La plume d’aigle est considérée comme un objet sacré chez plusieurs peuples autochtones et est souvent utilisée dans les cérémonies et certains protocoles au Canada (Swain 2017). Elle peut être utilisée également pour orner certains objets sacrés, comme une coiffe de chef, un calumet de la paix (Dumouchel 2005) ou encore un bâton de parole (Bousquet 2009). Simple ou ornée de perles ou d’un ruban, la plume d’aigle peut être tenue seule dans les mains lorsqu’une personne s’exprime oralement à un événement public (ibid.). Voici deux exemples éloquents et médiatisés de cet usage : lorsque Elijah Harper, de la nation oji-crie et député provincial du Manitoba, alors connu comme « l’homme avec une plume d’aigle » (Swain 2017 : 55), s’était opposé à l’Accord du lac Meech le 12 juin 1990, lors de l’Assemblée législative du Manitoba et lorsqu’Ellen Gabriel avait demandé la reconnaissance du territoire des Kanien'kehà:ka lors de la résistance de 1990 à Kanehsatà:ke (ibid.). Plus récemment, à la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec (2016-2019), plusieurs objets culturels ont été intégrés aux protocoles et aux étiquettes diplomatiques à l’intention des personnes autochtones, dont la possibilité de prêter serment avec une plume d’aigle à la main. Ainsi, la présidente de Femmes Autochtones du Québec (FAQ), Viviane Michel, a prêté serment sur la plume d’aigle avant de témoigner (CERP 2018). La plume d’aigle est toutefois un symbole énigmatique pour plusieurs citoyens canadiens allochtones, dont moi-même, qui en connaissent peu sur la réelle signification et la portée de ses usages. Pour éclairer un peu plus le sujet, le présent article aborde le symbolisme de la plume d’aigle chez les Premières Nations et son association au panautochtonisme ainsi que certains de ses usages dans des événements publics et protocolaires au Canada, notamment dans le domaine judiciaire. Des utilisations problématiques de la plume d’aigle recensées selon les individus qui en font usage seront abordées par la suite. Finalement, j’exposerai en quoi la possession d’une simple plume d’aigle est normée au Canada. Plusieurs types d’oiseaux et leurs plumes sont utilisés chez les Premières Nations comme des symboles : pour plusieurs, l'aigle est maître du jour, le hibou, maître de la nuit, le pic-bois, maître des arbres et le canard, maître de l'eau (Fletcher 1996, paraphrasé dans Dumouchel 2005). Les plumes de la perdrix sont également estimées chez les Anicinabek; au même titre que celles de l’aigle, elles protègent des mauvais esprits (Clément et Martin 1993; Bousquet 2002). L’aigle est d’ailleurs considéré comme l’animal le plus sacré dans la spiritualité traditionaliste des Premières Nations et il peut être représenté par une seule plume (Bousquet 2002). Associé surtout aux Peuples Originaires des plaines des États-Unis d'Amérique (ibid.), comme les Sioux et les Nakoda Oyadebi, l’aigle est devenu un emblème panautochtone, symbolisant la fraternité entre tous les Autochtones de l’Amérique du Nord (ibid.). Le panautochtonisme se définit comme un mouvement qui s’est développé au début du 20e siècle (Clément 2017) et qui représente un ensemble de pratiques culturelles communes à plusieurs peuples autochtones de cette région (ibid.). Ainsi, tant chez les Atikamekw que chez plusieurs autres nations autochtones, l’aigle est un symbole de force et un « messager entre le Créateur et les humains » (ibid. : 92). L’oiseau capable de planer le plus haut dans le ciel, « il a une vision élargie du monde » (ibid. : 93). L’aigle « représente [alors] les relations de déférence et d’intimité des [Premiers Peuples] avec le Créateur, la communication entre la terre et le …
Appendices
Bibliographie
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