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CONTEXTE

L’école, comme lieu de socialisation, n’est pas culturellement neutre, car elle reproduit les valeurs et les modes de pensée privilégiés des classes dominantes (Feyfant, 2011). Ces valeurs et ces modes de pensée sont incités par des politiques éducatives quant à la participation parentale; ces dernières envoient d’importants messages sur les valeurs qu’elles accordent au rôle des familles immigrantes, à leur implication ainsi qu’à la prise en compte de leurs habitus familial dans la scolarisation et la socialisation de leurs enfants. Or, il peut exister un décalage entre les politiques, les pratiques scolaires (Cohen et al., 2007) et parentales (Larivée et al., 2015). Selon Cohen et al. (2007), les décideurs politiques définissent les problèmes, y compris les finalités normatives et intellectuelles, proposent des solutions et distribuent les ressources. La définition des problèmes et de leurs causes, ainsi que leurs solutions potentielles sont façonnées par des idéologies, de nombreux intérêts locaux, régionaux et politiques, ainsi que par une quête de légitimité de leurs actions. Or, dans la façon dont est formulée la définition des problèmes et des solutions, le personnel enseignant y est ciblé parfois comme en étant la source (Cohen et al., 2007). Ces politiques représentent la vision et la compréhension d’une classe dirigeante et dominante où leurs valeurs et leurs modes de pensée sont privilégiés. À titre d’exemple, les choix des matières scolaires et des contenus curriculaires axés sur la préparation aux études postsecondaires sont une manière de concevoir les finalités normatives de l’éducation qui peuvent privilégier certains groupes d’élèves par rapport à d’autres (Conseil Supérieur de l’Éducation, 2016). Même s’il peut être légitime que l’école tende à vouloir « former une élite, à développer tous les talents jusqu’à leur niveau le plus élevé, les décalages surviennent lorsque tout son fonctionnement s’inscrit en ce sens » (Dubet et al., 2015, p. 104), on disqualifie certains savoirs, savoir-faire et savoir-être au détriment d’autres compétences, par exemple, professionnelles. Ces décalages peuvent parfois engendrer des incompréhensions notamment, chez le personnel scolaire et les parents, par le flou quant au rôle et à la participation préconisés par l’école.

L’évolution des politiques éducatives quant aux rôles et à l’implication parentale en Ontario

En Ontario, des amendements de la Loi sur l’éducation et des rapports d’études ont tenté de définir progressivement le rôle des parents et de leur contribution à la gouvernance, y compris au fonctionnement de l’école et à la réussite des élèves (Lessard, 2006). En 1980, la loi 82 vise d’abord la participation et l’inclusion des élèves en difficulté en promouvant la mise en place d’un programme spécifique et d’un comité consultatif permettant la représentation des parents d’élèves.

Puis, les changements apportés au cours des années 1990 cherchent à rendre les parents plus actifs dans l’amélioration de l’école et dans les résultats des élèves. Dans la même veine, ces changements visent aussi à rendre le personnel scolaire imputable à leur égard (Lessard, 2006). Au cours des années 2000, le ministère se dote d’une vision de la participation des parents et de quatre stratégies pour favoriser cette participation (ex. : promouvoir des valeurs de respect, d’accueil et d’appréciation, offrir diverses occasions de participation à la réussite scolaire, entretenir une communication et un dialogue constant, offrir les renseignements et outils pour favoriser la participation des parents) (ministère de l’Ontario, 2010). Dans le tableau suivant, nous offrons un survol des politiques éducatives en Ontario.

Tableau 1

Historique des lois et des rapports menant à la politique de participation des parents en Ontario quant aux changements dans leurs responsabilités

Historique des lois et des rapports menant à la politique de participation des parents en Ontario quant aux changements dans leurs responsabilités

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En somme, bien que les premières politiques visent des groupes spécifiques d’élèves, nous observons progressivement que celles-ci intègrent des mécanismes de participation et de répartition des responsabilités avec les parents, porteuses de différentes significations, de représentations et de valeurs. Celles-ci tendent ainsi à valoriser les valeurs de la communauté en donnant le droit de parole aux parents (Lessard, 2006). Par communauté, nous entendons ici, tout ce qui désigne les membres ou les citoyens, les organismes et les entreprises d’une communauté qui soutiennent et favorisent directement ou indirectement la croissance et le développement social, émotionnel, physique et intellectuel des élèves (Sanders, 2006, cité par Deslandes, 2019).

Le contexte franco -ontarien

En Ontario francophone, la collaboration école-famille-communauté joue alors un rôle important pour la vitalité de sa communauté et pour la promotion de sa culture en contexte minoritaire (Rocque et al., 2018). Bélanger et al. (2011) mentionnent que ces partenariats permettent le développement social et culturel des élèves à travers les activités et les sorties éducatives organisées avec des organismes ou des intervenants de la communauté. L’école communautaire est l’un des modèles privilégiés pour favoriser les pratiques collaboratives école-famille-communauté (Vachon, 2018; Deslandes, 2019). Il a trois visées : 1) offrir un lieu de socialisation, d’apprentissage et de construction identitaire en collaboration avec la communauté; 2) promouvoir la culture et la langue française pour assurer la transmission de ses valeurs et 3) créer des partenariats avec les membres de la communauté afin de favoriser la réussite scolaire des élèves.

Toutefois, édifier un partenariat signifiant en contexte sociolinguistique minoritaire demeure complexe, car une tension, entre accueillir la diversité à l’école et préserver le fait français, est tangible. Dans le cadre scolaire, la place accordée aux élèves migrants et à leurs parents demeure timide; comme le souligne Gérin-Lajoie (2020), leur inclusion est davantage de l’ordre du discours officiel. Pourtant, pour rendre fécond cette immersion dans la société d’accueil et dans un lieu où les normes scolaires et socioculturelles peuvent différer de celles connues de l’élève, le rôle des interactions avec le personnel scolaire et avec les familles, qui font office de figures significatives sur leur développement global, est l’un des fondements d’une intégration réussie. En d’autres mots, dès qu’un ou une élève entre en interaction avec une personne enseignante, il ou elle fait face à des différences de structures et de valeurs relativement à la socialisation qui l’a façonnée dans l’environnement familial (valeurs inculquées, limites établies, proximité des parents à l’endroit de l’enfant, soutien à l’autonomie) (Kanouté, 2006). Cette image délinéée est en fait son identité avec ses attributs sociaux. De son côté, le personnel enseignant vit quelque chose de similaire (valeurs et règles de conduite, proximité de l’enseignant) et chacun va devoir expérimenter sa relation à l’autre. Dans l’édification de cette relation, la nature des interactions va permettre de déterminer leur type, à savoir si elles sont égalitaires et collaboratives, ou bien inégalitaires et injonctives. On peut imaginer la dissonance qui peut exister lorsque les élèves et les parents ne répondent pas à ces codes. Il serait alors intéressant de savoir comment les politiques conçoivent ou prennent en compte lesdites dissonances ou l’incompréhension des codes des familles et de la population immigrante.

CADRE CONCEPTUEL

Plusieurs études soulignent que les relations école-famille achoppent pour diverses raisons telles que la communication, la méconnaissance des normes scolaires, le milieu socioéconomique, les différences culturelles, etc. (Fleuret et al., 2013; Kanouté, 2007; Kanouté et al., 2016). La légitimité des normes établies et des politiques laisse peu de place à l’intégration sociale des familles immigrantes et de leurs enfants en processus d’acculturation (Kanouté, 2007), ce qui les rend vulnérables par les ruptures vécues et renforce les inégalités scolaires. Par ricochet, la diplomation, qui fait de l’élève immigrant un élève semblable aux autres au regard des valeurs conventionnelles inculquées, se voit mise en danger.

Les politiques éducatives : les idéologies et leurs valeurs implicites

Nombreux sont les débats en éducation sur la manière de concevoir le rôle de l’école dans la société ainsi que ces finalités éducatives (De Ketele, 2017). Cela ne fait pas exception lorsqu’il est question d’accorder une place aux parents au sein de la gouvernance scolaire et de leur participation à la réussite des élèves (Vatz Laaroussi et al., 2008). Ces finalités pourraient avoir des répercussions significatives sur le renforcement des inégalités des pratiques collaboratives école-famille et des conditions de réalisation de la participation. Pour saisir les incidences que peuvent avoir ces politiques sur les pratiques collaboratives, il est d’abord important d’identifier leurs positions idéologiques, c’est-à-dire les « systèmes de significations, de représentations et de valeurs propres au groupe social concernant les normes, les légitimant ou les contestant et participant à la régulation des attitudes et des comportements » (Boudon et al., 1999, p. 265). Nous nous attardons à deux idéologies susceptibles d’influencer la manière dont les politiques conçoivent le rôle, la collaboration et la participation des parents à l’école : 1) l’idéologie déficitaire et 2) l’idéologie structurelle (Gorski, 2016).

L’idéologie déficitaire fait référence à « la croyance que les écarts de réussite ou l’échec scolaire sont le résultat de déficits internes (ex. : intellectuels, moraux ou culturels des élèves) » (Lasater et al., 2021, p. 2) et sociaux (ex. : le dysfonctionnement familial) (Valencia, 2010, cité dans Gorski, 2016). Certaines pratiques collaboratives s’inscrivent parfois dans une idéologie déficitaire et compensatoire des lacunes perçues chez les familles (Boulanger et al., 2011). Cela se traduit, entre autres, par le fait de percevoir la faible participation de certains groupes de parents comme étant une manifestation de leur désintérêt pour l’éducation de leurs enfants et de ne pas reconnaître les conditions scolaires et extrascolaires qui limitent leurs capacités à participer au même titre que des parents de milieux plus aisés. En ce sens, plusieurs d’entre eux interprètent les initiatives de l’école comme ayant un objectif de faire d’eux de « bons parents », de les « professionnaliser » en dévalorisant les savoirs familiaux (Kanouté, 2006).

L’idéologie structurelle désigne « la compréhension que les écarts de réussite sont principalement le résultat d’obstacles structurels, d’une répartition inéquitable des opportunités et de l’accès à l’école et en dehors de celle-ci » (Gorski, 2016, p. 383). Cela se traduit, entre autres, par le fait de se questionner sur l’organisation des moments et des lieux pour impliquer les familles et des contraintes ou des défis potentiels auxquels certaines d’entre elles seront confrontées (ex. : difficulté à trouver un moyen de transport, impossibilité de payer une garde d’enfants). En ce sens, la considération des conditions économiques et sociales permettrait de dépasser certaines limites observées dans les pratiques collaboratives qui tendent à s’inscrire dans les buts prédéterminés et les intérêts du personnel scolaire (Boulanger et al., 2011).

L’implantation des politiques et les dispositifs inclusifs préconisés

Comprendre de quelles façons s’implantent les politiques permet de mieux saisir les types de dispositifs qui servent à favoriser l’inclusion et la collaboration école-famille. Comme nous l’avons déjà souligné, il est important que l’accompagnement des nouveaux arrivants et de leur famille soit un fondement nécessaire à une intégration réussie. Cela sous-tend de mettre en place des dispositifs inclusifs pour développer cette intégration scolaire et sociale. Mais qu’entend-on par « dispositif », et quelles incidences a ce dernier sur l’intégration et l’inclusion des élèves et de leur famille?

Qu’est-ce qu’un dispositif politique ?

Définir un dispositif n’est pas chose aisée, car ce terme est utilisé dans bien des domaines et les définitions qu’on lui attribue sont peu claires (Barrère, 2017). Dans le milieu scolaire, il décrit des actions mises en place relativement à des types d’élèves (ex. : handicapés) ou des actions visant l’insertion de projets spéciaux (ex. : prévention contre la violence, la drogue, etc.). Cependant, comme le précise l’auteure, le nombre élevé de dispositifs implantés peut faire croire à une certaine réforme de l’école quant aux changements vécus, mais, en fait, tout demeure en surface et au service de l’école. En Ontario, par exemple, l’analyse de contenu des plans d’intervention personnalisés comme dispositifs inclusifs montre que la communication auprès des parents est souvent à sens unique, soit des acteurs scolaires vers les parents (Bélanger et al., 2019). Lorsque l’on s’attarde aux détails des consultations menées, ces auteures notent qu’ils s’inscrivent dans la continuité de la norme scolaire en dictant aux parents ce qui est attendu d’eux. Cela soulève des questions importantes concernant les finalités attendues des politiques éducatives et de la manière dont leur mise en oeuvre peut potentiellement renforcer les clivages, affectant des élèves à besoins particuliers dans ce cas-ci, plutôt que de les atténuer.

À la lumière de ce qui a été discuté, notre objectif est de rendre compte, à travers les politiques éducatives, des valeurs véhiculées susceptibles d’influencer la mise en oeuvre de dispositifs favorisant des collaborations école-familles.

MÉTHODOLOGIE

Nous avons effectué une analyse documentaire qualitative des politiques éducatives qui constituent une lecture des documents à partir de procédures systématiques permettant l’analyse du contenu implicite et explicite des textes afin d’en classer et d’en interpréter les éléments constitutifs de culture et de contexte (Bowen, 2009; Richard, 2006). Ce type d’analyse nous a permis de dégager les systèmes de significations, de représentations, ainsi que les valeurs véhiculées par les politiques éducatives et qui sont susceptibles d’influencer la mise en oeuvre de ces collaborations et des dispositifs quant au rôle et à l’implication parentale. Deux critères de sélection ont été retenus pour repérer et sélectionner les documents. Les documents choisis devaient : 1) être produits par le ministère de l’Éducation de l’Ontario, 2) aborder le rôle des parents, des tuteurs ou des familles. Dans notre sélection, nous avons choisi les documents les plus récents pour comprendre la vision de ces politiques du rôle des familles immigrantes et de leur implication dans un contexte de diversité croissante quant aux origines ethniques, culturelles, identitaires et linguistiques des élèves qui fréquentent les écoles francophones de l’Ontario (Pilote et al., 2008). Au total, huit documents ont été retenus pour des fins d’analyse.

Pour effectuer l’analyse, nous avons d’abord lu tous les documents afin de dégager les systèmes de représentations et de valeurs propres aux rôles des familles et à leur implication à l’école. Pour ce faire, nous avons fait une analyse de contenu thématique en repérant les expressions textuelles et les passages à partir des thèmes suivants (Paillé et Muchielli, 2012) : 1) le rôle des parents immigrants à l’école et 2) les représentations et les valeurs qui façonnent ce rôle. Nous avons utilisé une grille de codage fermé comprenant les idéologies déficitaire et structurelle, leurs définitions et des indicateurs qui permettent d’en rendre compte dans le contenu des politiques (voir Annexe 1). Nous avons codé et retenu les passages qui avaient trait à la politique elle-même. Nous avons exclu tout passage portant sur les messages officiels des ministres ou se référant à d’autres politiques ou initiatives mises en place par les conseils scolaires ou les écoles à l’intérieur des documents recensés .

Les résultats

Nous avons analysé, dans un premier temps, les occurrences des termes référant aux familles dans les politiques ciblées. Cette analyse nous a permis de mettre en relief un certain nombre de points intéressants. Tout d’abord, on peut constater, à la lecture du tableau ci-dessous, que le nombre d’occurrences relatives aux parents, dans les différentes politiques éducatives, est plus élevé que celui relatif à la famille qui est quasi inexistant; plus particulièrement, en ce qui a trait à la Politique d’aménagement linguistique (PAL), on compte 126 références; pour le Guide pratique à l’intention des membres du comité de participation des parents, on relève 273 références. Ces références élevées dans les deux documents illustrent la volonté du Ministère de donner un rôle conséquent aux parents quant à leur contribution dans l’amélioration du rendement de leur enfant, ainsi que de les rendre responsables en cas d’échec.

Par exemple, pour la PAL, cadre de référence pour la protection du fait français au sein des établissements scolaires, on mise sur un soutien important des parents dans l’apprentissage de leur enfant. Toutefois, on peut penser à une vision homogénéisante de cet apprentissage, car la prise en compte de la diversité – parents immigrants et autres termes – n’est quasiment pas considérée dans les politiques éducatives, et très timidement dans la PAL (4 références). Concernant la prise en compte de la diversité ethnolinguistique, 4 politiques sur 7 abordent spécifiquement la population scolaire immigrante et leurs parents : Politique d’aménagement linguistique (5 références), Stratégie ontarienne d’équité et d’éducation inclusive (2 références), le Guide pratique à l’intention des membres des comités de participation des parents (1 référence) et le Plan d’action ontarien pour l’équité (1 référence). Concernant les parents, on note la présence élevée de références pour le Cadre d’efficacité pour la réussite de chaque élève à l’école de langue française, qui compte 83 références, et pour la politique Équité et éducation inclusive, où l’on retrouve 67 références. On voit aussi une volonté du ministère concernant le rendement des élèves. Toutefois, sachant que ce qui touche la famille est peu présent dans les politiques, il faut voir de quelle façon cela se traduit sur le plan de l’équité et de l’inclusion, mais aussi concernant la participation des parents, représentés par 55 références.

Tableau 2

Nombre d’occurrences des termes référant aux familles et aux parents immigrants dans les politiques éducatives

Nombre d’occurrences des termes référant aux familles et aux parents immigrants dans les politiques éducatives

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Le rôle des parents, et les systèmes de représentations et de valeurs véhiculées

Le rôle des parents y est représenté de deux manières importantes : ils travaillent au service de l’école, pour développer des normes de rendement visant à accroître la performance des élèves et être au service de la communauté francophone, c’est-à-dire contribuer à la valorisation et à la reproduction de la culture dominante franco-ontarienne. Ces politiques présentent le rôle et l’implication des parents comme un moyen d’adapter leurs enfants aux normes et aux attentes de performance et de valorisation de la culture scolaire, mais donnent très peu de définitions sur la manière dont l’école s’adapte aux normes et aux pratiques des milieux familiaux. Ce premier constat suggère que le rôle des parents, explicité dans la collaboration avec l’école, demeure unidirectionnel, car il reste centré sur l’école et demeure déficitaire puisque ce sont les familles qui sont appelées à s’y adapter. La dimension « déficitaire » s’observe par le fait de ne pas amener les établissements à considérer les conditions socioéconomiques des familles (ex. : les conditions d’emploi précaire ne permettant pas une flexibilité d’horaire chez certains parents, souvent en raison d’un déclassement professionnel) ou de clairement expliciter les obstacles systémiques pouvant expliquer leur faible implication dans les activités scolaires et parascolaires, définissant ainsi le problème d’implication comme résultant uniquement des familles. Pour les familles immigrantes, ce manque de reconnaissance des conditions socioéconomiques pourrait également comprendre des obstacles supplémentaires tels que les parcours migratoires complexes et les deuils qui s’y rattachent.

Pour mieux saisir le sens du rôle des parents et de leur implication, nous avons répertorié trois types de valeurs véhiculées par ces politiques éducatives : 1) la promotion de valeurs culturelles franco-ontariennes et de langue française visant le maintien de la vitalité communautaire francophone, 2) la promotion de valeurs libérales portant sur la performance visant l’amélioration du rendement des élèves, ainsi que la réduction des écarts de rendement, 3) la promotion de valeurs d’équité et d’inclusion visant à soutenir le plein potentiel des élèves.

La PAL (2004) est une politique importante pour les écoles en contexte franco-ontarien. Celle-ci a un double mandat : 1) éduquer les élèves et 2) « contribuer, par des interventions ciblées et planifiées, au développement durable de la communauté scolaire de langue française de l’Ontario » (PAL, 2004, p. 4). Dans les extraits de la PAL, on observe les deux idéologies simultanément : l’approche structurelle, qui met en exergue la réalité du contexte minoritaire francophone, et l’approche déficitaire par rapport au rôle des parents dont les conditions socioéconomiques sont complexes et variées.

De plus, malgré l’explicitation de valeurs telles que l’accueil, le respect et l’estime des parents au sein des écoles, cette politique semble très peu aborder la prise en compte des milieux familiaux et la manière dont l’école de langue française est également appelée à (ré)concilier et à intégrer les bagages langagiers, sociaux et culturels variés.

L’approche structurelle s’observe à travers la prise en compte « des effets du contexte anglodominant sur l’apprentissage des matières et des disciplines scolaires et du dynamisme, et respecte le pluralisme de la communauté de langue française de l’Ontario » (PAL, 2004, p. 32). Elle identifie, d’une part, l’importance de la spécificité de la communauté francophone et des problèmes d’iniquités associés aux conditions sociales de ces élèves et de leurs familles quant aux pressions exercées par un environnement majoritairement anglophone (Landry et al., 2010). Elle reconnaît, d’autre part, la diversité qui compose la communauté francophone et l’importance du respect de la pluralité comme étant une valeur importante de cette politique.

Les valeurs culturelles qui y sont véhiculées amènent à concevoir la création et le maintien des relations écoles-familles comme une manière de « contrer l’impact de l’assimilation » en établissant « des partenariats avec les membres et les organismes des communautés francophones et francophiles » et en considérant la famille comme « une extension de l’espace francophone » (p. 4). Dans cet extrait de « contrer l’impact de l’assimilation », la PAL relève l’un des effets du contexte anglodominant pour la communauté francophone minoritaire et ses écoles qui incite à la création de partenariats avec les organismes et les familles afin de promouvoir et de maintenir la culture. Or, la représentation de la famille, comme un prolongement de l’espace francophone, peut devenir problématique si l’école et la famille se confondent en ayant des formes de pensée et des pratiques de soutien et d’engagement parental visant à être homogènes; une culture dominante pouvant être alors privilégiée au détriment des autres. Cela pourrait représenter une limite importante dans l’établissement et le maintien de cet espace, si les conditions de rapprochement entre les deux entités ne sont pas articulées (Boulanger et al., 2011).

La PAL souligne l’importance de « familiariser les parents avec les changements apportés par les réformes scolaires dans le but de favoriser la réussite scolaire des enfants et associer fermement la famille aux activités de l’école afin de maintenir sa vitalité. Tous les efforts déployés par les parents et l’école de langue française sont dictés par le contexte minoritaire dans lequel se déroule l’apprentissage » (PAL, 2004, p. 32). Cet extrait permet de constater qu’il y a une prise en compte de certaines conditions sociales telles que l’importance de la compréhension du système éducatif ontarien et des changements apportés qui pourraient ainsi faciliter l’implication et la communication des parents avec l’école par rapport à l’enseignement et à l’apprentissage de leurs enfants.

Toutefois, nous observons dans sa définition d’associer « fermement » aux familles les activités de l’école; une valeur centrée sur l’école qui semble sous-entendre qu’il est nécessaire de fixer ce qui peut être perçu comme un faible engagement de certaines familles et qu’il est également de leur responsabilité d’assurer la vitalité de la communauté francophone pour répondre aux normes et aux attentes des écoles de langue française.

Nous observons la promotion de valeurs libérales portant sur la performance visant l’amélioration du rendement des élèves ainsi que la réduction des écarts de rendement à travers sept des huit politiques éducatives recensées. Depuis 2003, les trois priorités ministérielles suivantes : 1) améliorer le rendement des élèves, 2) réduire les écarts de rendement, 3) rehausser la confiance du public sont devenus des normes légitimant et orientant les programmes scolaires et les initiatives dans les écoles ontariennes. Ces priorités semblent également façonner la signification, la représentation du rôle des parents et de leur implication dans les écoles. À titre d’exemple, le Cadre d’efficacité pour la réussite de chaque élève à l’école de langue française (2013) met en évidence une des dimensions clés de la réussite comme étant l’alliance famille-école, partenariats et développement communautaire. « Des occasions et des ressources d’apprentissage ainsi que de l’appui sont offerts pour aider les parents à soutenir l’apprentissage des élèves, et à entretenir des conversations parents-enseignants-élèves productifs et continus » (p. 41). « Les parents ont la possibilité d’améliorer leur propre apprentissage et leurs habiletés pour soutenir l’apprentissage de l’élève à la maison ainsi qu’à l’école » (p. 17).

Nous avons noté le croisement entre la promotion de valeurs d’équité et d’inclusion et de valeurs libérales portant sur le rendement et la performance scolaire dans trois politiques recensées : la Stratégie ontarienne d’équité et d’éducation inclusive (2009), Équité et éducation inclusive : Guide d’élaboration d’une politique (2014) et le Plan d’action en matière d’équité (2017). Ces trois politiques réitèrent l’importance des trois priorités ministérielles pour assurer l’équité et l’inclusion de tous les élèves en Ontario.

À titre d’exemple, la stratégie d’équité et d’éducation inclusive souligne que :

Notre gouvernement a la ferme intention de monter la barre en matière de rendement des élèves et de réduire les écarts de rendement. Les nouveaux immigrants, les enfants de familles à faible revenu, les Autochtones, les garçons et les élèves en difficulté d’apprentissage ne sont que quelques exemples de groupes courant des risques d’avoir un faible rendement. (Stratégie d’équité, 2009, p. 5)

Cet extrait met en évidence le croisement des valeurs libérales portant sur le rendement et la performance avec les valeurs d’équité et d’inclusion. En ce sens, cette politique réitère l’importance des attentes élevées en montant « la barre en matière de rendement des élèves ». Toutefois, celle-ci pose d’entrée de jeu une étiquette sur tous les élèves immigrants en indiquant qu’ils sont un groupe à risque, mettant l’accent implicitement sur leurs faiblesses et sur le faible rendement résultant de leurs déficits individuels ou sociaux (Gorski, 2016). Ces formulations peuvent aussi renforcer potentiellement les incompréhensions et les préjugés que certains acteurs scolaires peuvent déjà entretenir. En effet, cette politique, telle qu’elle est énoncée, est stigmatisante et peut fausser l’entrée en relation et les interactions avec le personnel enseignant. Constater les défis que vit cette population est un fait indéniable compte tenu de multiples facteurs qui sont en jeu dans son intégration. Cependant, cette idéologie déficitaire inhibe la volonté de trouver des pistes de solution au sein du milieu scolaire pour répondre à ses besoins de façon équitable et inclusive et occulte les forces de ces derniers!

Quant aux valeurs d’équité et d’inclusion elles-mêmes, la stratégie d’équité et d’inclusivité vise, entre autres, à « promouvoir la participation et l’implication des parents dans leur conseil scolaire et leur école locale en exprimant leurs idées sur les façons d’améliorer l’équité et l’éducation inclusive, notamment dans le cadre d’un comité de participation des parents, du comité consultatif pour l’enfance en difficulté ou du conseil d’école » (2009, p. 22).

Le plan d’action en matière d’équité, quant à lui, offre des mesures concrètes et des indicateurs afin d’assurer la mise en oeuvre d’actions qui assureront les objectifs d’équité et d’inclusion. Il vise, entre autres, à « rehausser l’engagement des parents en termes d’équité et d’éducation inclusive, tout particulièrement en identifiant des stratégies pour sensibiliser les parents qui se sont possiblement désengagés du système d’éducation » (p. 17). Telle qu’elle est formulée, on envisage des solutions avant même d’expliciter les facteurs de désengagement parental reconnus (ex. : emploi, précarité, disqualification, etc.).

Les valeurs d’équité et d’inclusion promues mettent de l’avant l’importance de favoriser le rehaussement de l’engagement des familles. « Les parents et les autres membres de la collectivité sont considérés comme des ressources importantes dans la création et le maintien de milieux scolaires inclusifs et équitables » (Plan d’action, 2017, p. 28). Cette représentation peut laisser sous-entendre que les parents y sont vus comme un apport important en matière de facteurs de protection[1], et elle souligne également la manière dont l’école adapte ses attentes et ses pratiques en tenant compte des ressources offertes par les familles.

Or, pour atteindre cet objectif, un dispositif proposé par cette stratégie d’équité, et par la suite dans le plan d’action, est le choix de stratégies par les écoles de « déceler et [d’]éliminer les problèmes de discrimination qui limitent la participation des élèves, des parents et de la collectivité de sorte que les divers groupes et la communauté dans son ensemble soient bien représentés au conseil scolaire et aient un meilleur accès aux initiatives du conseil » (Stratégie, 2009, p. 24).

À partir de 2009, on constate des éléments de l’idéologie structurelle dans ces politiques éducatives pour ce qui est de déceler et d’éliminer les obstacles systémiques à la participation des parents. Toutefois, ces premiers éléments s’attardent principalement aux conditions internes de l’école. Dans les dispositifs proposés, tels que le choix de stratégies locales, ces politiques éducatives s’attardent peu aux conditions sociales et économiques externes à l’école et propres aux familles qui peuvent faire obstacle à leur participation dans la remise en question des stratégies existantes. En ce sens, celles-ci ne permettraient pas de concevoir des pratiques collaboratives avec les familles immigrantes qui répondent aux défis auxquels certaines sont confrontées (Gorski, 2016).

CONCLUSION

En somme, en explorant de plus près le discours officiel tenu dans les politiques éducatives, nous avons tenté de mettre en lumière le contexte sociopolitique de la scolarisation qui est modelé par « des idéologies implicites qui façonnent les idées et les valeurs communément acceptées dans une société » (Nieto et al., 2008, p. 7). Or, notre analyse révèle que la place de la famille immigrante est très peu présente au sein de l’école ontarienne, y compris celle de langue française. La façon dont est défini le rôle des familles, de l’implication parentale et des solutions proposées semble reposer sur les parents comme étant la source du problème plutôt que d’envisager une juste répartition de la relation école-famille (Cohen et al., 2007). En effet, ce qui ressort de nos données souligne des choix politiques prônant des valeurs libérales institutionnalisées à travers leur contenu et cherchant à modifier les habitus familiaux afin qu’ils correspondent aux priorités ministérielles. Ce mode de fonctionnement remet en question le rôle de l’école dans l’implantation de pratiques collaboratives visant à établir des ponts avec les familles et, par ricochet, à légitimer son habitus culturel.