L’intégration des arts aux structures universitaires et à l’enseignement supérieur soulève un ensemble de questions à propos de l’institutionnalisation de l’art, de la professionnalisation des artistes et de la socialisation des arts et de la culture, et de ces mondes. Le phénomène souligne aussi une diversité des modes d’intégration des arts aux structures universitaires actuelles ainsi que la pluralisation des formes d’implication de l’université dans le champ artistique. Réparti sur des fronts multiples, le phénomène concerne non plus seulement le domaine de l’enseignement, mais aussi celui de la recherche, notamment avec le développement des phénomènes de recherche-création, et celui de l’action communautaire des universités, domaine dans lequel les arts et la culture sont devenus des outils d’intervention de premier plan. Pourtant, la présence des arts à l’université n’en demeure pas moins un angle mort de la recherche actuelle en sociologie de l’art et de la culture, celle-ci ayant plutôt tendance à se focaliser sur le rôle que jouent d’autres institutions plus spontanément et directement associées aux milieux artistiques professionnels : ministères de la Culture et Conseils des arts, grandes institutions culturelles publiques ou privées (musées, théâtres, maisons d’opéra, etc.), marchés de l’art ou industries de la culture et des médias. Ce numéro propose une première exploration de cette thématique des arts à l’université, en convoquant un regard sociologique actuel sur un ensemble de volets de la présence des arts dans le monde universitaire et de l’enseignement supérieur ainsi qu’un regard sociohistorique visant à mieux comprendre certaines des tensions ayant pu présider à la relation entre ces deux univers et aux circonstances de leur rapprochement qui aura donné naissance à de nouvelles dimensions de l’action culturelle et artistique des universités contemporaines. Dans un court article datant de 1974, le sociologue américain Richard Sennett décrivait les artistes oeuvrant au sein d’établissements universitaires comme une « communauté de réfugiés » : mésadaptés ou lassés des villes modernes, qui les soumettent aux logiques entrepreneuriales, ils viendraient y chercher un havre pour leur activité créatrice. L’image évoque à cet égard l’idée d’un refuge à la fois physique et intellectuel : refuge physique contre l’agitation et le bruit de la ville, les campus étant traditionnellement conçus comme de vastes jardins, souvent clos, parsemés de pavillons dédiés aux activités de l’esprit (Lagueux, 2021) ; refuge intellectuel, le concept initial d’université destinant cette institution à être le lieu du développement, de l’accumulation et de la diffusion de l’ensemble des connaissances humaines. Pourtant, remarque Sennett, loin de trouver dans cette enceinte le lieu idéal qui offre temps et espace pour se consacrer pleinement à la réflexion et à la création, les artistes font plutôt face rapidement à une lourde bureaucratie, qui impose des contraintes exogènes à leurs processus de création, ainsi qu’à un milieu professionnel hiérarchisé qui se structure autour d’affinités et de conceptions communes du monde. Ce milieu peut se révéler favorable pour certains, lorsque leurs pairs partagent des vues semblables sur le monde, mais aussi particulièrement hostile pour d’autres, qui se trouvent plutôt plongés dans un milieu qui contredit leur vision et freine leur projet créateur. Bien que les mondes universitaires, culturels et artistiques semblent, de prime abord, faits pour s’entendre, les remarques de Sennett suggèrent au contraire que leur rencontre ne se fait pas toujours sans heurts. Le rôle culturel de l’université, entendu au sens fort d’action civilisatrice, est pourtant au coeur du projet universitaire depuis ses origines, cette institution s’étant donné pour mission première d’apporter lumière et connaissance au monde, de lutter contre les hérésies et l’obscurantisme. L’ambition encyclopédique du projet semblait d’ailleurs le destiner à accorder d’emblée une place déterminante aux arts, à la …
Appendices
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