui s’en suit fait état des effets de ces politiques sur l’ensemble de la communauté, sur l’enseignement du français en Colombie-Britannique et sur les défis auxquels font face le corps enseignant et les élèves. Dans le septième chapitre, un autre changement important est abordé, soit la mise en oeuvre, en 2016, d’un nouveau programme visant à intégrer des perspectives autochtones dans toutes les matières à l’école. Comme le précise l’auteure (Isabelle Côté, SFU), il ne s’agit pas seulement d’ajouter du « contenu » autochtone, mais aussi d’intégrer « des manières d’apprendre, d’appréhender et de comprendre le monde » (p. 150). Ce chapitre vise donc à explorer et à examiner les méthodes et les stratégies pédagogiques utilisées par les enseignants et les enseignantes allochtones afin d’intégrer des perspectives autochtones dans leur salle de classe. Cela donne lieu à des questions complexes portant sur ce que représentent ces perspectives autochtones ainsi que sur la formation et les ressources disponibles afin de les inclure dans l’enseignement. Enfin, dans le chapitre 8, Meike Wernicke (UBC) continue la discussion amorcée au chapitre 7 et explore, ici aussi, la décolonisation et l’autochtonisation du curriculum à la suite du renouvellement du programme en 2016. L’auteure s’interroge en particulier sur la formation offerte aux enseignants et aux enseignantes et sur le développement personnel en éducation. Après avoir présenté trois études sur le sujet, ses conclusions sont claires : la formation est continue et le succès passe aussi par la collaboration.
Une des grandes réussites de ce projet est qu’il parvient à montrer l’évolution de la situation générale des francophones de l’Ouest, tout en gardant le cap sur les enjeux actuels auxquels font face les écoles, le personnel enseignant, les parents et les élèves. Et si ce regard a su, par moments, mettre en avant la fragilité du français dans l’Ouest, il permet aussi de constater sa force, son histoire et sa richesse. Le terme « communauté », récurrent dans cet ouvrage et dans les problématiques qui y sont abordées, montre effectivement que la francophonie de l’Ouest est avant tout une communauté, un lieu de rassemblement et de collaboration où se définit et se redéfinit l’identité francophone de la Colombie-Britannique.
Appendices
Note biographique
Liza Bolen est titulaire d’un doctorat en études françaises de l’Université de la Colombie-Britannique. Elle est présentement professeure adjointe à l’Université du Nouveau-Brunswick. Ses recherches portent sur la mémoire sensorielle et sur les façons dont les sens influent sur la trame narrative de romans québécois contemporains, en particulier dans les récits de migration.
Note
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[1]
Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique.