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Parfois traitée comme un détail historique, l’Acadie est aussi souvent malmenée par ceux qui se sentent menacés par son existence et sa persistance. Peut-être que si on la connaissait mieux, elle serait vue autrement et appréciée dans toute sa complexité et sa diversité?

Landry, Pépin-Filion et Massicotte, 2021 : 7

Cette citation, en introduction de l’ouvrage L’état de l’Acadie, dirigé par Michelle Landry, Dominique Pépin-Filion et Julien Massicotte, se lit comme une invitation, une porte ouverte à la réflexion. Cet ouvrage d’envergure paru en 2021 comptait pas moins d’une centaine de courts textes (dont quelques-uns de notre cru) sur des sujets aussi divers que l’identité acadienne, la sociolinguistique minoritaire, l’éducation, l’environnement, le féminisme, la culture et les questions politiques. Les directeurs de l’ouvrage souhaitaient marquer la postérité en offrant un vaste tour d’horizon des enjeux contemporains en Acadie et montrer ainsi que cette « petite nation » (Bruce, 2018 : 129) est mue par les mêmes desseins et les mêmes questionnements que les grandes, malgré sa spécificité. Or, pour certains auteurs ayant contribué aux enjeux sociopolitiques discutés dans l’ouvrage, les textes que nous avons produits ont suscité de nouveaux questionnements, nous poussant à poursuivre notre réflexion. Les recherches présentées dans ce numéro spécial en sont le fruit.

Bien qu’étant sans territoire officiel, l’Acadie, à tout le moins dans la façon dont elle s’est organisée politiquement et institutionnellement, est ancrée dans le territoire des quatre provinces du Canada atlantique : le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse, l’Île-du-Prince-Édouard et enfin Terre-Neuve-et-Labrador, province où l’attachement à l’Acadie est le plus ambigu. Notre cher collègue prince-édouardien, Carlo Lavoie, nous a malheureusement quittés durant la préparation de ce numéro, laissant derrière lui une réflexion à poursuivre sur les services en français (2021) dans la plus petite province du pays. Le numéro spécial que nous présentons ici regroupe donc quatre textes, dont deux portent sur le Nouveau-Brunswick, un sur la Nouvelle-Écosse et un autre sur Terre-Neuve-et-Labrador.

Tout d’abord, dans la perspective de l’élection qui s’annonce cette année au Nouveau-Brunswick, Gabriel Arsenault et Roger J. Ouellette reviennent sur la thèse du « vote ethnique » chez les électeurs acadiens de cette province, en étudiant en profondeur le comportement des Acadiens aux élections provinciales de 1908 à 2020. Le portrait qu’ils dépeignent de la carte électorale néo-brunswickoise montre un profond clivage entre les électeurs des deux communautés linguistiques officielles. Ils notent que les francophones ont eu tendance à voter en bloc dans la province, plus que les anglophones, mais que les élections de 2020 font figure d’exception à cet égard. Ils jettent également un regard sur les tiers partis en faisant valoir que ces derniers ne répondent pas au clivage linguistique comme les deux partis traditionnels, le Parti libéral et le Parti progressiste-conservateur.

Ensuite, Michelle Landry s’intéresse également à l’espace politique néo-brunswickois l’abordant cette fois par la lorgnette la plus souvent oubliée, soit celle des municipalités. Elle montre pourquoi ce palier de gouvernement est pourtant d’une importance capitale pour la population francophone, étant le seul où cette dernière occupe un espace de pouvoir en tant que groupe majoritaire dans certaines régions de la province. Elle explique aussi pourquoi les efforts de municipalisation subséquents qui ont eu lieu depuis les dernières décennies, et notamment la dernière tentative de réforme de la gouvernance locale, ont davantage été pris au sérieux par la population acadienne de la province que par la majorité anglophone.

Rémi Léger nous amène pour sa part en terrain néo-écossais où, selon lui, un modèle de reconnaissance et d’habilitation unique au pays s’est mis en place depuis trois décennies. Ce modèle repose sur trois piliers : la Loi sur le Conseil scolaire acadien provincial (2023), la Loi sur les services en français (2011) et les circonscriptions électorales provinciales dites protégées ou exceptionnelles. Il définit chacun de ces trois piliers en portant une attention particulière aux avancées et aux reculs qui ont marqué leurs évolutions respectives. Il conclut en nous rappelant que le modèle néo-écossais demeure fragile, car, comme l’atteste l’histoire politique récente de la province, ses dispositions peuvent être révisées, voire abolies sans la consultation ni le consentement de la population acadienne.

Enfin, Stéphanie Chouinard nous propose une relecture de la thèse du nationalisme insulaire à l’aune de la présence française historique et contemporaine à Terre-Neuve-et-Labrador. Cette communauté francophone, la plus ancienne d’Amérique du Nord, mais également l’une des communautés dont la démographie est parmi les plus fragiles, érige un contre-discours à l’historiographie majoritaire selon laquelle la province aurait été fondée par trois nationalités – britannique, irlandaise, et écossaise – anglophones. Néanmoins, les trois régions de la province où la présence française est soutenue par les institutions communautaires demeurent mues par bon nombre des dynamiques internes qu’on retrouve auprès de la majorité, en particulier les rapports centre-périphérie qui sont entretenus entre la capitale, St. John’s, et les régions rurales que sont la péninsule de Port-au-Port et le Labrador.

De ces quatre textes se dégage un portrait original, qui ne prétend aucunement à l’exhaustivité, de l’Acadie contemporaine et de certains enjeux sociopolitiques qui s’y présentent aujourd’hui, tels que le rapport à ses majorités provinciales et les lieux de pouvoir (aussi élusifs qu’ils puissent être) qui lui sont propres. À l’aube d’un grand retour vers « le berceau de l’Acadie », le prochain Congrès mondial acadien ayant lieu cet été dans la région de la Baie Sainte-Marie en Nouvelle-Écosse, les constats qui se dégagent des quatre textes contribueront, c’est notre souhait, à la poursuite des réflexions sur les forces et les défis de l’Acadie, comme entité politique contemporaine.