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INTRODUCTION ET CONTEXTE

L’école contemporaine fait face à une complexité croissante des mandats d’instruction, d’éducation et de qualification (Tardif et Borgès, 2009); d’équité et de performance (Fullan, 2023; Morrissette et Audet, 2018); de bonheur et de bien-être (Jackson et Bingham, 2018; Marsollier, 2017) dans un environnement de travail en évolution rapide, mondialisé et hautement compétitif. Transformer ces organisations tant sur le plan structurel que fonctionnel semble une nécessité, comme le prouvent les récentes réformes curriculaires en mathématiques et en sciences dans la province de l’Ontario (Ministère de l’Éducation de l’Ontario [MEO], 2022) ainsi que l’émergence de nouveaux concepts tels que l’école communautaire (Deslandes, 2019) et l’École communautaire citoyenne (Fédération nationale des conseils scolaires francophones [FNCSF], 2012). Dans ce sens, l’intégration efficace des parents en salle de classe en tant que parties prenantes semble prometteuse pour la réussite scolaire (comprise comme allant au-delà des résultats des tests standardisés). Corneloup (1991) souligne que c’est à travers des actions et des activités réalisées en commun, ainsi qu’en mutualisant les capacités, les spécialités et les possibilités matérielles de chacun que les parents prendront conscience des réalités vécues en salle de classe par leur enfant en tant qu’apprenant, mais aussi par les enseignantes et les enseignants. Alors que l’école contemporaine doit se transformer pour répondre aux enjeux éducatifs actuels, il est également crucial de considérer comment ces transformations s’inscrivent dans un contexte plus large, où la gestion de la diversité culturelle et la création d’un environnement inclusif deviennent des impératifs pour les directions d’école.

Culture et rôle culturel de l’école

L’éducation est confrontée à des défis complexes tels que l’exploitation incontrôlée des ressources naturelles, l’exclusion sociale et l’accentuation des inégalités, créant ainsi une crise multidimensionnelle (Morin, 2014). Pour relever ces défis, il est essentiel de replacer l’apprenant au coeur de la « communauté de destin » prônée par Morin et sa théorie de la complexité (Morin, 1999; Serina-Karsky et Mutuale, 2020). Les directions d’établissements scolaires développent une vision inclusive, bien que la mise en pratique soit souvent complexe (Rebetez et Ramel, 2021). La gestion de la diversité ethnoculturelle, linguistique et religieuse est cruciale (Berger et Heller, 2001; Gélinas-Proulx et al., 2014; Toussaint, 2010). Cela nécessite des compétences de gestion spécifiques, notamment en tenant compte de la Loi constitutionnelle de 1982. Dans un contexte de responsabilisation croissante, un des rôles déterminants pour les directions d’école est de se réinventer sur le plan managérial pour assurer la réussite éducative des élèves (Lapointe et Gauthier, 2005; Teddlie et Stringfied, 2007). Comme le soulignent les auteurs IsaBelle et Labelle (2017), les différentes études menées sur le sujet semblent toutes converger vers un minimum de neuf domaines de pratiques et actions dont les directions d’école ont besoin afin de générer un effet mesurable et positif sur la réussite de leurs élèves (Anderson et al., 2013). Parmi ceux-ci, on peut citer l’instauration d’une culture d’école axée sur l’harmonie, la sécurité et la collaboration, mais aussi et surtout l’engagement des parents et de la communauté. Au Québec, les travaux des auteurs Bouchamma et al. (2017) ont montré que la démarche cognitive, la communication, l’interaction et la coopération, le leadership et le sens politique, l’évaluation et la régulation ainsi que l’éthique font partie des pratiques gagnantes et des compétences transversales observées des directions d’école en situation de supervision pédagogique.

Cette approche institutionnelle repose sur une vision commune coconstruite et plurielle des apprentissages (et non de l’apprentissage), de l’enseignement et de l’éducation, partagée selon des critères définis par les acteurs eux-mêmes. Dès lors, dans quelle mesure le coenseignement parent-enseignant, pourrait-il influencer le leadership pédagogique des directions d’école et les structures éducatives? Pour répondre à cette question, cet article a comme objectifs de présenter et de discuter les résultats du projet pilote « Parent partenaire en enseignement » mis en place durant l’année 2022-2023, au sein d’une école secondaire francophone en Ontario. La conception méthodologique inspirée de la démarche itérative de recherche-développement (Bergeron et al., 2020) et des travaux de recherche de Corneloup (1991), Cortat (2018), Périer (2021) et Tremblay (2022) permet de positionner de manière efficace et pérenne les parents en tant que véritables coconstructeurs de l’enseignement.

CONCEPTUALISATION THÉORIQUE

La collaboration au sein du système éducatif actuel repose sur des dynamiques complexes qui évoluent autour de concepts interdépendants tels que le partenariat, le coenseignement et le leadership partagé (Spillane et al., 2004), chacun jouant un rôle crucial dans la création d’un environnement éducatif inclusif, collaboratif et orienté vers la réussite collective (Hargreaves et Fink, 2006; Harris, 2009).

Il est à noter que certains auteurs situent la collaboration entre parents et enseignantes et enseignants plutôt dans le cadre de la coéducation. Périer (2021) argue que la coéducation implique une démarche active des parents dans le processus éducatif de leurs enfants, englobant des aspects tant éducatifs que sociaux. Cependant, dans cet article, il est justifié de nommer ce type de collaboration « coenseignement » plutôt que « coéducation » dans la mesure où les parents participent directement à des activités que nous qualifions d’éducatives-pédagogiques en contexte scolaire, collaborant avec les enseignantes et les enseignants notamment dans la planification, l’enseignement et l’évaluation des apprentissages des élèves. Cela va au-delà de la simple implication ou soutien à domicile et implique une véritable intégration des parents dans le processus éducatif en tant que coenseignants, partageant les responsabilités et les décisions éducatives avec les enseignantes et les enseignants dans un cadre scolaire formel. Ce niveau élevé d’engagement des parents, lorsque bien structuré et soutenu par les directions d’école, pourrait enrichir l’expérience d’apprentissage des élèves et renforcer les liens entre l’école et la famille.

Partenariat en enseignement

Le terme « partenariat » trouve son origine dans le français du XVIIIe siècle, dérivé de parçuner et signifiant « propriétaire indivis, copartageant » (Mérini, 1998). Initialement décrit dans un contexte économique et politique (Tremblay, 2003), le partenariat revêt diverses formes. Landry (1994) le définit comme une entente entre des parties qui, de manière volontaire et égalitaire, partagent un objectif commun en utilisant leurs ressources respectives de manière convergente. Henripin (1994) décrit le partenariat comme une relation équitable entre plusieurs parties, chacune ayant sa mission, travaillant en étroite collaboration pour atteindre un objectif commun, avec des rôles clairs, des valeurs partagées et des bénéfices mutuels. Dans sa forme la plus commune, un partenariat est une coopération entre organisations visant à résoudre un problème commun (Bélanger et al., 2011). Au cours des deux dernières décennies, les partenariats éducatifs sont devenus courants (Bélanger et al., 2011; Henripin, 1994). Souvent, il s’agit de projets pédagogiques bipartites impliquant deux enseignantes ou enseignants partageant le projet éducatif de la classe ainsi que le temps d’enseignement.

Coenseignement

Il n’existe pas de consensus sur la définition du coenseignement, ce qui témoigne de la complexité de ce processus. Au cours du XXe siècle, différents auteurs ont proposé diverses configurations de travail pour clarifier cette pratique. Par exemple, Tremblay (2010) définit le coenseignement comme un partage des responsabilités éducatives (co-intervention) entre deux ou plusieurs professionnels de l’éducation (généralement une enseignante ou un enseignant ordinaire ou spécialisé), travaillant simultanément avec un même groupe d’apprenants pour atteindre des objectifs spécifiques. De leur côté, Villa et al. (2013) décrivent le coenseignement comme une méthode inclusive conçue pour répondre aux besoins diversifiés des élèves en combinant les compétences de différents coenseignants. Quatre configurations de travail sont proposées par les auteurs, dont le coenseignement en équipe pour lequel la planification (coplanification), l’enseignement (coenseignement), l’évaluation (coévaluation), ainsi que la responsabilité du groupe et des apprentissages sont partagés en groupes classes. Cette configuration est semblable à l’enseignement en tandem proposé par Friend et Cook (2010). Harent (2023) décrit le coenseignement comme un double processus temporel, qui nécessite notamment des discussions, des observations et des ajustements, et collaboratif qui implique une copréparation, une co-instruction et une coévaluation. De plus, le coenseignement prône l’inclusivité en soutenant l’intégration des élèves en difficulté (Milot et Trépanier, 2005). Harent (2023) mentionne que pratiquement tous ceux qui oeuvrent à l’école de près ou de loin (en l’occurrence les parents bénévoles) peuvent être considérés comme des coenseignants. Malgré ces approches variées, l’absence de définition unique souligne la nature multidimensionnelle, évolutive et adaptative du coenseignement.

Leadership partagé entre parents, enseignantes et enseignants, et direction d’école

Le concept de leadership partagé en contexte d’enseignement s’est développé au fil du temps, soulignant l’importance de la répartition des responsabilités de leadership au sein des organisations éducatives pour améliorer les pratiques et le rendement des élèves (Spillane et al., 2004).

Cette perspective est renforcée par Lacroix (2018), qui propose un modèle de « gouvernance multijoueur » créant un espace propice à l'exercice d'un leadership véritablement partagé. Les différents « joueurs » travaillent ensemble pour instaurer une dynamique où les décisions sont partagées, permettant à chacun d’avoir une voix dans le processus de gouvernance scolaire, bien que leur pouvoir décisionnel varie selon leur rôle. Ces acteurs clés incluent la direction d’école qui orchestre le leadership partagé et favorise un environnement de collaboration; les enseignantes et enseignants qui participent activement à la prise de décisions et au leadership pédagogique; les parents, partenaires éducatifs, dont la participation active dans la prise de décisions et l’engagement dans la vie scolaire est encouragée; les élèves impliqués à titre consultatif dans la création d’un environnement d’apprentissage qui répond à leurs besoins; le personnel de soutien jouant un rôle crucial dans le fonctionnement de l’établissement; et enfin la communauté éducative élargie qui peut avoir un effet sur l’école (Lacroix, 2018). Une approche de leadership partagé entre enseignantes, enseignants et parents, axée sur le coenseignement, pourrait contribuer à créer un environnement propice au « vivre ensemble » (Morin, 2014) et favoriser la réussite et l’épanouissement des élèves (Périer, 2021).

Ce modèle de leadership partagé en contexte de coenseignement parent-enseignant soulève des questions cruciales pour les directions d’école. Harris (2009) suggère que les directions doivent envisager des ajustements organisationnels pour intégrer efficacement les parents dans le processus d’enseignement, incluant la création de politiques de collaboration, la formation des enseignantes et enseignants et des parents, et la mise en place de mécanismes de communication fluides. En ce sens, ce type de leadership nécessite une impulsion de la part de la direction d’école pour encourager l’initiative des autres professionnels, élèves et parents. Elle joue un rôle clé en créant les conditions favorables en influençant la confiance des enseignantes et enseignants dans la prise de nouvelles responsabilités. Leur comportement est donc déterminant pour le succès du leadership partagé au sein de l’école. Les directions doivent également développer des compétences spécifiques pour soutenir le coenseignement, telles que la facilitation de la collaboration, la médiation des conflits et la promotion de l’engagement parent-enseignant (Louis et Murphy, 2017). En adoptant un modèle de leadership partagé tripartite parent-enseignant-direction, les directions d’école peuvent créer un environnement propice à la coopération et à l’innovation, en assurant la liaison entre les enseignantes et enseignants, et les parents tout en soutenant et en valorisant les contributions de chacun. Elles doivent aussi se concentrer sur le développement professionnel continu des enseignantes et enseignants, et des parents, en leur fournissant les ressources et les formations nécessaires pour réussir dans un cadre de coenseignement (Hargreaves et Fink, 2006). En promouvant une culture de la collaboration, les directions peuvent surmonter les obstacles potentiels et renforcer le sentiment d’appartenance et de communauté parmi toutes les parties prenantes.

CONCEPTION MÉTHODOLOGIQUE

Le projet pilote décrit dans cet article trouve ses racines dans un contexte professionnel spécifique, où l’objectif premier était l’amélioration de la pratique enseignante et l’engagement des élèves ainsi que celui de leurs parents (ou tuteurs, le cas échéant) en situation postpandémique.

En septembre 2022, une enseignante débutante inscrite au Programme d’insertion professionnelle du nouveau personnel enseignant (PIPNPE), et qui deviendra l’année suivante coauteure de cet article, avait la responsabilité d’une classe mixte de 7e et 8e année au sein d’un conseil scolaire francophone du sud de l’Ontario. Pour l’enseignant participant, établir dès la rentrée des relations positives avec les parents, notamment en maximisant leur implication dans le processus d’apprentissage de leurs enfants, est une nécessité de première importance. Plusieurs questions ont servi de point de départ, puis de fil conducteur à l’émergence de ce projet pilote, par exemple : « Comment impliquer activement les parents dans le processus d’apprentissage de leur enfant? »; « Comment motiver les élèves et les engager grâce à des stratégies d’enseignement et d’apprentissage originales et à haut rendement? »; « Comment établir une communication et un partenariat exceptionnels avec les parents d’élèves de manière innovante, originale et durable? »; et plus largement : « Comment engager concrètement les parents en salle de classe pour motiver et améliorer le rendement global des apprenants? » Ceci fait écho aux travaux de Périer (2021) qui soulignent l’importance pour les parents et les enseignantes et enseignants du « faire ensemble » pour la réussite, le bien-être et l’épanouissement de chaque apprenant. Ces interrogations ont émergé du propre vécu de l’enseignant participant, désireux d’améliorer l’expérience éducative de ses élèves et de créer un environnement d’apprentissage engageant, original, ludique et inclusif.

Compte tenu de l’absence de précédents ou de projets similaires dans la recherche en éducation, cette initiative a été entreprise en vue d’une croissance professionnelle et personnelle, tout en envisageant les bénéfices potentiels qu’elle pourrait apporter à ses élèves, à leurs parents, à la direction scolaire, ainsi qu’à ses pairs. Il s’agit d’une approche exploratoire et novatrice, où le projet pilote lui-même a évolué en un processus de recherche-développement (Bergeron et al., 2020) et dont l’objectif, à terme, est de créer un modèle de coenseignement parent-enseignant. Un journal de bord a été choisi comme principal instrument de collecte de données. Il a été utilisé pour documenter les étapes du développement, notamment la coplanification et le coenseignement, les actions, les réactions, les commentaires et interventions des parents, des élèves, et de la direction, ainsi que les ajustements apportés aux interventions. Le journal de bord a également permis de consigner les réflexions et décisions personnelles du chercheur (enseignant) sur le processus. Les entrées ont été effectuées de manière systématique, avec des réflexions méticuleuses et une révision régulière pour éviter les biais. Les données du journal de bord ont été analysées qualitativement, en identifiant des catégories récurrentes et leurs caractéristiques en lien avec le processus de coenseignement. Ces données ont été triangulées avec des entretiens informels avec la direction d’école et les parents, et des billets de sortie pour les élèves afin de renforcer la validité des conclusions. Les résultats de l’analyse ont été interprétés pour décrire et redéfinir le coenseignement parent-enseignant et le rôle de la direction dans cette démarche d’enseignement-apprentissage. La méthodologie adoptée a permis de répondre aux objectifs de ce projet pilote, contribuant ainsi à la compréhension du processus de développement en fournissant des éclairages précieux et en permettant des ajustements continus.

Participants

L’échantillon pour ce projet pilote incluait trois classes d’élèves de niveaux hétérogènes. L’une était une classe mixte de 7e et 8e année (classe A), tandis que les deux autres étaient exclusivement de 8e année (classes B et C). Certains élèves disposaient de Plans d’enseignement individualisés (PEI), et d’autres étaient inscrits au Programme d’appui aux nouveaux arrivants (PANA) (Tableau 1). Les parents volontaires, principalement francophones à l’exception d’un parent anglophone, se sont engagés activement dans des activités d’apprentissage en lien avec différentes matières enseignées, en l’occurrence les mathématiques, les sciences et les arts (Tableau 2). La plupart d’entre eux avaient un emploi et ont dû prendre des dispositions, voire demander un congé à leur employeur, pour participer aux ateliers de coenseignement avec l’enseignante ou l’enseignant participant aux côtés de leur enfant. Les ateliers se sont déroulés mensuellement, sur huit mois par blocs de 75 minutes, de novembre 2022 à juin 2023, avec une variété de formats et d’horaires pour maximiser la participation des parents (Tableau 3).

Entre septembre et novembre 2022, le projet pilote a été validé auprès de la direction d’école puis présenté à toutes les parties prenantes, tandis que le recrutement continu des parents coenseignants a eu lieu tout au long de l’année scolaire. Cette diversité d’acteurs visait à recueillir une variété de perspectives et d’expériences liées au coenseignement parent-enseignant.

Tableau 1

Participants – Élèves

Participants – Élèves

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Tableau 2

Participants – Parents coenseignants

Participants – Parents coenseignants

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Mise en place du processus de coenseignement parent-enseignant

La mise en oeuvre de ce projet pilote a suivi une méthode rigoureusement planifiée, séquencée et encadrée par la direction d’école afin de créer une expérience éducative enrichissante et collaborative pour tous les élèves participants. La démarche de coenseignement implémentée comprenait trois dimensions distinctes (Villa et al., 2013) : la coplanification, le coenseignement (enseignement partagé proprement dit) et la coévaluation.

Coplanification

Coplanifier implique une étroite collaboration entre la direction, les parents coenseignants et l’enseignante ou l’enseignant. Ils ont sélectionné de manière concertée la salle de classe, déterminé les dates et le nombre de blocs de coenseignement, favorisant une coordination efficace (Corneloup, 1991; Tremblay et Toullec-Théry, 2020). Ensemble, ils ont également choisi des thèmes alignés sur les objectifs pédagogiques, facilitant une approche constructiviste avec l’expertise des parents. De plus, un budget approuvé par la direction a été utilisé pour l’achat de matériel adapté à chaque atelier. L’enseignement explicite a été utilisé et les activités ont été planifiées en lien avec les curricula, pour garantir leur pertinence. La communication régulière entre les parents coenseignants, l’enseignante participante ou l’enseignant participant et la direction a été essentielle pour maintenir une intégration positive des parents en salle de classe, et assurer une collaboration efficace tout au long de la phase de coplanification (Chemouny, 2014; Sénore, 2010; Cortat, 2018).

Tableau 3

Calendrier des ateliers de coenseignement parent-enseignant

Calendrier des ateliers de coenseignement parent-enseignant

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Coenseignement et coévaluation

Le coenseignement a été caractérisé par une approche constructiviste et humaniste, qui tenait compte de la personnalité de chaque parent coenseignant. Lors des ateliers, les parents étaient naturellement en position de « responsable spécialiste » jouant un rôle prédominant dans l’animation (Corneloup, 1991). Les étapes clés de cette phase d’enseignement partagé comprenaient une introduction et un mot de bienvenue par la direction de l’école (directrice ou directeur adjoint); une mise en contexte de la tâche authentique par le parent et/ou l’enseignante participante ou l’enseignant participant; une période d’exploration menée par le parent avec l’appui de l’enseignante participante ou l’enseignant participant; une période de consolidation/objectivation conduite par ce dernier sous forme de discussion en groupe classe et d’un billet de sortie pour les élèves assorti de deux questions ouvertes (« Qu’as-tu appris? »; « Comment peux-tu lier la leçon d’aujourd’hui avec le monde réel? »); et enfin, une cogestion de classe parent-enseignant.

Cette procédure méthodique a permis la mise en place réussie des ateliers coenseignés avec les parents et a favorisé une approche pédagogique novatrice, alignée sur les besoins des élèves et les objectifs pédagogiques de l’établissement scolaire.

INTERPRÉTATION DES RÉSULTATS

Le projet pilote « Parent partenaire en enseignement » a permis de révéler l’importance cruciale du leadership partagé instauré par la direction de l’école.

Leadership partagé de la direction d’école en contexte de coenseignement parent-enseignant

Le leadership partagé s’est manifesté à travers quatre dimensions essentielles : 1) la collaboration, 2) la communication, 3) la promotion de l’engagement et 4) l’allocation des ressources (Hargreaves et Fink, 2006; Harris, 2009; Louis et Murphy, 2017).

Collaboration

La direction d’école a joué un rôle central dans la facilitation et la validation des divers aspects liés aux ateliers de coenseignement, assurant ainsi une collaboration efficace entre les enseignantes et les enseignants, les parents et l’ensemble de l’équipe éducative (Louis et Murphy, 2017). La collaboration entre la direction de l’école primaire et celle de l’école secondaire a été primordiale pour assurer le bon déroulement des ateliers. Situées au sein du même établissement, les écoles élémentaire et secondaire partagent certains espaces clés, tels que le gymnase, la cafétéria – où s’est partiellement déroulé le quatrième atelier de coenseignement – et la cour de l’école. Cette situation a nécessité une coordination minutieuse entre les deux directions pour garantir que les ateliers se déroulent de manière harmonieuse et sans interruption. Les dates des ateliers ont été coordonnées par la direction qui a pris en compte le calendrier mensuel des activités des deux niveaux scolaires, ce qui a permis de minimiser les conflits d’emploi du temps et d’assurer une utilisation efficace des espaces communs.

Le déroulement de ces ateliers ne s’est pas limité à l’effort des enseignantes ou enseignants et des parents, mais a également reposé sur la participation active de l’ensemble du personnel enseignant et du personnel de soutien. Les équipes d’éducation spécialisée et d’aides-enseignantes et d’aides-enseignants ont joué un rôle crucial, notamment pour accompagner les élèves ayant des besoins spéciaux. L’enseignante-ressource ou l’enseignant-ressource, et l’enseignante-accompagnatrice ou l’enseignant-accompagnateur du Conseil ont apporté leur expertise pour adapter les activités pédagogiques et assurer l’inclusion de tous les élèves. L’équipe administrative et les concierges ont également contribué au bon déroulement des ateliers en assurant un accueil chaleureux et organisé des parents participants, ainsi qu’une préparation optimale des espaces partagés.

De plus, la direction s’est impliquée directement dans la validation des thèmes des ateliers, veillant à ce que ces derniers soient en accord avec les attentes des curricula en vigueur en Ontario. En alignant les ateliers sur les objectifs éducatifs de l’école, la direction a renforcé la pertinence pédagogique de ces séances de coenseignement parent-enseignant, assurant ainsi une cohérence avec le projet éducatif global. La validation de la participation des parents bénévoles a également été sous la responsabilité de la direction d’école, qui a facilité ce processus en collaborant étroitement avec les parents coenseignants et l’enseignante ou l’enseignant participant titulaire. Cette collaboration a créé un environnement inclusif et encourageant pour la participation des parents, renforçant ainsi leur rôle dans le processus éducatif et pédagogique.

En outre, la direction a promu activement la collaboration en soutenant les enseignantes et les enseignants et les parents dans leur travail d’équipe (Corneloup, 1991). Cela a nécessité des compétences en communication et en gestion de groupe, ainsi qu’une attitude ouverte et inclusive de la part de la direction. En créant un climat de confiance et de respect mutuel, la direction a permis de renforcer le partenariat entre l’école et les familles (Sénore, 2010).

Communication

La communication entre les différentes actrices et les différents acteurs a été un autre pilier important. La direction d’école a joué un rôle de facilitateur en encourageant une communication ouverte, efficace, fluide et régulière, nécessaire entre l’enseignante ou l’enseignant et les parents (Chemouny, 2014), et en dirigeant l’attention de la communauté scolaire vers une nouvelle pratique de coenseignement parent-enseignant. Des actions conjointes de la direction d’école et de l’enseignante participante ou l’enseignant participant, telles que l’envoi d’une infolettre mensuelle aux parents, des discussions ciblées lors de réunions périodiques du conseil des parents de l’école et des réunions du personnel ont favorisé une compréhension mutuelle des objectifs pédagogiques et des rôles de chacun. Les parents ont également endossé un rôle actif dans cette communication plurielle en relayant dans leur entourage leur participation au projet pilote et en adoptant une double posture assumée de parent d’élève et parent-coenseignant au sein de l’établissement. Cette communication transparente a contribué au renforcement du climat de confiance et à clarifier les attentes, ce qui est essentiel pour le succès de toute initiative collaborative (Cortat, 2018).

Promotion de l’engagement

Bien que leur rôle direct dans les ateliers de coenseignement ait été limité, la direction de l’école a joué un rôle essentiel dans la mise en oeuvre du projet pilote en fournissant un soutien institutionnel crucial (Louis et Murphy, 2017). L’intégration des parents et l’introduction formelle des ateliers au sein de l’établissement scolaire ont eu un effet significatif sur les responsabilités de la direction d’école, nécessitant des interventions spécifiques pour promouvoir l’engagement des parents coenseignants. La direction a notamment assuré un accueil chaleureux des parents au bureau principal, ce qui a renforcé leur sentiment d’appartenance et d’implication. De plus, elle a signé des cartes de remerciement au nom de l’école, valorisant ainsi la contribution des parents coenseignants et soulignant leur rôle essentiel dans le processus éducatif et pédagogique. Les visites de la direction en salle de classe durant les ateliers, une étape marquante du projet, a démontré un soutien tangible et a renforcé le lien entre l’administration, le personnel enseignant et non enseignant, les parents et les élèves. Cette présence active a permis d’établir une relation de confiance solide avec toute l’équipe-école, essentielle pour le succès à long terme du projet (Granger et Tremblay, 2020).

En parallèle des interventions directes, la direction a également contribué à la diffusion et à l’engagement en lien avec les ateliers de coenseignement. Elle a facilité l’exposition des travaux des élèves en salle de classe, permettant aux parents de partager leurs réalisations avec l’ensemble de la communauté scolaire. En outre, la direction a encouragé l’utilisation de la vitrine principale de l’école, située au bureau d’accueil, pour mettre en valeur les réussites des élèves et des parents coenseignants. Cette visibilité accrue a renforcé le sentiment d’accomplissement et d’appartenance au sein de l’établissement.

Un aspect clé de cette dynamique d’engagement a été la cocréation d’un projet d’école commun communautaire, fruit de la collaboration entre la direction, le personnel de l’école, les parents, et les élèves. Ce projet, élaboré de manière collective, a servi de catalyseur pour renforcer les liens entre tous les acteurs de la communauté scolaire, tout en offrant un cadre structuré et formel pour les initiatives futures. La cocréation de ce projet commun de leadership pédagogique a également permis de consolider la vision partagée de l’école et de renforcer l’engagement des parents, en les intégrant pleinement dans le processus de décision et de mise en oeuvre.

Allocation des ressources

La gestion et l’allocation des ressources ont été un aspect crucial du soutien apporté par la direction d’école dans le cadre de ce projet pilote. En plus de faciliter la collaboration, la communication et l’engagement, la direction a veillé à ce que les ressources humaines, matérielles et financières nécessaires soient disponibles pour le bon déroulement des ateliers (Hargreaves et Fink, 2006). Ce soutien matériel a permis de lever les obstacles potentiels à la participation des parents et a garanti que les ateliers puissent se dérouler dans des conditions optimales. En fournissant des structures appropriées et des incitations pour encourager la participation des parents, la direction a démontré un engagement concret envers la réussite du projet. Ce soutien a permis non seulement de faciliter la mise en oeuvre des ateliers, mais aussi de renforcer la durabilité de cette initiative, en assurant que les ressources adéquates soient allouées en fonction des besoins identifiés. Cette approche proactive et collaborative de la gestion des ressources a été essentielle pour créer un environnement d’apprentissage de qualité, à la fois pour les élèves et pour les parents impliqués.

DISCUSSION ET CONCLUSION

Ce projet pilote offre des perspectives de recherche pour approfondir la compréhension des dynamiques de coenseignement et de l’engagement des parents dans le processus d’apprentissage de leurs enfants. L’action de coenseigner repose sur des conditions et des valeurs spécifiques (Harent, 2023), impliquant le partage des savoirs au sein de ce que Granger et Tremblay (2020) appellent le « mariage pédagogique ». Les actions incluent la coplanification, le coenseignement en classe et la création d’une situation d’enseignement authentique, permettant aux élèves de bénéficier de différentes perspectives et expertises. L’introduction des ateliers de coenseignement avec les parents a renforcé le partenariat entre l’école, les parents et les élèves, créant un environnement éducatif dynamique et inclusif. La direction d’école a joué un rôle central dans le succès du coenseignement parent-enseignant en apportant des compétences en leadership pédagogique, en favorisant la collaboration et en soutenant la restructuration éducative (Granger et Tremblay, 2020). Toutefois, il apparaît essentiel que les directions mettent en oeuvre des actions concrètes telles que des programmes de formation continue et la promotion de la sensibilisation pour renforcer la qualité et l’efficacité de cette pratique au sein de leur établissement scolaire. Elle peut également faciliter la communication avec les parties prenantes, en l’occurrence les enseignantes et les enseignants, les parents, le personnel de l’école et les élèves, pour assurer une compréhension commune de la démarche.

En plus des avantages directs liés à la pratique du coenseignement parent-enseignant, ce projet pilote a engendré diverses retombées positives. En termes généraux, il a favorisé la professionnalisation de la communauté éducative en permettant aux parents d’acquérir une expérience pédagogique précieuse et en renforçant la qualité de la pratique enseignante. Le projet a également encouragé le partage de pratiques gagnantes entre enseignantes et enseignants et parents, tout en favorisant l’inclusion des parents et enseignantes ou enseignants immigrants grâce à un échange interculturel fructueux. Par exemple, un parent ayant participé aux ateliers fait maintenant partie du conseil d’école des parents, renforçant ainsi leur voix et leur influence au sein de l’établissement scolaire. De plus, un autre parent participant a intégré un programme de formation à l’enseignement, témoignant ainsi de l’influence positive de cette pratique sur les choix de carrière.

Limites et perspectives

Les données collectées fournissent une base pour des études futures, explorant les effets à long terme sur les élèves, les parents, les enseignantes et les enseignants, la direction d’école et l’établissement scolaire dans son ensemble. Dans ce sens, il serait intéressant de comparer ces résultats avec d’autres modèles d’engagement des parents pour identifier les meilleures pratiques.

En ce qui concerne l’évolution de la pratique enseignante, ce projet pilote a démontré le potentiel de collaboration entre les enseignantes, les enseignants et les parents pour améliorer l’engagement, la motivation, le bien-être et le rendement des élèves. Les ateliers de coenseignement ont créé un environnement éducatif engageant, motivant et inclusif. Les leçons apprises de ce projet pourraient être diffusées au sein de la communauté éducative pour bénéficier à un plus grand nombre d’élèves, de parents et de directions d’école. Ainsi, la direction d’école devra envisager d’élaborer des guides, des programmes de formation adaptés et d’autres ressources à visée pédagogique pour les enseignantes et enseignants, et les parents qui souhaiteraient s’engager dans un atelier de coenseignement. Les leaders pédagogiques sont également invités à encourager activement la collaboration entre les enseignants et les enseignants, et les parents coenseignants en créant par exemple des espaces et des occasions pour le partage de bonnes pratiques. Cela pourrait se faire par le biais de réunions régulières, d’ateliers de partage d’expériences et de la création de groupes de travail. Sensibiliser l’ensemble de la communauté scolaire aux avantages du coenseignement parent-enseignant et offrir des occasions de formation continue permettrait de maintenir et de développer les compétences nécessaires. Enfin, bien que le coenseignement parent-enseignant puisse être une pratique novatrice, les directions d’école pourraient jouer un rôle clé en devenant des modèles de leadership inspirants. Même en l’absence d’exemples connus en contexte francophone minoritaire, les directeurs d’école peuvent démontrer un engagement profond envers le coenseignement en montrant leur soutien actif et leur participation (Granger et Tremblay, 2020). Leur leadership inspirant pourrait, de ce fait, encourager d’autres écoles à adopter cette pratique et à explorer de nouvelles voies pour le partenariat école-familles.