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Introduction

Les études sur les processus de sorties de la délinquance, appelés désistance ou désistement, se sont multipliées ces dernières années. Diverses théories explicatives de ces processus ont été développées, mettant en exergue l’importance des changements comportementaux, identitaires et relationnels de l’engagement dans l’arrêt des conduites délinquantes (Glowacz et Born, 2017). Dans un contexte où religion et spiritualité prennent une place importante dans la sphère publique, de nombreux auteurs ont exploré leur implication dans le processus de désistance, en s’intéressant au lien que la religion et la spiritualité entretiennent avec la santé mentale (Mandhouj et al., 2014), le soutien social (Johnson, 2018) ou encore l’adaptation au contexte carcéral (Stansfield et Mowen, 2018). L’objectif de la présente recherche était d’explorer comment la religion et la spiritualité peuvent figurer dans les récits de désistance d’hommes et de femmes adultes auteurs·rices d’infractions. Après une contextualisation théorique des concepts qui nous intéressent, les objectifs de l’étude ainsi que la méthodologie mise en oeuvre seront présentés. Les analyses des récits mettront en exergue la manière dont le cadre religieux et l’investissement envers Dieu ou une autre entité peuvent soutenir la sortie de la délinquance. Enfin, nous discuterons de l’implication de ces données au vu de la littérature existante, des limites de notre étude, ainsi que des perspectives de recherche à envisager.

Religion et spiritualité

À ce jour il n’existe pas de concensus de consensus dans la communauté scientifique quant à la conceptualisation de la religion et de la spiritualité et la distinction entre ces deux concepts (Jastrzębski, 2022). Les différencier mène souvent à des généralisations polarisantes, plaçant d’un côté une religion institutionnelle, ancrée dans les normes sociales et le communautaire, et de l’autre une spiritualité personnelle ancrée dans la relation au monde (Zinnbauer et Pargament, 2005), menant parfois à un raccourci entre une religion négative et une spiritualité positive (Smith, 2007). Cette distinction entre institutionnel et individuel ne permet pas de rendre compte du caractère social de la spiritualité ou du caractère individuel de la religion (Smith, 2007). De plus, le terme spiritualité en lui-même a subi de nombreuses modifications dans le sens qui lui a été donné, selon l’époque ou la religion qui le définissait (Jastrzębski, 2022). C’est au xxe siècle, qu’il s’est progressivement détaché de son caractère religieux, suivant le mouvement de sécularisation observé dans la société (Hill et al., 2000 ; Jastrzębski, 2022).

Enfin, Jastrzębski a mis en évidence trois manières dont sont envisagées la religion et la spiritualité dans la littérature : la religion comme sous-catégorie de la spiritualité, la religion et la spiritualité comme partiellement similaires et partiellement différentes, et enfin la religion et la spiritualité comme totalement différentes (2022). Les concepts de religion et spiritualité sont donc imprécis et manquent de constance dans la recherche en psychologie de la religion (Paloutzian et Park, 2021). Religiosité, spiritualité, sacré, religion sont des termes définis dans la littérature selon une vingtaine de critères chacun, critères qui souvent se recoupent d’une définition à l’autre (Harris et al., 2017).

Dans le cadre de notre recherche, nous nous sommes intéressées à l’expérience de nos participant·e·s, sans leur imposer de définitions de la religion ou de la spiritualité, mais en partant de leurs propres représentations. L’objectif poursuivi étant la compréhension de leur vécu, nous proposons dans cet article d’utiliser les termes de croyances religieuses et spirituelles pour nos propres données : cela nous permet ainsi de renvoyer non pas à des concepts parfois imprécis et trop généraux, mais bien de mettre l’accent sur l’expérience des individus quant à leurs propres croyances.

La désistance, un processus complexe

Le processus de désistance est de plus en plus étudié depuis les vingt dernières années. Nous évoquerons les grandes théories explicatives de celui-ci, tout en soulignant les éléments qui donnent du sens au lien entre religion et spiritualité d’une part, et la sortie de la délinquance d’autre part.

Les termes de désistance et désistement caractérisent un même processus, celui de la sortie de la délinquance. L’intérêt pour ce domaine est initié au xxe siècle, notamment grâce aux époux Glueck, s’étant intéressés à la question : « pourquoi est-ce qu’un délinquant arrête de commettre des infractions ? » (Mohammed, 2015 ; Glowacz et Born, 2017) Nous emploierons ici l’appellation désistance, qui est la plus couramment utilisée. Bien que tous ne s’accordent pas sur la définition exacte de ce terme, la désistance est communément définie comme le processus visant à l’arrêt des conduites délinquantes (Glowacz et Born, 2017).

On distingue trois niveaux de désistance : la désistance primaire, correspondant à l’arrêt des comportements délinquants ; la désistance secondaire, qui décrit la transition identitaire qui accompagne cet arrêt (Farrall et Maruna, 2004) ; et enfin, la désistance tertiaire, qui concerne la reconnaissance de ce changement par la société et le sentiment d’appartenance que l’individu développe en conséquence (McNeill, 2016). Ce processus s’inscrivant dans une temporalité particulière, propre à chaque individu, certains auteurs préfèrent les termes désistance d’actes, désistance identitaire et désistance relationnelle, qui permettent de ne pas supposer une chronologie des changements effectués par et envers l’individu (Nugent et Schinkel, 2016).

Au sein des différentes théories développées dans l’étude de la désistance, l’individu est plus ou moins envisagé comme acteur central de ce processus. Le paradigme ontogénique ou de maturation met ainsi en avant la diminution de la commission d’infractions en corrélation avec l’âge grandissant des individus (Farrington, 1986). En effet, la courbe d’évolution de la criminalité selon l’âge, l’age-crime curve (Sweeten et al., 2013), démontre une augmentation du taux de criminalité progressive du début de la puberté jusqu’au milieu de l’adolescence, pour ensuite diminuer progressivement (Farrington, 1986).

La théorie du choix rationnel, quant à elle, énonce que chaque choix est fait selon un calcul de coût-bénéfice, pour lequel l’individu doit avoir toutes les informations nécessaires pour effectuer sa décision (Boudon, 2004). Dans le cadre de la criminalité, ce calcul tient notamment de la situation particulière dans laquelle l’infraction est commise (Nagin et Paternoster, 1993). Il s’agit en somme d’une réévaluation, pour chaque crime, des coûts et des bénéfices (Weaver, 2019). La religion peut parfois peser dans la balance, la promesse de la vie après la mort ou la crainte du jugement dernier sont pour certains des arguments soutenant l’arrêt des actes des criminels (DiPietro et Dickinson, 2021).

Le paradigme sociogénique et la théorie du contrôle social informel sont orientés vers la dimension sociétale du processus de désistance. Le paradigme sociogénique soutient que le développement de liens sociaux à l’âge adulte, notamment par le travail, le mariage ou la parentalité, vient appuyer le processus de désistance (Glowacz et Born, 2017). L’engagement religieux, permettant de s’engager et d’entretenir l’investissement dans la participation à la vie communautaire, peut participer à la création de relations interpersonnelles primordiales pour la réinsertion (Harris et al., 2017 ; Johnson, 2018). La théorie du contrôle social informel repose pour sa part sur l’importance de certains liens dits informels que les individus entretiennent avec des institutions de contrôle social, telles que la famille, l’emploi ou l’éducation (Laub et Sampson, 2001). Certaines études suggèrent que la religion peut être une source de contrôle social informel (Guo et Metcalfe, 2019).

Dans cette dernière théorie est développée la notion de tournant de vie, consistant en l’apparition d’une situation nouvelle dans la vie de l’individu, venant redéfinir et structurer sa vie, tant dans la vie quotidienne que dans le développement identitaire (Maruna, 2004). Plus que la situation en elle-même, c’est sa qualité subjective, le sens que la personne donne au tournant institutionnel qui peut être mis en lien avec la sortie de la délinquance (Laub et al., 2018).

Enfin, l’identité de l’individu, soit la perception qu’il a de lui-même, détermine les comportements de la personne qui agira de manière cohérente avec cette identité perçue (Paternoster et Bushway, 2009). La transition identitaire soutenant la sortie de la délinquance peut ainsi être motivée par une projection dans un soi possible autre, et une volonté de se distancer d’une identité perçue comme négative (Copp et al., 2020). La religion et la spiritualité, par le détachement d’une vision de soi négative, la promesse de pardon et de l’amélioration de la vie future, peuvent favoriser la sortie de la délinquance (Ross, 2021).

Religion, spiritualité et désistance

Il semble important, avant de nous intéresser à la désistance, de souligner que depuis plus d’un siècle, de nombreuses études ont été menées sur les liens entre religion, spiritualité et délinquance ou criminalité (Salvatore et Rubin, 2018). L’étude des liens entre religion, spiritualité et désistance a permis de mettre en exergue divers facteurs, dynamiques et transitions explicités dans les points suivants.

Santé mentale et consommation de substance

Tout d’abord, religion et spiritualité ont été étudiées en lien avec certains facteurs de risque de récidive. Certains auteurs ont par exemple démontré l’impact positif d’un investissement religieux ou spirituel sur la santé mentale et les risques lui étant associés (notamment dans un contexte carcéral), comme la récidive (Mandhouj et al., 2014). La religion et la spiritualité peuvent par ailleurs avoir un effet sur la diminution, l’arrêt ou encore la non-reprise de l’abus de substances (Stansfield et al., 2016). Cet effet pourrait néanmoins dépendre du type de drogue étudié, mais également de la pratique religieuse ou encore du degré d’implication dans ladite religion (Bakken et al., 2013).

Encouragement des comportements prosociaux

L’engagement dans la religion peut représenter pour certains individus une source de motivation à ne plus commettre de délits. La religion peut motiver les comportements prosociaux (Kelly et al., 2024), en incitant les individus à agir pour les autres, les vertus spirituelles qu’elle soutient peuvent inciter les anciens délinquants à ne pas récidiver en promulguant l’aide à son prochain (Johnson, 2018). La religion offre un canevas de règles à suivre, qui permet à l’individu d’orienter ses actions vers les comportements validés par les enseignements religieux (Mohammed, 2019).

Caractère relationnel

La religion est reprise dans la théorie du contrôle social, notamment par son caractère relationnel et de développement de réseaux sociaux (Salvatore et Rubin, 2018). Si la prison entrave les liens sociaux, particulièrement familiaux, tant physiquement qu’émotionnellement (Harris et al., 2017), l’investissement religieux et la communauté religieuse peuvent aider l’ancien détenu à renouer ces liens et à en créer de nouveaux (Harris et al., 2017 ; Johnson, 2018), ce qui peut être déterminant dans le processus de désistance. La religion peut revêtir des effets protecteurs contre les mauvaises influences que représentent les fréquentations délinquantes (Johnson, 2018). Certains auteurs confirment que le soutien apporté par la religion provient en partie des liens sociaux que les délinquants développent avec les autres croyants, les prêtres, etc., mais précisent que ce soutien provient également de la relation avec Dieu que les personnes délinquantes disent entretenir (Stansfield et al., 2016).

Perception de soi et identité

Comme évoqué précédemment, la religion et la spiritualité peuvent intervenir dans la transition identitaire des individus. La séparation entre le soi du passé et celui du présent et la redéfinition des expériences négatives – y compris celles de la trajectoire délinquante – comme ayant un but plus grand, celui de faire des individus ce qu’ils sont actuellement, sont des éléments caractérisant religion et spiritualité comme des facteurs favorisant les changements identitaires (DiPietro et Dickinson, 2021). La religion permet une réinterprétation du parcours de vie et une réattribution de sens aux épreuves vécues ainsi qu’au passé délinquant (Maruna et al., 2006). Pour l’individu, redéfinir l’acte délinquant comme un test divin et s’appuyer sur la religion et le sentiment d’appartenance à cette dernière pour ne pas commettre d’autres infractions peut soutenir l’arrêt des comportements délinquants, par la volonté de ne pas ternir la nouvelle communauté d’appartenance (Morag et Teman, 2018).

Enfin, le pardon, et plus particulièrement le pardon de soi, peut être un élément central dans la restauration de la capacité d’agentivité après avoir fait du mal à autrui (Snow, 1993 cité par Suzuki et Jenkins, 2022). La religion est avancée comme moyen d’atteindre ce pardon, permettant ainsi les changements identitaires que nous savons importants dans le cadre de la désistance (Suzuki et Jenkins, 2022).

Désistement assisté et intervenants religieux

Bien que cela ne soit pas l’objet de notre recherche, il semble nécessaire de préciser que les interventions menées par les aumôniers de prison peuvent s’inscrire dans le champ du désistement assisté, qui caractérise toutes les interventions visant l’arrêt de comportements délinquants (King, 2014). Les intervenants religieux soulignent ainsi l’utilisation de la religion comme soutien à la réhabilitation (Sarg et Lamine, 2011 ; Schneuwly Purdie, 2011). Cette dimension n’est pas développée dans ce manuscrit, qui ne se concentre pas sur le contexte carcéral, mais fait néanmoins l’objet d’une recherche en cours.

L’étude des liens entre religion, spiritualité et désistance s’intéresse donc tant aux facteurs impliqués dans la récidive ou la désistance qu’aux processus de changements comportementaux et identitaires caractérisant les trajectoires des individus. Si la religion y est beaucoup développée, il manque de recherches se concentrant ou incluant la spiritualité, ceci résultant d’un manque de clarté dans la distinction entre ces deux concepts. Les quelques études qualitatives portant sur la religion dans le processus de désistance se limitent le plus souvent à n’étudier qu’une religion en particulier (Morag et Teman, 2018 ; DiPietro et Dickinson, 2021). Par ailleurs, la plupart des études déjà menées sur la scène anglophone, notamment aux États-Unis, s’intéresse à l’étude des programmes de soutien fondés sur la foi ayant lieu dans le contexte carcéral, il manque néanmoins de recherches s’inscrivant dans le contexte européen, et plus particulièrement belge.

Méthodologie

Afin de comprendre comment religion et spiritualité s’inscrivent dans le processus de désistance d’adultes ayant commis des infractions, l’approche qualitative de type phénoménologique s’est avérée la plus pertinente. En effet, cette approche permet la compréhension d’un phénomène non pas malgré, mais par la subjectivité du sujet. C’est le sens que le sujet donne à son expérience qui est considéré (Mucchielli, 2009). Ainsi, notre recherche aborde le vécu des personnes ayant commis des infractions dans leur expérience de la désistance et leur perception de leurs croyances religieuses et spirituelles. Afin de ne pas limiter nos analyses à une religion ou spiritualité particulière, comme c’est souvent le cas en recherche, aucun critère n’a été défini durant le recrutement concernant les croyances des participant·e·s.

Procédure de recrutement

Nous envisagions dans le cadre de cette recherche de clôturer la récolte de données à l’atteinte d’un critère de saturation, soit au moment où de nouveaux entretiens n’apportent plus ou très peu de nouveaux éléments de compréhension (Gest et al., 2006). En raison de contraintes temporelles, nous n’avons finalement pas pu atteindre cette saturation théorique de nos résultats, en résulte un échantillon de sept participant·e·s aux profils diversifiés. Le recrutement s’est appuyé sur les critères d’inclusion suivants : avoir plus de dix-huit ans, avoir commis plusieurs infractions, ne plus en avoir commis depuis au moins un an. Aucun critère d’exclusion n’a ici été déterminé : tous types d’infractions, de croyances religieuses ou spirituelles (y compris l’absence de croyances) ont été pris en compte. Notons également que toutes les données recueillies ont été amenées par les sujets eux-mêmes : aucune vérification des informations transmises n’a été réalisée.

Plusieurs stratégies de recrutement ont été utilisées. En premier lieu, nous avons contacté certaines institutions travaillant avec le public cible (associations d’aide à la réinsertion, services d’aide au justiciable…). Cette modalité de recrutement n’a abouti à aucune prise de contact.

En second lieu, nous avons publié une annonce sur les réseaux sociaux suivants : Facebook et Instagram. Celle-ci explicitait notamment le thème de la recherche et son déroulement (entretien), les critères d’inclusion, ainsi que les règles de confidentialité et d’anonymat. C’est ainsi que la totalité des participant·e·s a été recrutée. Ils et elles nous ont contacté soit par message privé soit par téléphone, une très brève description de l’étude et du déroulement de l’entretien leur a été faite, et les rendez-vous ont ensuite été pris.

L’échantillon, bien qu’hétérogène, correspond aux critères d’inclusion préalablement définis et se compose finalement de quatre hommes et de trois femmes, âgés de 21 à 54 ans.

Tableau 1

Présentation de l’échantillon

Présentation de l’échantillon

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Protocole de la recherche

Cette recherche a reçu l’approbation du Comité éthique de la faculté de Liège.

Un premier contact téléphonique a été établi avec chaque participant·e, visant à expliquer les buts de l’étude ainsi que le déroulement de la rencontre, ces deux points étant à nouveau explicités en début d’entretien. Un rappel a également été fait quant à l’anonymisation des données, au respect du secret professionnel et à la possibilité de se rétracter de la recherche à tout moment. Enfin, les consentements éclairés ont été signés avant le début de l’entretien, une fois que les questions éventuelles des participant·e·s ont pu être posées. Les entretiens durent entre une vingtaine de minutes et une heure cinquante.

Les entretiens ont été menés suivant un guide d’entretien semi-directif créé pour la recherche. Celui-ci est composé de questions ouvertes permettant la libre expression des participant·e·s, et a été divisé comme suit :

  • Présentation du chercheur et des objectifs de la recherche

  • Présentation du ou de la participant·e et parcours de vie général

  • Trajectoire de délinquance

  • Trajectoire de désistance

  • Représentations religieuses et spirituelles et implications de celles-ci dans le processus de désistance

  • Perspectives d’avenir

Les entretiens ont fait l’objet d’un enregistrement audio (avec accord écrit des participant·e·s dans le consentement éclairé) et d’une retranscription mot à mot, les verbatims ont été analysés selon la méthode d’analyse thématique de contenu. Paillé et Mucchielli (2016) décrivent l’analyse thématique comme un processus de réduction des données. Il s’agit d’analyser l’intégralité du corpus en y faisant émerger des thèmes, qui serviront à répondre à la question de recherche posée. Comme ces auteurs l’expliquent, l’attribution des thèmes doit être précise et non interprétative. Chaque extrait de texte du verbatim est ainsi étiqueté en unité de sens. Le but étant de rester au plus proche du discours afin de s’éloigner le moins possible du vécu de la personne rencontrée. En somme, les thèmes mis en évidence sont une représentation du corpus analysé et de la question posée.

L’analyse thématique présente différents types de démarche. La présente recherche se base sur la thématisation en continu (sans construction d’une grille d’analyse), qui permet une analyse plus fine et riche du discours analysé (Paillé et Mucchielli, 2016). Afin de préciser la méthode utilisée ici, notons que le mode d’inscription des thèmes retenu est celui de l’inscription en marge, couplé à un report sur un support papier, facilitant le processus de regroupements et de divisions desdits thèmes, résultant en un tableau récapitulatif des thèmes et sous-thèmes pour chaque participant (incluant des rubriques quand cela est nécessaire).

Enfin, une analyse transversale a été réalisée à partir de l’ensemble des analyses individuelles : les relevés de thèmes des sept participant·e·s ont été repris pour construire une représentation schématique de chaque dimension développée.

Vignettes individuelles

Trois de nos participant·e·s ont manifesté l’implication de croyances religieuses ou spirituelles dans leur parcours de désistance. Nous les présenterons ici succinctement.

Vincent, un Français de 39 ans, a été condamné à dix ans de prison pour trafic de drogue. Il menait, avec son père et son frère, une affaire d’importation et de vente de cocaïne. Il a également commis des faits de coups et blessures, mais nous explique n’avoir jamais été inquiété pour ceux-là. De tous nos participant·e·s, c’est celui pour lequel la religion a joué le plus grand rôle dans la sortie de la délinquance. En effet, Vincent explique que c’est en prison qu’il a commencé à croire en Dieu, et que c’est grâce à Dieu qu’il a arrêté de commettre des délits. Si la présence de ses enfants avec la volonté d’être un bon père, la peur de perdre sa mère et son éloignement du milieu délinquant l’ont également soutenu dans son parcours, c’est son rapport à Dieu et ses nouvelles croyances qui l’ont motivé à s’engager dans la désistance et à maintenir cet engagement.

« Mais c’est vrai que c’est la foi qui a fait que je me suis beaucoup calmé et que je me suis réinséré, parce que moi, je fais plus ça pour Dieu, car la justice des hommes, moi, j’en ai rien à foutre, moi, réellement. »

Jade est une jeune femme de 25 ans, ayant commis de nombreux vols – essentiellement de bijoux – de ses 14 à 16 ans, elle a aussi participé « bénévolement » à de la vente de substance. Elle n’a jamais été inquiétée pour aucun d’entre eux. Jade se décrit comme athée à tendance agnostique : elle croit au principe du Karma, au fait que lorsque l’on fait de bonnes ou mauvaises actions, l’équivalent nous reviendra plus tard. La trajectoire de désistance de Jade est déterminée par plusieurs dimensions : détachement des groupes avec lesquels elle commettait les faits, prise de conscience des conséquences sur les victimes, peur quant aux sanctions de ses actes le jour où elle atteindra la majorité, et enfin désir d’être en accord avec ses valeurs personnelles et spirituelles. Ainsi, pour recevoir le bien, elle doit également faire le bien, être respectueuse d’autrui, d’elle-même et de la personne qu’elle aspire à être.

« Pas… J’ai des croyances, mais… Et de manière générale, dans la vie, j’essaye toujours de me dire que je fais pas aux autres ce que je veux pas qu’on me fasse pour le retour de flamme, le retour du Karma et tout ça. Donc quand même, ça me guide. »

Noémie est une jeune femme de 21 ans, ayant vendu de nombreuses drogues pendant environ quatre ans. Elle a également fait un séjour en Institution publique de protection de la jeunesse (IPPJ), à la suite d’une plainte déposée à son encontre par son père. Elle n’a jamais eu de démêlés avec la justice concernant son travail de revendeuse de drogue. Bien qu’elle ait arrêté de commettre des délits, Noémie se considère toujours comme délinquante, en raison de sa consommation de cannabis. Concernant ses croyances religieuses, elle aimerait se convertir à l’Islam, mais ne pourra le faire qu’une fois qu’elle aura arrêté de consommer de la drogue : tant qu’elle ne l’aura pas fait, elle se considérera toujours comme délinquante, ce qui est incompatible avec une identité de croyante.

« Je sais déjà que Dieu accepte tout le monde et tout, c’est un peu abusé quand tu veux te remettre dans un nouveau truc au moins fais-le… Moi, je suis comme ça, quand je vais me mettre dans un nouveau truc, je préfère le faire bien, tout, tout tranquille, que de faire à moitié et de me dire “oui, mais Dieu pardonne”. »

Présentation des données transversales

Parmi les dimensions mises en exergue dans notre analyse, deux sont liées aux croyances religieuses ou spirituelles : les croyances personnelles comme ligne de conduite ainsi que la perception des conséquences que peuvent avoir les comportements délinquants sur la vie des participant·e·s ou de leurs proches.

Les croyances personnelles

Les croyances personnelles, qu’elles soient orientées vers soi ou, vers la religion ou la spiritualité, émergent de nos données comme lignes de conduite pour les participant·e·s. Pouvoir réaliser des actions pour soi génère un sentiment d’autovalorisation pour nos participant·e·s, mettant en jeu le respect d’eux-mêmes. Commettre des infractions entraîne un sentiment négatif dont ils ne veulent plus. Le développement d’un sentiment de responsabilité personnelle dans le changement est également souligné : sortir de la délinquance relève d’une décision qui leur est propre, ils sont acteurs de leur propre vie. Enfin, le sentiment d’être quelqu’un de bien peut être rattaché à une prise de conscience générée par Dieu ou soi-même. Cette réalisation constitue une motivation à la désistance : pour être en accord avec cette identité positive, les participant·e·s doivent arrêter de commettre des actes délinquants.

« Donc, c’est à toi de choisir soit t’as envie de continuer à faire le con et ça va être drôle deux, trois, quatre mois, un an, enfin drôle, t’as compris quoi, pendant, pendant un petit moment, ou soit tu décides de faire quelque chose là, maintenant, tout de suite et en espérant que ça change. »

Elias, 22 ans

Les croyances religieuses et spirituelles guident également les actes des participant·e·s. Désister implique pour eux de bien agir, sous-entendu ici de ne pas commettre de délits bien sûr, mais également de faire le bien. Ce dernier point tenant dans la croyance selon laquelle faire le bien amène également à recevoir le bien. Dans cette logique, les entités responsables de ce retour des bonnes actions peuvent être différentes selon les discours, qu’il s’agisse de Dieu ou du principe du Karma, mais le résultat est le même : il y a dans le fait de ne plus commettre d’actes de délinquance une motivation à recevoir le bien dans le futur, qu’il s’agisse d’un futur proche ou plus lointain. La désistance tient également dans le fait de suivre les écrits – ici pour les religions catholique et musulmane – dans lesquels certains comportements sont proscrits, notamment la délinquance et la consommation.

« J'étais dans une école qui est catholique, mais qui, les cours de religion étaient plus tournés… Philosophie, discussion avec quand même un apport sur les religions. Et en fait, c’était plus la question de l’humain. La question des relations, et c’est comme ça que moi, j’ai, j’ai voulu agir, plus… en relation avec les gens. Bah… le respect et, et si je fais le bien, je, j’aurai du bien, donc c’est plus comme ça. »

Jade, 25 ans

La perception des conséquences

La perception des conséquences de la délinquance est un autre élément soutenant la désistance des participant·e·s. Parmi celles et [ceux] ayant été incarcérés, la rupture avec les proches qui résulte de l’incarcération est difficilement envisageable et peut générer un sentiment de déshumanisation, par la privation des libertés. Il y a également pour certain·e·s de nos participant·e·s un sentiment de peur qui accompagne la perception de la prison comme conséquence des délits. Cette peur se caractérise différemment selon les participant·e·s : peur d’un châtiment divin ; peur des autres détenu·e·s perçu·e·s comme plus dangereux·ses ; peur de la confrontation aux autorités et plus particulièrement à la police ; ou encore peur de la majorité et des risques qui y sont liés, comme le fait d’avoir un casier judiciaire. Les dangers encourus lors du recours à la violence sont également mis en avant par certain·e·s participant·e·s. Sortir de la délinquance a ainsi été motivé par une volonté de se détacher de la violence présente dans les milieux criminels. Cela pouvait être justifié de différentes manières : prise de conscience de la dangerosité de leur milieu, confrontation à la mort d’un proche ou peur de ne pas aller au paradis à cause de leurs actions.

Figure 1

« Croyances personnelles comme ligne de conduite »

« Croyances personnelles comme ligne de conduite »

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« Et pis c’est pareil, parce que voilà pourquoi aussi, si je vends de la drogue toute ma vie, à un moment donné, je serai plus près du côté du diable que du côté de Dieu. Et allez, à un moment donné il va se passer quoi ? Je vais pas revoir les gens que je pense revoir au paradis. »

Vincent, 39 ans

Il y a également pour nos participant·e·s un sentiment de culpabilité propre aux faits de chacun·e qui se développe par différentes prises de conscience : vendre de la drogue revient à détruire des vies ; commettre un vol implique de dérober le fruit du travail d’un·e autre ; perpétrer des coups et blessures pour le plaisir a des répercussions sur la victime. Il y a une prise en compte de l’impact réel de leurs actions sur les autres personnes. Les enjeux pour autrui peuvent être financiers – prendre les ressources de personnes qui en ont vraiment besoin – ou humains – faire du mal, physiquement ou psychologiquement, voire de détruire des vies.

« Et en fait ça, c’était impensable pour moi de me dire, non, je veux pas prendre l’argent des gens, je veux prendre des boucles d’oreilles, et ce… ce… et en fait ça, ça fait tout de suite voir les choses différemment. Et puis après, comme je t’ai dit, bah… quand tu consommes de manière différente, tu dis bah… voler des boucles d’oreilles à cette créatrice-là, ben peut être que, elle, ça peut la… la détruire, détruire son commerce, détruire ses créations, tout ça. Donc, ouais, c’est vraiment… C’est ça. »

Jade, 25 ans

Figure 2

« Perception des conséquences »

« Perception des conséquences »

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Discussion

La présente recherche visait à comprendre comment les croyances religieuses ou spirituelles peuvent s’inscrire dans le processus de désistance. Après avoir rencontré sept adultes ayant commis des infractions, nous avons vu émerger différentes composantes caractérisant leur processus de désistance et avons explicité les dimensions se rapportant à la religion et la spiritualité.

Divers tournants institutionnels ont été mis en avant par nos participant·e·s, tels que la parentalité, la vie professionnelle ou encore les croyances. Comme l’ont souligné Laub et ses collaborateurs (2018), c’est la qualité subjective du tournant institutionnel qui est importante. Dans nos données, le sens donné au rôle de croyant, de parent ou de travailleurs est l’élément central soutenant la désistance. Cela renvoie évidemment à toute la singularité du processus de désistance, chacun·e investissant différemment des tournants de vie pourtant communs.

Les croyances religieuses soutiennent le changement de comportements, en offrant une base de règles à suivre et une définition de comportements à avoir (Morag et Teman, 2018 ; Mohammed, 2019). La distinction entre croyances religieuses et spirituelles est à souligner dans nos données. En effet, des conduites précises – à tenir ou à proscrire – sont énoncées dans la religion, comme ne pas consommer de substances ou ne pas commettre de délits. Dans la spiritualité, en revanche, il s’agit plutôt d’une ligne directrice très générale de « faire le bien », qui se retrouve également dans la religion. Les deux poussent donc aux comportements prosociaux (Johnson, 2018), mais de manière plus ou moins concrète, réglementée. Si notre étude rejoint la conception d’une religion appuyée sur des écrits et institutions, et d’une spiritualité plus personnelle et laissant place à la subjectivité (Zinnbauer et Pargament, 2005), nos participant·e·s se reposent néanmoins de la même manière sur ces lignes de conduite : elles leur permettent de se projeter dans le futur. Cela renvoie à la difficulté d’envisager ces concepts séparément, tout en soulignant l’importance de les différencier dans leur essence.

Ce cadre de référence apparaît ici comme soutien au changement identitaire des participant·e·s. Le respect des enseignements ou des lignes directrices est un moyen d’engager cette transition par l’harmonisation des comportements avec l’identité perçue ou désirée, qui n’existe pas uniquement dans la sphère religieuse ou spirituelle. En effet, la nouvelle identité possible (Paternoster et Bushway, 2009) perçue par les participant·e·s peut en être une de bon parent, de bon·ne travailleur·euse ou de bon·ne croyant·e. Certains éléments ont donc mené les participant·e·s à se projeter dans une vie correspondant aux standards de la société ou de leur communauté, avec le développement d’une identité ou d’un soi conventionnel (Giordano, 2002). Cette projection dans le futur a de surcroît été motivée par le sentiment d’être quelqu’un de bien et par la volonté de pouvoir être fier de soi-même, rejoignant une notion nécessaire à la désistance, développée par Maruna (2004) : croire en un soi fondamentalement bon. Cette croyance pouvant être initiée par Dieu, qui soutient une image positive de soi. C’est ici la compréhension des actes passés (Maruna et al., 2006) et des raisons qui ont poussé les participant·e·s à les commettre qui est importante, cette relecture pouvant dans certains cas être permise par la religion ou la spiritualité.

Pour certain·e·s participant·e·s, faire le bien ou ne pas commettre de délits équivaut à une récompense dans le futur. Parmi les récompenses envisagées, on note le fait d’aller au paradis ou d’être heureux, ayant déjà été mises en avant dans la littérature (DiPietro et Dickinson, 2021). Les bénéfices peuvent provenir d’une entité supérieure ou n’être que le résultat du travail des participant·e·s. Ces données rejoignent le principe de la théorie du choix rationnel (Boudon, 2004), puisqu’il y a ici une prise en compte des bénéfices de la délinquance et de ceux de la désistance. Il émerge de nos matériaux que les récompenses envisagées à la suite de l’arrêt des faits sont subjectives : pouvoir être heureux, épanoui, être quelqu’un de bien. Les bénéfices de la délinquance quant à eux sont bien plus concrets : consommation de substance, attrait financier… De cette recherche émerge le constat suivant : dans leur perception actuelle, les motivations identitaires sont plus importantes pour les participant·e·s que les motivations matérielles. En effet, les transformations identitaires occupent un rôle central dans le processus de désistance, faisant référence à la désistance secondaire ou identitaire (Farrall et Maruna, 2004 ; Nugent et Schinkel, 2016). Plus qu’un simple arrêt des délits, il y a une modification de la perception de soi, de délinquant·e à non-délinquant·e.

Notons tout de même que la délinquance peut continuer de présenter des aspects positifs pour les participant·e·s. La perception des conséquences ou des risques inhérents au milieu a également dû évoluer, dans une réévaluation des attraits et des inconvénients de la délinquance permise par différents facteurs : la parentalité (qui amène la prise en compte des conséquences de ce mode de vie pour les enfants), les croyances religieuses (impliquant de nouveaux coûts, tels que l’accès au paradis ou la possibilité d’un châtiment divin), ou encore l’exposition à un évènement traumatisant (qui permet la conscientisation de la violence du milieu) (Nagin et Paternoster, 1993 ; DiPietro et Dickinson, 2021). Il existe donc différentes raisons poussant les individus à réévaluer les attraits de l’infraction et les conséquences de celle-ci, mais ces raisons bien que diverses renvoient toutes à la réalisation d’un choix fondé sur des critères définis par les individus (Weaver, 2020). Nos résultats interrogent néanmoins la temporalité de ce processus : certains facteurs soutiennent la désistance de manière quasi immédiate, alors que d’autres sont des supports plus durables dans le temps.

Les données de notre étude définissent la désistance comme processus à la fois individuel et profondément social, ce qui avait déjà été relevé par différents auteurs (Maruna, 2004 ; Healy, 2013). Les relations sociales soutenant le processus de désistance peuvent s’inscrire de plusieurs manières dans cette trajectoire singulière.

L’engagement dans la sortie de la délinquance pour autrui s’observe dans la relation des participant·e·s avec leurs enfants, parents, conjoint·e ou encore avec les intervenant·e·s psychosocial·e·s. Cependant, nos données mettent en avant l’importance d’envisager cette dimension sur un continuum : les relations peuvent être le ciment de la désistance ou bien n’être que très secondaires. Si cette notion de désistance à la fois individuelle et sociale avait déjà été mise en évidence (Maruna et al., 2004 ; Fox, 2022), nos données soulignent la singularité de chaque parcours, avec une attribution variable de l’arrêt des comportements délinquants, qu’elle soit interne ou externe. L’engagement dans la désistance peut être réalisé pour autrui (personne dite réelle ou entité religieuse ou spirituelle), ou être une obligation prise envers soi. Notons que pour nos participant·e·s, les interventions formelles (Villeneuve et Dufour, 2020) sont très peu valorisées : nos trois participant·e·s ayant été incarcérés évoquent la présence d’un intervenant du service pénitentiaire d’insertion et de probation dans leur suivi post-carcéral, sans identifier le rôle de celui-ci dans leur cheminement hors de la délinquance. Il semblerait au contraire qu’il soit perçu comme inutile dans le processus de désistance.

Identité et liens sociaux sont des concepts liés, et dans le cadre de notre étude, nous pouvons parler d’une transition identitaire sociale. Celle-ci s’effectue dans le rapport à soi, à l’autre, et de l’autre envers soi. Il y a une motivation à faire corps avec la société, à lui apporter une plus-value. Nous observons ici le fait que cette motivation peut être portée par l’investissement dans le travail, dans une communauté religieuse ou dans la parentalité ; autant de facteurs qui peuvent encourager la sortie de la délinquance, renvoyant au paradigme sociogénique déjà évoqué (Glowacz et Born, 2017). La désistance tertiaire (McNeill, 2016) est également en jeu : il existe un besoin de se sentir appartenir à la communauté. Nos données s’apparentent cependant plus à la notion de désistance relationnelle de Nugent et Schinkel (2016) : la reconnaissance du changement par autrui précède parfois cette reconnaissance du changement de l’individu envers lui-même ; ce nouveau regard porté sur soi peut être moteur de l’arrêt des délits et du maintien de la désistance, même si ce regard n’est pas conscientisé. Il y a un renforcement du processus de désistance par l’image que la société renvoie à l’individu de lui-même (Maruna et al., 2004). C’est pour certain·e·s la redirection d’une vision portée sur l’identité délinquante à une vision davantage portée sur l’identité professionnelle, parentale ou religieuse.

La diversité et la complexité du processus de désistance sont ici évidentes, il est donc nécessaire d’envisager le parcours de désistance dans sa globalité, comme un tout complexe et profondément singulier.

Limites et perspectives de recherche

Plusieurs limites à notre recherche se doivent d’être relevées. Par choix méthodologique, nous n’avons pas sélectionné notre échantillon selon des croyances ou religions particulières. Si ce choix a engendré une forte hétérogénéité parmi nos participant·e·s, il a également été source d’une grande richesse, nous permettant de mettre en exergue des processus communs aux individus malgré leurs nombreuses différences. Il rend néanmoins difficile la généralisation de nos résultats, ce qui n’est pas, rappelons-le toutefois, le but premier d’une méthode qualitative. La désistance est un processus complexe, non linéaire et surtout long. Par conséquent, réaliser une étude transversale ne permet pas d’envisager toute la complexité de la temporalité en jeu. Enfin, la réalisation d’un entretien unique limite une exploration plus approfondie du vécu subjectif du sujet. En effet, le parcours de désistance renvoie à des processus internes et la plupart du temps non conscientisés. La verbalisation de ces processus peut donc être compliquée. La possibilité de rencontrer plusieurs fois les participant·e·s aurait permis d’engager une réflexion plus élaborée, et donc de développer plus en détail les éléments abordés.

Partant des données de cette recherche, nous pouvons envisager des implications tant au niveau des pratiques de terrain que des perspectives de recherche. Tout d’abord, l’intervention de représentant·e·s de culte au sein des institutions ou des programmes de réhabilitation peut offrir l’opportunité aux détenu·e·s de se saisir de cet accompagnement par la religion et la spiritualité, leur permettant également de développer des liens sociaux conventionnels. Les changements identitaires, le sentiment de solitude et le besoin de s’ancrer dans la société apparaissent par ailleurs dans les trajectoires de chacun des sujets, judiciarisé·e ou non, il est dès lors important de soutenir individuellement les voies empruntées : permettre à celui/celle qui le souhaite de pratiquer sa religion ou sa spiritualité et à un·e autre d’investir son rôle parental ou son identité professionnelle autant que faire se peut.

Concernant les perspectives de recherche, il nous semble important d’élargir la recherche à la diversité de religions et de spiritualités existantes, mais également de pouvoir réaliser des études non exclusives d’un certain type de croyances. En effet, notre recherche a permis d’apercevoir des liens et des processus communs aux différentes approches religieuses ou spirituelles. Il serait dès lors judicieux de mener des études explorant cette question sans se limiter dans la nature des croyances, tenant ainsi compte des personnes agnostiques et athées.

Il serait intéressant de se pencher sur les interventions des conseiller·ère·s religieux et laïques dans nos prisons belges, d’en comprendre l’importance et le rôle, qui commence lors de l’incarcération et se poursuit ou non, dans le parcours de désistance à la sortie de prison. Pour cela, des études de type longitudinales seraient probablement d’une grande richesse. S’intéresser à la perception de ces professionnel·le·s s’inscrivant souvent dans le contexte d’un désistement assisté informel, permettrait une meilleure compréhension de la présence de la religion ou de la spiritualité, ou au contraire de son caractère secondaire dans ce type d’accompagnement. Pouvoir explorer la manière dont la religiosité est mobilisée dans ces interventions serait également un champ de recherche à développer.

Enfin, étudier de manière longitudinale l’investissement des croyances religieuses et spirituelles et son évolution dans le temps permettrait d’en comprendre mieux les implications et de développer des stratégies d’accompagnement plus individuelles.

Conclusion

La présente recherche visait à explorer l’intégration de la religion et de la spiritualité dans le processus de désistance. Notre étude rend compte de processus communs agissant dans la désistance, où religion et spiritualité peuvent soutenir tant les changements comportementaux qu’identitaires. L’essentiel de ce facteur de désistance réside dans son investissement par l’individu : si la présence de croyances religieuses ou spirituelles ne garantit pas l’engagement de l’individu dans un processus de désistance, elles peuvent être de réels moteurs de désistance si elles sont investies par la personne. Elles permettent à l’individu de se redéfinir dans une identité autre, dans de nouvelles relations sociales, et ainsi de se détacher des milieux délinquants sur le long terme. Plus que les croyances, c’est ici la manière dont les individus les investissent qui est déterminante.