Abstracts
Résumé
En France et en Belgique, la parole des accusés pour faits de terrorisme est précieuse et fondamentale dans le cadre de procès équitables. Il est fréquent que les auteurs d’attentats terroristes ne soient plus là pour s’exprimer devant la cour d’assises et, lorsqu’ils sont en vie, il est fréquent qu’ils obéissent aux recommandations de l’État islamique et qu’ils gardent le silence. À travers l’étude de deux procès d’attentats terroristes, l’auteure analyse les conditions de production de la parole de deux accusés et les effets des discours les concernant par des experts, avocats et témoins. Aujourd’hui, la vérité judiciaire ne se suffit plus de l’aveu, mais se construit à partir de discours réflexifs sur l’accusé et sur sa parole. L’auteure cherche à comprendre comment cette parole est produite, comment elle réagit et interagit avec d’autres paroles et quels sont les effets produits sur les accusés.
Abstract
In France and Belgium, the word of the accused of terrorism is precious and fundamental to fair trials. The perpetrators of terrorist attacks are often no longer present to speak before the assize court, and when they are alive, they often obey the recommendations of the Islamic State and remain silent. Through a study of two trials involving terrorist attacks, the author analyses the conditions under which the speech of two defendants is produced as well as the effects of the speeches made about them by experts, lawyers and witnesses. Today, judicial truth is no longer based on confessions alone, but is constructed on the basis of a reflexive discourse about the accused and their words. This article seeks to understand how truth is produced, how it reacts and interacts with other speeches, and what effects it has on the accused.
Resumen
Tanto en Francia como en Bélgica la palabra de los acusados por actos terroristas es valiosa y fundamental en el marco de un proceso equitable. Frecuentemente los autores de atentados terroristas no están para declarar ante la cour d’assises, y si están vivos, a menudo obedecen las recomendaciones del Estado Islámico y guardan silencio. El autor examina aquí dos procesos judiciales de atentados terroristas, analiza las condiciones de creación de la palabra de dos acusados y los efectos de los discursos que los implican por parte de expertos, abogados y testigos. Hoy en día, la verdad judicial no se satisface solamente con la confesión, sino que se forma a partir de discursos reflexivos sobre el acusado y su palabra. Este artículo busca comprender cómo se crea dicha palabra, cómo reacciona y cómo interactúa con otras y cuáles son los efectos que provocan en los acusados.
Article body
Dans son essai intitulé L’ordre du discours, Michel Foucault écrit : « je pense encore à la manière dont un ensemble aussi prescriptif que le système pénal a cherché ses assises ou sa justification, d’abord, bien sûr, dans une théorie du droit, puis à partir du xixe siècle dans un savoir sociologique, psychologique, médical, psychiatrique : comme si la parole même de la loi ne pouvait plus être autorisée, dans notre société, que par un discours de vérité[1] ». Partant de cette réflexion de Foucault, nous pouvons faire plusieurs constats. Aujourd’hui, le débat contradictoire qui caractérise une audience pénale n’est plus seulement nourri par l’opposition binaire des paroles de l’accusé à celles du procureur et des parties civiles, mais il l’est également par les discours de multiples experts. La vérité judiciaire est loin de se suffire des seuls aveux de l’accusé, elle fait l’objet d’une véritable construction qui nécessite le concours de nombreux acteurs[2]. La cour attend de l’accusé qu’il reconnaisse son implication dans les faits qui lui sont reprochés, qu’il énonce, à la première personne, sa culpabilité. Mais des aveux ne suffisent plus à prouver la culpabilité d’un individu. Aussi, son discours est non seulement confronté à la réalité des faits, à des éléments matériels et tangibles, mais il est également confronté à d’autres discours : ceux des témoins, pour voir si les versions concordent ; ceux des enquêteurs, pour évaluer la concordance avec les faits matériels ; ceux des experts, pour évaluer la fiabilité de ce qu’il dit. Comme le fait remarquer Foucault en 1981, lors des cours qu’il donne à Louvain sur la fonction de l’aveu en justice, à partir du xixe siècle, il ne s’agit plus seulement, pour juger, de savoir précisément ce que l’accusé a véritablement fait, il faut aussi comprendre qui il est[3]. On ne juge plus seulement des « faits », on juge avant tout une « personne », sujet de droits et de devoirs, un sujet soumis à la Loi et qui doit répondre, devant elle, de ses actes. Non seulement la Loi vise à assigner un acte à une personne[4], mais elle vise aussi à sanctionner cet acte de manière qu’il ne soit pas reproduit. C’est le risque de récidive que les juges souhaitent enrayer et qui semble justifier qu’ils s’intéressent à l’auteur, à ce qui a motivé son acte et ce qui a rendu possible la commission de cet acte. Afin de comprendre la personnalité de l’accusé, les juges recourent à des experts variés, dont les discours viennent nourrir les débats et éclairer la cour d’assises avec des connaissances qui ne sont pas celles de la Loi. Si l’on en revient à la citation liminaire de Foucault, la construction de la vérité judiciaire implique que l’on comprenne l’auteur des faits afin de comprendre les faits eux-mêmes et requiert, pour ce faire, le concours d’experts choisis en fonction de l’affaire jugée. Le dispositif pénal doit donc être en mesure de produire et de faire entendre ces différents discours de manière équitable afin qu’une vérité judiciaire émerge des débats. Cependant, la production de ces différents discours ne suppose pas les mêmes modalités. Certaines paroles, comme celle de l’accusé, peuvent être particulièrement difficiles à faire advenir. Bien qu’il soit fondamental pour la construction de la vérité judiciaire que l’accusé « parle » et « se livre », il n’est pas dans une situation qui favorise un discours libre, naturel et aisé. Sa parole est contrainte par le dispositif et fortement cadrée par le président de l’audience.
Nous avons choisi le cadre particulier des procès d’attentats terroristes djihadistes, et notamment ceux qui ont eu lieu en France et en Belgique ces dix dernières années, afin d’analyser les modalités de production de la parole des accusés. Étudier la parole des accusés lors de procès pour faits de terrorisme nous paraît particulièrement intéressant pour plusieurs raisons. Tout d’abord, le terrorisme implique des actes généralement meurtriers qui affectent en profondeur et durablement l’ordre social. Beaucoup de ces procès et ce que les accusés ont à dire sont attendus non seulement par les victimes et les familles des victimes, mais aussi par toute la société afin de « comprendre » pour pouvoir se réparer ou passer à autre chose. Ensuite, les auteurs d’attentats terroristes ne sont souvent plus là pour témoigner à leur procès. S’ils sont présents à l’audience, ils obéissent à des injonctions de silence et refusent de parler, ce qui fait de leur parole une parole recherchée par les magistrats et l’ensemble des auditeurs. Enfin, l’agir violent vient, bien souvent, dire par des actes ce que l’individu n’est pas capable d’élaborer en paroles et d’exprimer par des mots[5]. C’est pourquoi lorsqu’elle advient, lorsque l’accusé parvient à mettre des mots sur ce qu’il a fait et vécu, à se faire le sujet de sa propre histoire racontée en « je », cette parole est une parole subjectivante. Si la notion de subjectivation est employée et développée en psychanalyse[6], ce sera au concept et à la définition développée par Foucault tout au long de son oeuvre que nous nous référerons ici. Le terme « subjectivation » tel que l’entend Foucault est défini comme « un processus par lequel on obtient la constitution d’un sujet, ou plus exactement d’une subjectivité[7] ». Il désigne en fait un ensemble de processus par lesquels un individu se constitue en tant que sujet, dont la subjectivité se construit et est construite dans et par sa conscience de lui-même et de son histoire. Ce qui nous paraît particulièrement intéressant chez Foucault, c’est qu’il s’agit de subjectivations dont le sujet est à la fois l’auteur et l’objet. Autrement dit, il y a deux types de processus de subjectivation à l’oeuvre. Il y a ceux qui sont, au départ, des modes d’objectivation qui transforment les êtres humains en sujets, entendons – dans le cadre de notre étude – des objets de discours qui sont subjectivants pour les accusés. Et il y a les processus de subjectivation qui permettent à un individu de se constituer comme sujet de sa propre existence à travers un certain nombre de techniques (là encore, nous nous concentrerons sur la parole de soi sur soi comme processus de subjectivation). Nous avons travaillé sur deux études de cas issues de deux procès : le procès de l’attentat au Musée Juif de Bruxelles et le procès de l’attentat échoué aux bonbonnes de gaz. Dans chacun de ces deux procès, nous avons recueilli et étudié la parole des accusés principaux, à savoir Mehdi Nemmouche pour le premier procès, Inès Madani pour le second. Chacun de ces deux cas présente des modalités d’expression et de participation très différentes et illustre les deux types de subjectivation évoqués plus haut. L’accusé est objet de discours subjectivants énoncés par les témoins, les avocats, les experts et les magistrats, mais il peut aussi être le sujet de son propre discours. Ces deux types de processus de subjectivation sont duaux en ce sens qu’ils se réfléchissent.
Dans notre article, nous proposons de voir comment les discours sur l’accusé, en sa présence, agissent sur sa parole et interagissent avec elle, et quels peuvent être les effets subjectivants de ces discours sur l’accusé. Quelle réflexivité peut-on observer lorsque la parole résiste ou lorsqu’elle se dit en silence ? et lorsque l’accusé parle et se livre ? Comment la parole de l’accusé et les paroles sur l’accusé s’articulent-elles et constituent-elles des vecteurs de subjectivation ?
Dans un premier temps, nous définirons la parole judiciaire de l’accusé devant une cour d’assises, puis nous définirons le cadre qui produit cette parole, la parole de personnes jugées pour faits de terrorisme sur laquelle nous avons choisi de travailler (partie 1). Dans un second temps, nous analyserons les paroles de deux accusés, produites dans le cadre de deux procès pour faits de terrorisme. Nous verrons pour chacun des cas quelles ont été les modalités de production de ces paroles, comment elles interagissent avec les discours des autres protagonistes et quels sont les effets de ces paroles sur les accusés et sur ce qu’ils énoncent ou non devant la cour (partie 2).
1 La parole d’accusés pour faits de terrorisme : définitions et cadres de production
La parole est intrinsèque à la justice. Comme l’écrit Garapon, « [s]i la loi est écrite, la justice est […] un dire public[8] ». La justice est rendue au cours d’une procédure orale, où la parole est produite selon des règles strictes et régulée par le président de la cour qui distribue la parole et arbitre les débats. L’oralité des débats doit permettre d’assurer les droits de la défense par l’échange contradictoire, elle assure au prévenu la possibilité de contester tout ce qui est dit contre lui durant son procès. Le principe est que tout élément servant de preuve doit pouvoir être discuté au cours du débat contradictoire. Ainsi, tout le contenu du dossier nécessaire à la construction de la vérité judiciaire et au jugement est oralisé. Dans ce sens, l’article 427 § 2 du Code de procédure pénale français[9] stipule que « le juge ne peut fonder sa décision que sur des preuves qui lui sont apportées au cours des débats et contradictoirement discutées devant lui ». Dans cette logique contradictoire, la voix de l’accusé, aidé de son avocat, doit pouvoir être entendue. Pour autant, sa parole n’est ni neutre ni libre : elle est rigoureusement codifiée, cadrée et médiée par le dispositif. C’est pourquoi nous proposons de commencer par définir cette parole (1.1), puis de préciser ce qui, dans le dispositif spécifique que nous avons choisi pour étudier la parole de l’accusé, détermine la production de cette parole (1.2). Enfin, nous présenterons la matière de notre étude et la méthodologie choisie pour l’analyser (1.3).
1.1 Aveu et parole judiciaire
Lorsqu’on pense à la parole de l’accusé, on pense tout naturellement à l’aveu. Un aveu s’entend en premier lieu comme un acte de langage, de pensée et de conscience visant à extérioriser une faute ou une action condamnable en attestant sa « vérité ». La parole de l’accusé se réduit-elle pour autant à ses aveux ? Ne devrait-on pas penser cette parole indépendamment de la notion d’aveu qui instaure d’emblée un rapport de force, l’idée d’une culpabilité, l’attente d’une parole par laquelle l’accusé va se soumettre à l’instance chargée de le juger ? Au-delà d’un énoncé par lequel l’accusé va reconnaître sa culpabilité, avouer son crime, les juges attendent de lui qu’il explique son état d’esprit au moment du crime, le sens qu’il donne à ses actes, ses motivations, ses intentions, etc. Autrement dit, ils attendent la vérité de l’accusé.
Selon Foucault, l’aveu est un acte de constitution de soi, l’avouant se redéfinit identitairement, conformément à la Loi, à un discours provenant d’une autorité et auquel il se soumet[10]. L’aveu est censé confirmer l’acte criminel et le réinscrit dans un espace de pouvoir et dans le social afin de permettre de refonder le lien social sur des valeurs communes. L’aveu s’inscrit, par essence, dans des relations de pouvoir, en réponse à une accusation et est attendu d’une personne coupable. Or l’histoire a montré qu’un aveu pouvait être extorqué ou insinué alors que l’avouant n’est pas coupable. Et quand bien même il le serait, quand bien même il dirait quelque chose d’une vérité propre à l’avouant/l’accusé, il ne serait jamais, dans le droit contemporain, une preuve de culpabilité[11]. Foucault questionne le lien entre l’aveu et la vérité. L’aveu doit être vrai, sinon ce n’est pas un aveu. Il rappelle toutefois qu’il faut distinguer l’énoncé de l’aveu (le fond, ce qui est avoué) et l’énonciation de l’aveu (l’acte d’avouer). Si l’aveu en tant qu’acte est ritualisé et cadré, il paraît beaucoup plus difficile de garantir la vérité de l’énoncé[12]. Les discours des différents experts visent précisément à évaluer la fiabilité et le caractère « vrai » de ce qu’énonce l’accusé. Les experts aident les juges à évaluer la valeur probatoire de discours qui s’opposent. Tandis que l’enquête ordonne et structure les différents discours, l’audience, par le biais de l’oralité et du débat contradictoire, remet en jeu ces discours et engage chacun (victimes, témoins et accusés) à « parler librement[13] ». La scientificité de ces discours en fait-elle nécessairement des discours plus vrais ? « [Plutôt que] d’approximer le vrai, [écrit Bruno Latour], [la justice] doit produire le juste, dire le droit, dans l’état actuel des textes, en prenant en compte la jurisprudence, sans autres tiers que les juges[14]. » L’enjeu du droit ne serait donc pas de dire le vrai, mais de produire le juste. Une autre ethnologue, Christiane Besnier, s’est intéressée à cette production d’une vérité judiciaire dont elle écrit qu’elle « s’énonce comme une certitude acquise par des convictions stables issues des échanges de l’audience. L’équilibre que l’on nomme “vérité” n’a rien d’absolu[15] ». C’est donc par un processus d’élucidation, de confrontation des discours, de coconstruction de sens que les acteurs cherchent à rendre audibles, cohérents et rationnels les faits jugés, mais aussi le discours de l’accusé qui fait partie intégrante de cette construction commune.
Judith Butler qui analyse Foucault remarque qu’il décrit une pratique idéale de l’aveu et de la manière dont il devrait fonctionner[16]. Mais il n’explore pas en quoi l’aveu peut également fragiliser le système judiciaire lorsque l’accusé n’avoue pas. Dans le droit civil français, l’accusé a le droit de garder le silence sans que ce silence ait valeur d’aveu de culpabilité. Des études montrent pourtant que le silence vient souvent, aux yeux des jurés et des magistrats, dire la culpabilité[17]. Nous analyserons ce cas de figure par la suite. Limiter la parole de l’accusé à l’aveu, c’est peut-être priver la cour et l’audience d’une vérité qui est propre à l’accusé et perdre une occasion d’une subjectivation qui se fait, dès lors que l’accusé s’énonce à la première personne. Cela suppose sans doute de penser la notion d’aveu au regard de la capabilité[18] de l’accusé : comment la procédure pénale le « rend-il réellement capable » d’avouer ?
Si l’aveu n’a pas fonction de preuve, si l’on reconnaît qu’il ne dit pas forcément le vrai, mais qu’il a une valeur performative en ce sens que son contenu influe sur les représentations que les interlocuteurs se feront de l’accusé une fois l’aveu énoncé, alors quel est son enjeu lors de l’audience ?
Par sa parole, l’accusé va également se resubjectiver et se redéfinir socialement à travers l’énonciation publique d’une intériorité propre qu’il gardait pour lui, qui lui appartenait, jusqu’au moment d’en faire un aveu. L’aveu suppose un mouvement d’extériorisation, le dévoilement d’une part de soi-même que l’on donne à voir au monde. Il a un effet transformateur en ce sens qu’il positionne celui qui avoue dans un nouveau rapport à l’Autre, il l’expose au jugement. On avoue quelque chose supposé être répréhensible, honteux ou condamnable par une instance extérieure. L’aveu implique une subordination alors même que l’accusé bénéficie de la présomption d’innocence garantie par l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et libertés fondamentales, plus connue sous le nom de Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). Il ne s’agit bien évidemment pas d’écarter l’aveu qui demeure un élément fondamental de la procédure judiciaire. Nous soutenons simplement que la parole de l’accusé ne peut être réduite à ses aveux.
La parole judiciaire est une parole qui engage, chaque mot prononcé par l’accusé pouvant être retourné contre lui. C’est une parole qui assigne, le crime est assigné au criminel qui devient, aux yeux de la Loi et de la société, un criminel. C’est aussi une parole qui justifie le processus judiciaire enclenché et qui donne du sens à la peine prononcée. Enfin c’est une parole qui modifie le rapport du sujet à son crime[19]. En effet, l’accusé qui se reconnaît auteur des actes qui lui sont reprochés acquiert une nouvelle place dans la société. La pédagogie de l’audience et ce que Legendre appelle « la fonction clinique du droit[20] » désignent l’effet que l’audience produit sur certains accusés. L’audience est, dans l’application du droit civil, pour l’accusé, une occasion de s’exprimer, d’être écouté, d’être au centre de l’attention. C’est une occasion d’entendre, dans les témoignages des proches, des choses qu’ils n’ont parfois jamais entendues auparavant. La parole qui surgit à l’audience est inédite et unique, jamais plus les conditions d’un procès en première instance ne seront réunies. Cette parole, qu’elle soit énoncée par l’accusé ou tue, est nécessaire au processus de formation de l’intime conviction des juges[21], et nous ajoutons, au processus de transformation d’un accusé au cours de l’audience. Dès lors la question qui nous intéresse n’est plus « comment la procédure pénale rend-elle l’accusé capable d’avouer ? », bien que nous reconnaissions à « l’aveu » une fonction subjectivante, mais plutôt « comment la procédure rend-elle l’accusé capable de s’exprimer sur lui-même et pour lui-même ? ». C’est l’acte de parole subjectivant, et ce qui le rend subjectivant, qui nous intéresse ici.
1.2 Cadres de production de la parole judiciaire
1.2.1 Le cadre du droit civil
La pratique judiciaire n’a rien d’universel, c’est pourquoi il nous paraît essentiel de commencer par définir le système judiciaire depuis lequel nous avons observé et analysé la production de la parole de prévenus. Deux grands systèmes se distinguent aujourd’hui, les systèmes de droit civil, celui-ci étant appliqué en France et dans plusieurs pays francophones dont la Belgique, et de droit commun, en vigueur aux États-Unis et dans de nombreux pays anglophones. Les procès que nous avons étudiés, en France et en Belgique, étaient régis par le droit civil et suivaient une logique inquisitoire, au sens de l’enquête. Tout le dossier est déplié et débattu oralement et collectivement, le tout étant arbitré par le président de la cour. Tandis que les audiences anglo-saxonnes suivent une logique accusatoire où il ne s’agit pas tant de débattre que d’accuser et de défendre, l’une des particularités du droit civil est la place centrale accordée à l’accusé. Il ne s’agit pas de juger uniquement un crime, mais aussi, et surtout, la personne qui l’a commis[22], à l’inverse des procès anglophones qui saisissent les faits par les « témoignages extérieurs sans s’intéresser ni à la version de l’accusé ni à sa personnalité[23] ». Ainsi, la personnalité, la singularité, ce qui subjective l’accusé, son histoire, mais aussi ses ressources et ses potentiels, font l’objet d’une analyse par les magistrats qui vont tenir compte de ces éléments dans leur jugement.
1.2.2 Le cadre des procès pour faits de terrorisme
La parole que nous étudions est produite dans le cadre de procès pour faits de terrorisme. Là encore, cela suppose un cadre de production spécifique. En France, le droit et la justice ont dû s’adapter aux enjeux posés par le djihadisme. Désormais, le risque prime l’acte commis et l’anticipation devient un enjeu central. On peut observer un fort durcissement de la réponse pénale aux actions terroristes. En 1996, une nouvelle loi introduit le délit d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste (AMT) afin de sanctionner la préparation d’actes de terrorisme avant même qu’ils soient réalisés. En 2004, une réforme criminalise l’AMT qui était jusque-là un délit. En juillet 2016, la simple participation à un projet terroriste est passible de 30 ans d’emprisonnement et la direction du groupe, de la perpétuité. Jusqu’en avril 2016, les départs sur « zone » étaient considérés comme un délit passible de 10 ans d’emprisonnement pour ceux qui avaient intégré une organisation terroriste à l’étranger. Ensuite, ils sont passés sous la qualification criminelle d’AMT et jugés par une cour d’assises spécialement composée. On observe de fait une spécialisation de la justice en matière de terrorisme puisque le jury d’assises, normalement constitué de citoyens, n’est plus composé que de magistrats spécialisés[24]. Sur la base du volontariat, ces magistrats sont chargés de juger spécifiquement les affaires terroristes, ils forment le Parquet national antiterroriste (PNAT)[25].
Tandis qu’en France les procès pour faits de terrorisme sont désormais jugés par une cour uniquement composée de magistrats professionnels et spécialisés sur les affaires de terrorisme[26], en Belgique un jury populaire, en plus des magistrats professionnels, compose la cour. Douze jurés effectifs composent le jury de la cour d’assises et des jurés suppléants, prévus en cas de défection ou de récusation, participent à l’intégralité des débats. Le parquet spécialisé n’existe pas en Belgique. Une autre différence notable est qu’en France les parties peuvent faire appel à un jugement rendu en première instance de cour d’assises, alors qu’en Belgique le jugement d’un procès pour faits de terrorisme devant une cour d’assises ne peut être remis en cause que devant une cour de cassation si un litige sur la forme persiste. Si l’on s’intéresse maintenant aux conséquences d’un jugement rendu par un jury spécialisé ou classiquement par un jury populaire en plus de magistrats « non spécialisés » sur la parole produite chez les accusés, nous pouvons comparer le procès de l’attentat au Musée Juif et celui de l’attentat échoué aux bonbonnes de gaz. La présence d’un jury populaire au procès de Mehdi Nemmouche a eu, nous semble-t-il, plusieurs conséquences notables. Les jurés, tirés au sort parmi la population, ne sont pas, au moment du procès, familiarisés avec le système et son fonctionnement ni avec l’affaire à juger. Ils la découvrent comme ils découvrent les accusés, en même temps que les assesseurs et en même temps que le public présent dans l’auditoire. Cela implique deux choses. D’une part, il faut un accompagnement et une pédagogie constante du président et des magistrats durant l’audience afin de les accompagner dans la compréhension du dispositif, de son fonctionnement. Il s’agit de clarifier pour eux la fonction des juges et les règles à appliquer afin de rester neutres, justes et impartiaux en dépit de l’atrocité des crimes commis. D’autre part, les jurés découvrant le dossier lors de l’audience, tous les éléments du dossier, à charge et à décharge, utilisables pour prouver la culpabilité ou l’innocence et éclairer les motivations et l’intentionnalité des accusés, sont oralisés soit par des auditions devant la barre, soit par la lecture des procès-verbaux. Ainsi, de très nombreuses informations sont soumises à la réflexion des jurés (et du public). Ces deux avantages, la pédagogie des magistrats et le détail des éléments oralisés à l’audience sont exacerbés par la présence des jurés. En effet, une cour d’assises spécialement composée de professionnels qui connaissent le fonctionnement de la justice et qui sont spécialisés en matière de lutte contre le terrorisme va être en mesure d’aller plus vite à l’essentiel, au coeur du dossier. Tandis qu’une personne qui n’est pas familiarisée avec le système, comme un juré populaire, aura peut-être un regard plus neuf, plus hésitant. Ou, du moins, son ignorance devra-t-elle être palliée par une information plus importante et un cadrage plus constant. Le procès de Mehdi Nemmouche a été d’une incroyable densité en termes de détails et d’information, à travers les questions des jurés citoyens, et très pédagogique pour qui ne connaît pas le fonctionnement d’une procédure en assises. Lors du procès de l’attentat échoué aux bonbonnes de gaz, l’expertise du PNAT a donné lieu à des questions souvent plus directes et plus orientées.
1.2.3 Le cadre normatif du droit à un procès équitable
Un autre cadre qu’il nous paraît important de souligner, notamment lorsqu’on étudie la parole d’un accusé jugé pour des faits de terrorisme, est le cadre normatif de l’article 6 de la CEDH[27], dont la France et la Belgique sont signataires. Cet article garantit aux accusés le droit à un procès équitable[28]. À ce principe fondamental de procès équitable sont attachés les principes du « contradictoire » et du respect des droits de la défense, comme principes d’égalité et de loyauté entre les adversaires dans le cadre d’un procès. Dans le cadre d’une procédure pénale, les droits de la défense désignent l’ensemble des droits reconnus aux personnes poursuivies ou soupçonnées d’une infraction, à toutes les étapes de la procédure judiciaire (pendant l’enquête de police, l’instruction, le procès, et après le jugement dans le cadre de l’exécution des peines). Parmi ces droits, le droit au respect de la présomption d’innocence, le droit à un avocat dès le début de la procédure, le droit à un procès équitable dans le cadre de débats contradictoires, le droit d’exercer des recours, le droit à la parole et au silence, etc., sont des droits fondamentaux et garantis par le principe d’équitabilité. Dans ce cadre, une décision de condamnation ne peut se fonder que sur des preuves recherchées et produites dans le respect de la loi, et contradictoirement discutées à l’oral et durant l’audience. Tout témoignage doit donner lieu à un procès-verbal d’audition pour pouvoir être confronté et discuté. C’est également dans le cadre des garanties du procès équitable que s’inscrivent la présomption d’innocence, les principes de responsabilité et d’irresponsabilité pénale, de personnalisation des peines, la possibilité pour les juges d’entendre des experts, l’oralité et la publicité des débats, le dernier mot qui revient à la défense, le devoir du président de veiller au bon déroulement et à l’équilibre des débats, etc. Ce cadre normatif nous importe, car il éclaire les conditions de production de la parole des accusés. Prenons, par exemple, le droit au silence qui est au coeur de la notion de procès équitable et qui s’applique à tous les stades de la procédure. Le droit au silence a été institué pour renforcer la présomption d’innocence et préserver le prévenu d’abus ou de pression, notamment durant l’enquête et les interrogatoires. Cependant, plusieurs procès de djihadistes jugés pour avoir réalisé des attentats ont montré que ce droit, conçu par le système pour protéger les accusés, est utilisé contre le système inquisitoire lui-même, fondé sur la parole. Privant la cour de sa parole, pourtant pleinement intégrée au déroulement de l’audience, l’accusé qui garde le silence « fige le procès dans un temps immobile[29] ». Selon la thèse défendue par le magistrat Denis Salas, en activant son droit au silence, l’accusé désarme le système inquisitoire en le privant de sa parole. Nous reviendrons sur l’usage du droit au silence avec le cas de Mehdi Nemmouche.
1.2.4 Les effets de la publicité de l’audience
Le fait que les procès pour faits de terrorisme sont des procès publics, ouverts aux journalistes et à des citoyens extérieurs au milieu judiciaire implique également plusieurs choses pour la parole produite. La publicité va de pair avec l’oralité en ce sens que c’est l’oralité qui donne à entendre et à connaître, d’une part, l’affaire jugée et, d’autre part, la manière dont elle est jugée. La justice doit être rendue publiquement afin que son effet dépasse l’enceinte du tribunal. C’est parce que la parole est soumise à un public extérieur qu’elle peut être diffusée et active à l’extérieur de l’enceinte judiciaire[30]. Christiane Besnier distingue la parole transcrite dans les procès-verbaux et les rapports versés au dossier durant la phase d’instruction, qui est confidentielle et qui fonde l’accusation, et la parole produite à l’audience, qui est orale, publique et contradictoire. La parole de l’audience est collective, circule et produit un sens nouveau[31] soumis à l’entendement de l’auditoire qui peut ensuite la relayer à l’extérieur du tribunal. Lorsqu’il s’agit de juger des attentats terroristes, qui touchent, par essence, toute une société, le sens qui est construit durant l’audience est réparateur et contribue à accepter l’inacceptable du crime. Pierre Legendre parle d’une « socialisation de l’acte[32] » jugé, symboliquement purifié par l’institution judiciaire, qui le réintègre, ainsi que son auteur, dans le tissu social. En effet, le crime est « rejoué » de manière symbolique, sous l’arbitrage du président, à travers des mots et non des actes. La dramaturgie pénale, comme au théâtre, vise à produire une catharsis afin de rétablir l’ordre social bouleversé par le crime. Cependant, si la publicité des débats a une vertu cathartique et réparatrice, elle peut aussi présenter un versant plus contrasté. En travaillant sur l’affaire du caporal Denis Lortie[33], Legendre[34] note que la médiatisation d’un procès pénal, surtout lorsqu’il s’agit d’un crime d’envergure qui a touché la société en profondeur, peut avoir un effet transformateur sur le meurtrier et en faire une « instance identificatoire » et un « objet ambivalent de haine et de fascination ». Cette fonction rituelle fait donc de la parole de l’accusé un vecteur de subjectivation au regard de la Loi et au regard de la société.
1.3 Démarche et méthodologie
L’oralité et la publicité des débats permettent au chercheur de prendre part, en tant qu’auditeur et observateur, aux audiences et d’y recueillir la parole des accusés qui n’est autrement accessible que par les retranscriptions médiatiques. En assistant à l’audience et en suivant le procès au jour le jour et sur la durée, le chercheur peut observer la manière dont cette parole est produite, les mécanismes et les stratégies parfois déployées pour la faire advenir lorsqu’elle résiste. Le chercheur qui écoute et observe peut chercher à identifier les conditions de production de cette parole ainsi que ses effets sur l’audience, ses participants et sur les accusés eux-mêmes. La parole énoncée dans le cadre judiciaire est particulièrement intéressante en ce sens qu’elle ordonne, d’une certaine manière, la société et les personnes qui en font partie. En tant que chercheuse travaillant sur les récits et les trajectoires de vie, nous nous sommes particulièrement intéressée à ce qui est dit de la vie et sur la personnalité des accusés, par les différents acteurs, mais surtout par lui-même. Dans ce sens, nous avons été amenée à observer, notamment, la manière dont les accusés étaient travaillés par ce que le dispositif leur renvoie d’eux-mêmes et ce qu’ils peuvent, via la parole, dire d’eux-mêmes.
Notre démarche se distingue de l’ethnométhodologie qui consiste à étudier différents aspects du monde social et le sens que les différents acteurs donnent à leur activité et au cadre dans lequel ils l’exercent. Principalement descriptive, l’ethnométhodologie cherche donc à décrire comment les acteurs sociaux comprennent leurs propres activités, en s’appuyant notamment sur de l’analyse conversationnelle. Plusieurs chercheurs l’ont utilisée afin d’analyser la pratique juridique, le « droit en action[35] ». Nous pouvons notamment citer John M. Atkinson et Paul Drew[36], qui analysent les échanges verbaux typiques du contexte judiciaire d’un tribunal enquêtant sur les désordres survenus en Irlande du Nord à la fin des années 60. Ils mettent en lumière les spécificités de l’interaction judiciaire par rapport à la conversation ordinaire, en ce sens que la parole est distribuée et formellement cadrée afin d’organiser des tours de parole entre plusieurs parties. Nous pouvons également citer le travail de Martha L. Komter[37] qui a travaillé sur les interactions entre juges et prévenus au cours de procès pénaux aux Pays-Bas. En utilisant l’ethnométhodologie et l’analyse des conversations, elle analyse notamment les facteurs institutionnels qui favorisent les dilemmes au cours des procédures judiciaires et les comportements interactionnels utilisés par les participants pour résoudre ces dilemmes.
Concernant notre étude, nous n’avons pas choisi l’analyse de conversation puisque nous n’étudions pas la structure de l’interaction telle qu’elle est produite par les participants. Nous n’avons pas cherché à éclairer la manière dont la construction des tours de parole et des questions[38] pouvait influencer l’interaction, mais à analyser la portée subjectivante des différents discours pour l’accusé. Pour ce faire, nous avons assisté à chacun des deux procès dont nous tirons notre corpus de notre étude. L’objectif de notre observation était d’entendre chacun des accusés principaux s’exprimer, ou refuser de s’exprimer, et d’analyser le cadre de production de la parole. Pour chaque accusé, nous avons cherché à voir l’évolution de sa posture et de sa parole entre le début et la fin de l’audience. Quand s’exprimaient-ils ? De quelle manière ? En réponse à quelles sollicitations ? Nous avons été attentive aux changements d’attitudes et au travail de l’audience sur chacun d’eux. Enfin, nous nous sommes intéressée aux interactions entre les discours des accusés et les discours sur les accusés, et notamment les discours d’experts, dont nous avons remarqué qu’ils avaient tendance à toucher particulièrement certains des accusés, parfois jusqu’à infléchir leurs discours. C’est donc d’une manière systémique et globale que nous avons analysé la parole de chacun des accusés.
Chacun des deux procès fut historique à sa manière. Le procès de l’attentat au Musée Juif était le premier procès en Belgique à siéger pour une affaire terroriste ; le procès de l’attentat échoué aux bonbonnes de gaz était le premier procès pour faits de terrorisme où la société civile était représentée par des magistrats spécialisés et une cour spécialement composée (la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 n’étant entrée en vigueur que trois mois plus tôt par la Circulaire du 1er juillet 2019 relative à la présentation du PNAT créé par la loi). Les téléphones, ordinateurs, enregistreurs ou tout autre objet de captation électronique étant interdits dans les salles d’audience, les seules traces des paroles prononcées par les accusés et les différents acteurs sont issues de la prise de notes manuscrite. Ces notes et l’observation en présidentielle nous ont permis, par comparaison et vérification de la qualité des retranscriptions, de choisir les médias diffusant quotidiennement les comptes rendus des audiences. Ces comptes rendus nous ont permis de compléter la matière initiale issue de nos notes personnelles. Nous précisons que chacun des deux procès a duré entre un mois et deux mois. Compte tenu de la durée importante de chacun d’eux et des contraintes logistiques, il ne nous a pas été possible d’assister à la totalité des audiences. Cependant, nous avons suivi quotidiennement les directs diffusés par les médias qui couvraient les procès. Sur les deux mois calendaires (33 jours d’audience) qu’a duré le procès de Mehdi Nemmouche, nous avons assisté à 7 jours, soit 70 heures au sein du tribunal. Concernant le procès de l’attentat échoué aux bonbonnes de gaz, nous avons assisté à 6 jours d’audience sur les 16 du procès, soit environ 60 heures de présence au tribunal. D’un point de vue pragmatique, le fait d’avoir assisté aux audiences nous a permis de donner de la profondeur aux comptes rendus, d’analyser les visages, les voix, les postures derrière chaque acteur et d’observer le processus de construction de la vérité judiciaire et de la connaissance. Le relief apporté par ces observations, les rencontres et les discussions informelles avec différents acteurs judiciaires donnent une perspective et une consistance à l’analyse des comptes rendus. Nigel Eltringham[39], entre autres, a écrit à propos du fossé existant entre la loi telle qu’elle est édictée dans les textes et la loi exercée au sein d’une cour d’assises et sur la nécessité pour le chercheur de pouvoir observer le droit « en exercice ».
Pour notre étude actuelle, nous avons fait le choix de compléter notre matériel d’analyse à partir des comptes rendus médiatiques parce qu’ils présentent l’avantage de couvrir l’entièreté des procès. Dans notre étude, le choix de citer des verbatims extraits des comptes rendus médiatiques répond à une exigence éthique de transparence et d’accessibilité à nos sources puisque ces comptes rendus sont publics et accessibles sur Internet[40]. Au sujet des médias comme sources d’information sur le contenu des audiences, nous tenons à souligner leur fonction institutionnalisante en ce sens que, au-delà d’une tradition de la « chronique judiciaire », la retranscription des audiences relaie le principe démocratique de transparence et de publicité des débats. L’institution judiciaire, pour asseoir sa légitimité et fonctionner en tant qu’organe étatique normalisant, structurant et garant de la tranquillité sociale, a besoin de cette publicité. Les médias relaient l’information et offrent à la société un regard didactique et éclairant sur ce qu’il se passe à l’intérieur des salles d’audience. Les journalistes (ou chroniqueurs judiciaires) informent le citoyen au nom duquel la justice est rendue de la manière dont la justice est rendue. Ils doivent rendre compte de la justice au public, aux lecteurs, quels types de crimes sont jugés, par qui sont-ils commis, etc. Le processus judiciaire est complexe, et en tant qu’observateurs les journalistes ont cette mission d’arriver à « faire passer cette complexité ». Avant un procès, le journaliste effectue un lourd travail préparatoire. Un procès en assises est l’un des derniers endroits que l’on ne peut filmer ni photographier et où le récit précis de ce qui se passe à l’intérieur est fondamental : les émotions, les regards, les rires, les enjeux, les échanges, ce qui est dit et ce qui ne l’est pas, les gestes, etc. Il s’agit de donner des clés aux auditeurs pour comprendre le procès et ses enjeux. Les deux procès que nous avons suivis ont été très médiatisés, ce qui n’est pas toujours le cas, et chacun d’eux a été quotidiennement retranscrit et sur toute leur durée. Les verbatims que nous utiliserons ici seront donc extraits des comptes rendus quotidiennement rédigés et publiés par Le Figaro pour le procès de l’attentat échoué aux bonbonnes de gaz et par la Radio-télévision belge de la Fédération Wallonie-Bruxelles (RTBF) pour le procès de l’attentat au Musée Juif. Nous avons également consulté des documents judiciaires, pour le procès de Mehdi Nemmouche notamment ; ceux-ci n’étant pas accessibles pour tout un chacun, nous ne nous y référons pas dans notre article. Différents facteurs ont été déterminants dans le choix de ces médias. Premièrement, ils ont assuré une présence journalistique quotidienne et couvert la totalité des procès. Deuxièmement, la comparaison des propos relatés dans les comptes rendus avec nos propres notes nous a permis de valider l’exactitude et l’exhaustivité des contenus. Troisièmement, chacun de ces deux médias fait partie, en France et en Belgique, des principaux médias nationaux.
2 Deux études de cas
Pour chacun des deux procès, nous commencerons par présenter l’affaire et l’accusé dont nous étudierons la parole et le contexte dans lequel il a été jugé. Puis nous analyserons comment les discours prononcés sur l’accusé et entendus par lui impactent sa propre parole et les effets plus ou moins subjectivants de cette même parole. Nous commencerons par analyser la parole d’Inès Madani, qui s’est livrée à la cour et qui est celle dont la resubjectivation au cours du procès a été la plus manifeste. Puis nous analyserons le cas de Mehdi Nemmouche, qui a refusé de s’exprimer, obligeant la présidente de la cour à déployer des stratégies permettant aux juges et aux jurés d’accéder à la voix de l’accusé.
2.1 Procès de l’attentat échoué aux bonbonnes de gaz à Paris
2.1.1 Présentation du procès
Le procès de l’attentat échoué aux bonbonnes de gaz s’est tenu à Paris du 23 septembre au 14 octobre 2019. Huit accusés, dont six femmes, ont comparu pour une tentative d’attentat à la voiture piégée et deux tentatives d’assassinat sur des policiers. On distingue trois volets parmi les faits pour lesquels Inès Madani est jugée. Dans le premier, elle et Ornella Gilligmann sont accusées d’avoir tenté de faire exploser une voiture remplie de bonbonnes de gaz dans la nuit du 3 au 4 septembre 2016 dans le quartier Notre-Dame à Paris, près d’un bar où se trouvait une soixantaine de personnes. La cigarette censée créer l’explosion s’est éteinte, et les deux femmes ont pris la fuite en laissant la voiture et les bonbonnes de gaz sur place. Le 4 au soir, les deux femmes se séparent, et Inès Madani, poursuivant son projet d’attentat, se réfugie chez Amel Sakaou à Boussy-Saint-Antoine où elles sont rejointes par Sarah Hervouët, guidée depuis la Syrie par Rachid Kassim. Commence le second volet de l’affaire. Se sachant recherchées par les services de police, elles fuient toutes les trois, armées de couteaux, et sont interpellées par la police dès leur sortie de l’immeuble. Sarah Hervouët blesse un policier en civil à l’épaule, et Inès Madani en menace un autre qui l’immobilise en lui tirant dans la jambe. Les trois femmes sont arrêtées le 8 septembre 2016. Le troisième volet est antérieur à ces faits et concerne les avatars masculins créés et utilisés par Inès Madani pour séduire et radicaliser des femmes sur les réseaux sociaux en vue de commettre des attentats. Elle a ainsi séduit et berné de nombreuses femmes, dont Ornella Gilligmann, coauteure de l’attentat échoué aux bonbonnes de gaz.
Ce procès revêt une importance particulière dans la mesure où c’est la première fois qu’une cellule terroriste qui passe en jugement est essentiellement composée de femmes. Bien que l’attentat ait échoué et qu’il n’y ait pas eu de morts, le procès a néanmoins rassemblé de nombreux acteurs. Ainsi, 17 experts et 57 témoins ont été entendus et interrogés par la cour et les avocats.
2.1.2 Inès Madani : une parole qui relie
Inès Madani avait 19 ans au moment des faits. Pourtant, depuis plus d’un an, elle se faisait passer pour des combattants djihadistes revenus de zone sur les réseaux sociaux. Elle avait rencontré Ornella Gilligmann, en se faisant passer pour la soeur d’un de ses « faux » djihadistes, et volé la voiture de son père afin d’y placer les bonbonnes de gaz en vue de l’attentat. Si elle reconnaît son implication dans ces deux volets, elle nie en revanche avoir voulu tuer le policier au moment de son arrestation. Selon elle, la seule chose qu’elle souhaitait, c’était lui faire peur afin qu’il la tue et qu’elle accède ainsi au rang de martyre. Au cours de ce procès, Inès Madani s’est exprimée à de nombreuses reprises et a reconnu les faits, en minimisant son implication au début, puis, peu à peu, en reconnaissant sa culpabilité.
Contrairement au procès de Mehdi Nemmouche que nous étudierons par la suite, les familles et les proches des accusés ont été nombreux à venir à la barre témoigner en leur faveur, parler des personnes qu’elles étaient avant leur radicalisation et des raisons pour lesquelles elles se sont radicalisées. Ainsi, les deux parents d’Inès Madani, trois de ses quatre soeurs, un voisin et son beau-frère sont venus témoigner. Plusieurs femmes séduites par ses avatars masculins ont également été entendues à la barre. Un expert a présenté son enquête de personnalité, puis deux psychiatres se sont exprimés sur le cas d’Inès Madani. Ces différentes auditions ont permis un travail de conscientisation et d’élaboration cognitive chez les accusés et notamment chez Inès Madani. Dans son cas, les discours prononcés à son sujet ont constitué un nouveau seuil d’élaboration sur lequel construire son propre discours resubjectivant. Le cas d’Inès Madani nous paraît exemplaire en ce sens qu’il illustre les effets transformateurs de l’audience sur un accusé, sur sa parole et sur l’élaboration cognitive que suppose cette parole pour être énoncée. Parler de soi, raconter son histoire n’est pas une chose facile pour tout le monde et le faire devant une cour d’assises l’est encore moins. À propos de l’usage de la production de son histoire par un individu, Vincent de Gaulejac[41] écrit que raconter son histoire est un moyen de « “travailler sa vie”, […] de reconstruire le passé, de supporter le présent et d’embellir l’avenir ». C’est cet effet autosubjectivant de la parole et du récit de soi qui est utilisé en psychanalyse et plus largement dans de nombreux cadres thérapeutiques. Le travail du praticien est de créer les conditions de possibilité permettant de faire advenir cette parole. Bien que la fonction d’un procès ne soit pas de « soigner » l’accusé, en cherchant à produire un certain discours et en donnant à l’accusé la possibilité de raconter son histoire, le dispositif devient subjectivant. La parole produite, bien qu’elle soit contrainte et cadrée, est donc une parole subjectivante. Raconter son histoire permet d’établir des liens, de relier, mais aussi de restaurer ou de réactualiser le passé, par la parole, dans un présent qui permet une élaboration. C’est aussi travailler sur l’histoire « non formulée », telle qu’elle s’est incorporée chez l’individu afin de comprendre en quoi elle est agissante, ce qui, du passé, agit l’individu et le fait agir. Considérer la réflexivité biographique et l’activité narrative comme étant constitutives de l’individu implique de prendre en compte la manière dont la parole est produite. Il s’agit de considérer non pas ce qui est dit comme « une vérité factuelle et historique, mais bien la vérité d’un sujet qui livre, à un moment donné et dans un contexte donné, un point de vue sur le “réel”[42] ». Cet effet de « reliance » est particulièrement lisible avec la parole d’Inès Madani, et nous proposons de l’illustrer de trois manières : un lien recréé avec sa famille ; un lien mis en évidence entre elle et ses « faux profils » de combattants djihadistes ; et un lien restauré avec la société dont elle s’était coupée.
Bien qu’elle vécût dans la maison parentale, le dialogue avec ses parents et sa famille était rompu. Sa mère témoigne : « Inès passait 80 % du temps dans sa chambre, sous sa couette, les volets clos. Elle ne partageait plus de repas avec nous. Elle était sur l’ordinateur, sur son portable, devant la télévision. Elle vivait comme une recluse. Elle s’était retirée du cercle familial, elle était isolée[43] », et tous les témoignages convergent à ce sujet. La mère témoigne d’une véritable rupture avec sa fille dont elle ignorait la souffrance : « Je ne savais pas qu’elle était en souffrance, j’aurais dû essayer de comprendre son mal-être plutôt que d’être son ennemie. Je lui ai dit des choses dures et blessantes qu’une mère ne devrait pas dire à son enfant[44]. » Inès Madani est décrite par sa famille comme étant, en 2016, une jeune fille introvertie, isolée derrière son écran d’ordinateur dans sa chambre d’adolescente chez ses parents, ne communiquant pas, bien loin d’une cour d’assises devant laquelle elle doit s’exprimer et rendre des comptes. À la barre, son père explique : « Je pensais que j’avais assez resserré la vis. Je me suis trompé. Il fallait que je lui laisse un peu de liberté sinon je la perdais complètement et il n’y aurait plus du tout de lien[45]. » Nous voyons ici que les parents prennent, devant leur fille et la cour, leur responsabilité de parent. Ils avouent d’une certaine manière leur propre culpabilité de n’avoir pas vu le mal-être de leur fille et sa radicalisation. Leurs témoignages renvoient Inès Madani à la jeune fille qu’elle était avant la tentative d’attentat et constituent un socle identificatoire sur lequel elle peut s’appuyer et prendre à son tour ses responsabilités. Ses parents mettent en mots des vécus et des souffrances dont l’impossible « mise en mots » par leur fille s’est mue en « maux », en actes violents. Son père raconte par exemple le décès de la grand-mère d’Inès Madani, dont elle était très proche et suite auquel elle s’est radicalisée : « Inès a été voir sa grand-mère et a voulu doucher sa grand-mère. Sa grand-mère lui aurait dit qu’elle n’avait pas besoin d’Inès, mais de sa fille (la mère de Inès). Ça a marqué Inès. Inès est partie fâchée, et c’est la dernière fois qu’elle a vu sa grand-mère[46]. » Sans aller jusqu’à établir un lien de causalité direct, nous estimons que cet épisode, et surtout la manière dont l’a vécu Inès Madani, peut aider à la construction du sens de sa radicalisation. Là encore, ce discours, en résonance à tous les autres, rend possible, par l’accusée, une élaboration nécessaire à la construction de son propre récit. Inès Madani assiste à tous les témoignages et réalise, au fil de l’audience, les conséquences de ses actes. Elle constate que, si ses parents condamnent ses actes, ils ne la renient pas pour autant, et reconnaissent leurs responsabilités.
Le second effet de « reliance » s’observe au moment des témoignages des femmes séduites par les faux combattants djihadistes créés par Inès Madani. De nombreuses femmes, dont Ornella Gilligmann (tombée amoureuse de l’un d’eux, Abou Souleymane) et Samia Chalel, toutes deux accusées dans l’affaire de l’attentat échoué aux bonbonnes de gaz, étaient réellement convaincues de l’existence réelle de ces hommes avec qui elles envisageaient de se marier et de partir vivre en Syrie. Les aveux d’Inès Madani rétablissent à leurs yeux une vérité difficilement audible. Les discours des deux experts psychiatres interrogés à ce sujet aident à l’élaboration de cette vérité. La première psychiatre voit dans le procédé d’Inès Madani un désir de toute-puissance : « Elle a ainsi tous les rôles à la fois : celui de l’homme courageux qui peut donner la mort et celui de la femme altruiste qui veut aller sauver les enfants en Syrie[47]. » Ce moment de l’audience est l’occasion pour Inès Madani de revenir sur cet épisode, d’entendre les analyses des experts, de s’en expliquer devant la cour, les témoins et ses parents. Derrière ce travestissement, il y a, selon les psychiatres, un profond « malaise », dont la réalité se construit au fil des témoignages : sa mère qui aurait voulu qu’elle naisse garçon, son complexe physique, les agressions physiques et sexuelles commises par des hommes et subies par ses soeurs et elle-même, le père qui ne défend et ne protège pas ses filles, etc. Peu à peu, le cheminement se fait vers ce qu’a dû être, en substance, la motivation d’Inès Madani en se faisant passer pour des combattants djihadistes sur ses réseaux sociaux auprès de femmes. Une motivation qu’elle formule en ces termes au président : « j’aurais préféré être un homme pour avoir plus de poids et pouvoir protéger mes soeurs[48] », et vraisemblablement se protéger elle-même. Jamais cette vérité-là n’avait été formulée auparavant par Inès Madani et encore moins devant ses parents. L’impossibilité de parole, à l’époque de sa radicalisation, a eu de lourdes conséquences : la création des avatars, la radicalisation de plusieurs femmes et l’organisation d’un attentat en l’occurrence. Les mots énoncés à l’audience permettent l’élaboration de liens et de sens. Inès Madani était à la fois Abou Junayd, Abou Souleymane et Yacine, et grâce à cela elle n’était plus la jeune fille introvertie, timide et complexée.
Que ce soient les témoignages de ses parents et de sa famille ou ceux des experts psychologues et psychiatres, nous voyons qu’ils constituent des supports d’élaboration psychique à partir desquels Inès Madani revient sur son histoire, sur le sens à lui donner. Ces discours, sans excuser ses actes, l’aident à construire du sens et à se positionner en tant que sujet dans une histoire qu’elle s’était construite, mais qui n’était pas la sienne. Dans le cas d’Inès Madani, la réflexivité permise par ces discours lui a, de manière visible au cours de l’audience, permis de se saisir de son histoire et de s’y positionner en tant que sujet. La resubjectivation est donc permise par la réflexivité engendrée par les discours des magistrats, des avocats, des experts et des témoins.
L’audience est, pour Inès Madani, l’occasion de formuler des choses qu’elle n’avait pas pu ou su formuler avant, l’occasion de donner à entendre une parole restée tue jusqu’alors. Ses mots, le dernier jour de l’audience, témoignent du chemin parcouru et d’un lien recréé : « J’ai beaucoup de regrets. J’ai honte d’être ici aujourd’hui. C’est une humiliation pour mes proches et pour moi aussi. Je reconnais les faits. Je présente mes excuses. Aux personnes que j’ai entraînées dans ma chute. Je m’excuse auprès de ma famille[49]. » C’est le dernier « lien » évoqué plus haut, restauré par la parole d’Inès Madani, le lien social. En reconnaissant les faits, en exposant sa vérité, en présentant ses regrets et ses excuses publiquement, Inès Madani se réinscrit, via le dispositif judiciaire, dans le tissu social. Même si elle écope de 30 ans de prison ferme, elle condamne l’État islamique et le terrorisme et formule son souhait de fonder une famille après avoir purgé sa peine. Elle le formule en ces termes le dernier jour d’audience : « J’ai eu le pire des comportements. Cela fait déjà trois ans, c’est pas terminé […] J’avais des projets de mort à l’époque ; aujourd’hui, j’ai des projets de vie, de me marier, de fonder une famille, des études. Mais je reconnais parfaitement les faits. Je ne pourrai pas sortir demain comme si de rien n’était[50]. » Ces phrases expriment bien une conscientisation de la personne qu’elle était en 2016, de sa responsabilité et des conséquences de ses actes, et du statut de coupable qui est le sien. Cette troisième « reliance » illustre un processus d’autosubjectivation de l’accusée, à travers son propre discours, d’un récit à la première personne dans lequel elle se redéfinit elle-même comme ayant voulu commettre un attentat, mourir en martyre. Notamment, elle relie ces intentions à une genèse et à un avenir et se positionne subjectivement dans cette continuité historique, à travers une parole, des narratifs et un discours en son nom.
2.2 Procès de l’attentat au musée Juif de Bruxelles
2.2.1 Présentation du procès
Le procès de Mehdi Nemmouche pour l’attentat au Musée Juif s’est tenu au tribunal de première instance de Bruxelles du 10 janvier au 12 mars 2019. Accusé d’avoir assassiné quatre personnes au Musée Juif le 24 mai 2014, Mehdi Nemmouche était jugé au côté de Nacer Bendrer, accusé de lui avoir fourni les armes. Six jours après la fusillade, Mehdi Nemmouche a pris un bus depuis Bruxelles pour rejoindre Marseille où il s’est fait arrêter par la douane pour possession illégale d’armes. Dans son sac se trouvaient une kalachnikov au chargeur plein et des munitions. L’arme était entourée d’un drap blanc frappé d’inscriptions de Daesh. Sur lui, Mehdi Nemmouche portait un pistolet chargé. La douane fait le rapprochement avec la fusillade au Musée Juif. Les preuves sont nombreuses. Les armes trouvées dans ses bagages sont indubitablement celles utilisées par le tueur du Musée Juif pour abattre les quatre victimes. En dépit de toutes les preuves de sa culpabilité, Mehdi Nemmouche a systématiquement et tout au long de son procès nié son implication dans l’attentat. Ses avocats ont plaidé non coupable jusqu’au bout. Jugé coupable le 7 mars, Mehdi Nemmouche a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une mise à disposition du tribunal de l’application des peines d’une durée de 15 ans.
Dans le cadre de ce procès, près de 114 personnes étaient attendues à la barre, soit précisément 70 témoins, 15 experts, 27 enquêteurs et 2 juges d’instruction. Dans les faits, de nombreux témoins ne se sont pas présentés à l’audience soit pour des raisons médicales, soit sans raison valable. La présidente ou les magistrats ont alors lu les procès-verbaux de leurs auditions afin de donner à entendre aux jurés et aux assesseurs (qui découvrent le dossier à l’audience en même temps que les auditeurs) le plus de matière possible afin de rendre leur jugement. La grande majorité des experts entendus étaient des experts forensiques et techniques (experts ADN, balistique, acoustique, médecins légistes, etc.). Mehdi Nemmouche ayant systématiquement refusé de s’exprimer devant un expert psychiatre ou psychologue, aucune expertise psychiatrique ou psychologique n’a donc été entendue à l’audience. Trois experts chercheurs et professeurs d’université ont été entendus par la cour afin d’éclairer par leurs connaissances différents aspects du dossier[51]. Ces expertises visaient à donner aux jurés et aux magistrats les connaissances jugées nécessaires par la cour pour pouvoir juger correctement et de manière éclairée les accusés.
2.2.2 M. Nemmouche : une parole qui résiste
Ce qui a caractérisé la parole de Mehdi Nemmouche tout au long de son procès a été sa résistance aux innombrables questions, témoignages, accusations. Mehdi Nemmouche n’a pas reconnu sa culpabilité dans le meurtre des quatre personnes tuées au Musée Juif ni livré sa vérité quant aux faits qui lui étaient reprochés. Laissant ses avocats parler, il a systématiquement fait valoir son droit au silence. Chaque fois qu’il était interrogé, Mehdi Nemmouche a répondu « DAS » pour « Droit au silence ». Lors de son interrogatoire par la présidente au troisième jour d’audience, il répond : « Je ne souhaite pas m’exprimer. Je laisserai mes conseils s’exprimer […] Je fais savoir respectueusement à vous madame la présidente et aux jurés que je ne m’exprimerai pas[52]. » Il laisse la parole à ses avocats. Le huitième jour d’audience, il répond à la présidente qui tente à nouveau de le faire parler :
Nous sommes ici jusqu’au 1er mars. Il y a un moment où je m’expliquerai. Ce moment arrivera, soyez patiente. Vous n’êtes pas à équidistance avec les deux parties. Vous avez expurgé tous les témoins de la liste de témoins. Des témoins qui auraient pu donner une version aux antipodes du torchon d’accusation rédigé par les procureurs. Cet acte d’accusation repose sur des mensonges, nous le prouverons. Soyez patiente[53].
Mehdi Nemmouche laisse entendre qu’il s’exprimera « à un moment » sans dire quand. Il exerce ainsi un certain contrôle sur l’interaction avec la présidente en refusant la parole qui lui est donnée quand elle lui est donnée, répondant qu’il parlerait quand il le déciderait. Ce qu’il n’a finalement pas fait, tout en ayant entretenu durant deux mois l’espoir qu’il parlerait. La seule fois où il prend la parole durant son procès, c’est lors d’un épisode qui survient en marge du procès, fin janvier 2019. Un dossier concernant l’attentat au Musée Juif et un autre concernant une autre affaire terroriste sont volés au cabinet de l’un des avocats des parties civiles, qui représente une rescapée de la fusillade. Les faits se sont déroulés alors que l’avocat était à l’audience du procès de Mehdi Nemmouche. Les voleurs ont laissé sur place une fausse kalachnikov et une batte de baseball. Cet événement n’a pas eu de répercussions sur l’audience, si ce n’est qu’il a donné lieu à une prise de parole requise par Mehdi Nemmouche. Il a lu un texte préparé, sous forme de lettre organisée en huit points. Il y condamne le vol et nie toute implication dans le vol : « Je n’ai strictement rien à voir avec ce cambriolage, je vis en isolement total, mis à part quelques visites de ma famille, je n’ai aucun contact avec personne[54]. » Il s’exprime aussi sur la tuerie au Musée Juif en répétant à deux reprises qu’il n’est pas le tueur. Plusieurs caractéristiques nous paraissent intéressantes à relever. Tout d’abord, il saisit une occasion extérieure à l’audience pour s’exprimer, à un moment où sa parole n’est ni sollicitée ni attendue. Ensuite, il s’agit d’un texte préparé et structuré qu’il lit. Enfin, c’est à cette occasion qui n’est, à l’origine, pas liée à l’audience qu’il formule dans un discours à la première personne son innocence dans les faits qui lui sont reprochés. Tant à travers le fond de l’énoncé qu’à travers sa forme, son attitude donne l’impression qu’il cherche à contrôler l’interaction avec la cour et l’auditoire. Par la suite, il ne s’est plus exprimé jusqu’à son « mot de la fin », lorsqu’il prononce après l’annonce du verdict, un laconique : « La vie continue[55] ! » À aucun moment, il ne s’est livré sur sa vie, ses motivations, ce qu’il ressent. Il n’a jamais reconnu son implication dans les faits pour lesquels il était jugé, ni exprimé le moindre sentiment de culpabilité ou remords vis-à-vis des familles des victimes venues témoigner. Dans son box, il se tenait droit la plupart du temps, calme et détaché de l’audience qui se déroulait devant lui.
Analysant l’usage du silence par Mehdi Nemmouche durant son procès, le magistrat Denis Salas y voit un moyen de lutte, en utilisant son droit comme une arme contre le dispositif judiciaire, fondé sur cette parole qu’il lui refuse, il l’entrave[56]. Les auditions qui se sont succédé devant Mehdi Nemmouche et les différents discours à son égard ont-ils constitué un vecteur de subjectivation comme pour Inès Madani ? Dans le cas de Mehdi Nemmouche, l’audience donne-t-elle lieu à une autosubjectivation, bien qu’il ne se soit pas exprimé ? Commençons, comme pour Inès Madani, par analyser les discours sur Mehdi Nemmouche et leurs impacts éventuels sur l’accusé. À l’inverse d’Inès Madani pour qui plusieurs proches sont venus témoigner et plusieurs experts psychologues et psychiatres ont été entendus, personne n’est venu s’exprimer sur la vie de Mehdi Nemmouche. Personne de sa famille n’est venu témoigner, et aucun des quelques « amis » qui se sont présentés à la barre n’a véritablement témoigné « à décharge ». Les procès-verbaux des auditions de quelques membres de sa famille maternelle et de sa famille d’accueil[57] ont simplement été lus, et n’ont fait l’objet d’aucun commentaire de la part de Mehdi Nemmouche, qui a systématiquement refusé que son enfance soit abordée, y compris dans le plaidoyer de ses avocats. Dans le même sens, il a refusé de se soumettre aux expertises psychologiques et psychiatriques. Aucun discours d’expert susceptible de venir étayer son histoire, y mettre des mots et du sens, n’a été entendu à l’audience. Seuls des discours « à charge » sont prononcés et entendus par Mehdi Nemmouche.
Ont notamment été entendus à la barre deux des trois ex-otages, prisonniers en Syrie lorsque l’accusé y était djihadiste et dont il aurait été le geôlier[58]. Nicolas Hénin témoigne par exemple à son sujet en expliquant : « Mehdi Nemmouche a construit son personnage en vue de son procès d’assises. Il nous en a parlé à plusieurs reprises, il nous a apostrophés avec des phrases comme : “Tu seras mon témoin à mon procès d’assises ?”[59]. » Lui et Didier François ont longuement témoigné des tortures subies en Syrie et de la personne qu’était Mehdi Nemmouche à ce moment-là (2012-2013). Ce dernier est qualifié et dépeint par Nicolas Hénin à travers trois adjectifs assortis d’exemples et de descriptions : « sadique », « ludique » et « narcissique ». Ces témoignages, dont l’objet est précisément Mehdi Nemmouche et sa personnalité, sont subjectivants, en ce sens qu’ils font de l’accusé l’acteur principal d’une histoire dans laquelle il joue un rôle, agit et interagit, une histoire qui les amène à se retrouver confrontés, eux témoins, à lui, accusé, devant une cour d’assises. Le fait que Mehdi Nemmouche ne se saisit pas de ces témoignages, n’y répond pas, n’y oppose que du silence, fait de cette histoire la seule histoire entendue par les jurés et les magistrats. Depuis l’auditoire, il ne laisse rien paraître de ce que ces témoignages provoquent chez lui.
Un autre exemple est le témoignage du directeur de la prison de Salon-de-Provence, qui raconte un épisode marquant de l’incarcération de Mehdi Nemmouche, en 2010 pour des faits de droit commun, alors qu’il s’apprêtait à être transféré au centre pénitentiaire d’Avignon-le-Pontet. Il était alors suspecté de radicalisation et de prosélytisme auprès d’autres détenus dont Nacer Bendrer. Lorsque le directeur est allé voir Mehdi Nemmouche avant son transfert, celui-ci lui a demandé pourquoi il était transféré, ce à quoi le directeur a répondu : « Vous et moi savons pertinemment la raison pour laquelle vous partez » ; il rapporte que cette réponse a provoqué une « colère noire » chez le détenu. Le directeur rapporte devant la cour les paroles suivantes, alors prononcées par Mehdi Nemmouche : « Vous les suppôts de votre République, vous devriez me supprimer physiquement car, dès que j’en aurai l’occasion, je n’aurai de cesse d’éliminer le plus de personnes. » Il aurait dit que, s’il en avait l’occasion, il tuerait « un maximum d’impies, d’infidèles, d’apostats », qu’il rejoindrait le djihad et qu’il mourrait en martyr dans des attentats[60]. Ces paroles, loin d’être neutres, sont produites avant même que Mehdi Nemmouche n’ait mis les pieds en Syrie et commis d’attentat. Rapportées devant la cour, elles ont été largement utilisées à charge de l’accusé par les avocats des parties civiles et les procureurs généraux. Là encore, elles donnent de Mehdi Nemmouche une certaine image et lui renvoient, d’un point de vue réflexif, une nouvelle fois le reflet d’un terroriste. Ce qui nous intéresse ici, ce n’est pas la véracité de ce reflet, mais le fait que seul ce reflet-là est renvoyé à Mehdi Nemmouche sans qu’il y ait « contradiction », que ce soit par des témoignages à décharge ou par une prise de parole de Mehdi Nemmouche contestant cette image. Encore une fois, nous ne savons rien de la manière dont il reçoit ces témoignages et de ce à quoi il s’identifie finalement. Quel sujet est-il dans sa propre élaboration et dans sa propre histoire ? Par comparaison avec le procès d’Inès Madani, nous voyons que face à des discours, qui ne sont qu’à charge, Mehdi Nemmouche n’élabore pas[61], du moins ne répond-il pas oralement et verbalement, ce qui a pour effet de renforcer l’impression de sa culpabilité en ne laissant entendre qu’un discours accusatoire à sens unique que ses avocats sont les seuls à contredire. Tout ce que l’on peut observer chez Mehdi Nemmouche, depuis l’auditoire, c’est un mutisme qui reste constant.
Pour ce qui est d’une autosubjectivation de l’accusé par sa parole, nous venons de voir que les discours entendus, s’ils ont éventuellement eu des effets subjectivants sur l’accusé[62], n’ont eu aucune conséquence sur son attitude à l’audience et sur son choix de garder le silence. Afin de pallier ce silence, la présidente de la cour a ordonné la diffusion des huit auditions de Mehdi Nemmouche réalisées et filmées par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI)[63] durant sa garde à vue, entre le 31 mai et le 4 juin. Bien qu’il s’agisse d’une parole produite dans le cadre de l’interrogatoire policier[64] et médiée par la vidéo, ces auditions, et en particulier la septième lors de laquelle il s’est longuement exprimé, ont constitué le principal accès à la parole de Mehdi Nemmouche. Bien qu’il ait répondu « DAS » à bon nombre de questions des policiers, il s’est néanmoins exprimé sur certains points, a priori étrangers à l’affaire, mais qui ont néanmoins donné un aperçu de sa personnalité. Il semble jouer et s’amuser avec son droit au silence, tantôt répondant « DAS » avant même que le policier n’ait eu le temps de poser sa question, tantôt en formulant des aphorismes tels que : « Je ne peux pas être silencieux et expliquer des choses en même temps, c’est diamétralement opposé[65]. » Lors de la sixième audition, il réagit lorsque les enquêteurs lui proposent de lire des articles portant sur l’attentat au Musée Juif. Au sujet d’un article qui affirme qu’il a fréquenté une mosquée à Londres, il dit aux enquêteurs : « C’est de la fiotte, notez ça, je ne suis jamais allé à Londres. La seule fois où j’ai été à Londres, c’était une escale, je ne suis pas sorti de l’aéroport[66]. » Alors que les questions des enquêteurs avaient toujours porté sur les faits, les pièces à conviction et les activités suspectes de Mehdi Nemmouche, lors de la septième audition, les enquêteurs ont commencé par le questionner sur sa famille, en lui lisant les déclarations des membres de sa famille auditionnés. S’il répond « DAS » à toutes ces questions, il montre des signes d’amusement : « Joker ! J’ai droit à un joker ! » ou encore lorsque les enquêteurs évoquent la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS)[67] où il a été placé dès sa naissance : « Pour un enfant de la DDASS, j’exerce mon DAS. Je fais des rimes, je vais pouvoir réclamer des droits d’auteur[68]. » La DDASS est, selon lui, « un parcours comme un autre » dont il ne voit pas l’intérêt de parler. En revanche, il répond de manière beaucoup plus sérieuse lorsque les questions concernent la géopolitique, montrant par ses réponses qu’il ne lit pas seulement la presse, mais qu’il s’est forgé une certaine culture historique et politique. À la question de savoir s’il existe, selon lui, « des morts d’hommes qui sont légitimes », Mehdi Nemmouche répond : « Bien entendu. Le franquisme. Les résistants français pendant le IIIe Reich. Le tirailleur sénégalais. Est-ce qu’on leur a fait un procès ? Non. » Et il parle ensuite des milices serbes « composées exclusivement de civils ». Il expose ainsi plusieurs exemples de civils engagés dans des combats armés et qui ont tué pour des causes qu’il estime justes. Lutter contre une dictature, un régime oppressif et l’injustice légitime, selon lui, que des civils prennent les armes pour tuer. Lorsqu’il est interrogé sur ce qu’il pense de la Syrie, il explique : « Le régime de Bachar est un régime criminel. Les criminels, ce sont les partisans du régime […] si un gars part se battre en Syrie, il vaut mieux qu’il combatte Bachar […] Celui qui est chez Bachar, c’est le mauvais. Comme celui qui était dans le régime de Vichy à l’époque[69]. » À travers ces mots, sans dire qu’il s’est lui-même engagé contre le régime « criminel » d’Al Assad, Mehdi Nemmouche laisse entendre, en employant le « si » conditionnel, qu’il valide cette posture justifiée à ses yeux. Le prévenu manifeste un vif intérêt pour des périodes historiques qu’il met en parallèle avec l’époque dans laquelle il vit et partage ses réflexions personnelles. À aucun moment, il ne s’exprime à la première personne et pourtant il laisse entendre qu’il pourrait tout à fait être ce civil engagé contre l’injustice et l’oppression. Sans utiliser le « je », Mehdi Nemmouche parle de lui et se livre en partie sur ses intérêts, les valeurs qui l’animent. Il doit s’en rendre compte puisqu’il dit aux enquêteurs : « Ça fait 20 minutes qu’on est sur le même sujet. Vous me dites des choses pour me tirer les vers du nez. Je sais très bien ce que tu veux me faire dire, je ne suis pas con[70]. »
La diffusion de plus de huit heures d’interrogatoire permet de véhiculer une parole « directe » de l’accusé jusque dans la salle d’audience où elle fait défaut. Elle confronte Mehdi Nemmouche à sa propre parole et à sa propre image. Il pourrait s’agir d’un procédé subjectivant à part entière, dans le sens où l’accusé ne peut nier ce qu’il dit et montre lors de ces témoignages, après en avoir été spectateur et auditeur. La subjectivation est un processus qui survient cognitivement, et ne se mesure que lorsqu’elle est rendue audible par un discours de la part du sujet. Lorsque celui-ci ne parle pas, nous ne pouvons qu’en faire l’hypothèse. Bien qu’il n’y reconnaisse pas sa culpabilité, qu’il n’avoue rien, il révèle de lui bien plus de choses lors de ces interrogatoires qu’à l’audience. Si sa parole est moins contrôlée et contenue qu’à l’audience, nous observons qu’il cherche néanmoins à contrôler l’interaction en choisissant de répondre aux questions qui l’intéressent spécifiquement (à propos de la géopolitique par exemple). Il utilise toujours son droit au silence pour répondre à toutes les questions qu’il souhaite éviter et qui le confrontent à sa responsabilité et à sa culpabilité. Là encore, nous n’avons pu observer aucun changement dans son attitude au cours et à l’issue de ces diffusions sur lesquelles il ne s’est pas exprimé. Nous n’aurons pas accès à sa « vérité », ni d’une certaine manière à sa subjectivité en tant que construite par lui-même, issue d’une élaboration réflexive et cognitive, d’une historicisation et d’un positionnement en tant que sujet d’une histoire assumée comme étant la sienne. La seule vérité qu’il formule à la fin de sa lettre en huit points : « Pour terminer, je n’ai rien à voir avec les attentats de Bruxelles et Paris. Je les condamne. Dieu n’a jamais permis de tuer des innocents[71]. » Si l’accusé a le droit de garder le silence à l’audience, il a aussi le droit de mentir, il ne prête pas serment comme les témoins. Le mensonge ne vient-il pas, d’une certaine manière, témoigner d’un échec du dispositif à faire reconnaître à un coupable sa culpabilité ? Ne témoigne-t-il pas d’une resubjectivation par l’accusé échouée ? Un accusé jugé coupable qui ne se reconnaît pas en tant que coupable peut-il comprendre le sens du jugement et de la peine qui en résulte ?
Conclusion
Ces questions nous permettent d’éclairer, pour conclure, une tension entre un dispositif pénal qui doit rendre justice et réparer un ordre social fracturé et un dispositif qui peut, du fait de l’importance accordée à la parole des accusés, symboliquement et de manière pratique, avoir des effets subjectivants sur les accusés. Des effets que l’on pourrait, dans certains cas, qualifier de « thérapeutiques ». Lorsqu’il s’agit de crimes et que les magistrats cherchent à prévenir et à éviter une récidive, il semble que les processus de subjectivation et de resubjectivation[72] soient nécessaires à l’efficacité d’un jugement dont l’accusé reconnaît l’assignation et comprend le sens.
À travers les deux cas étudiés, nous voyons que les discours énoncés sur l’accusé s’inscrivent dans le tissu énonciatif dynamique des débats contradictoires et sont reçus par l’accusé présent à l’audience. Dans le cas d’Inès Madani, ces discours étaient à charge et à décharge et nous ont permis d’observer des effets sur l’accusée, une évolution de son discours et de sa posture subjective. Initialement réservée et ne reconnaissant qu’en partie les faits reprochés, elle a semblé trouver dans les différents témoignages de quoi étayer son histoire, y mettre du sens et se réidentifier. Son discours et son attitude changent au fil de l’audience, et elle finit par reconnaître sa culpabilité, la portée de ses actes et par s’excuser. La question de la sincérité de ses excuses n’est pas le sujet ici, nous constatons simplement une évolution de son discours et de son attitude. Le cas d’Inès Madani illustre la double subjectivation foucaldienne évoquée en introduction. Elle est, premièrement, objet d’un discours dont elle est une interlocutrice et dans lequel elle se perçoit en tant que sujet d’une histoire à laquelle elle parvient à s’identifier, qu’elle assimile comme étant la sienne. Et deuxièmement, elle trouve dans les discours réflexifs un support d’élaboration cognitive qui lui permet de mettre en sens et en mots sa propre histoire dont elle se reconnaît comme étant le sujet principal. L’audience a été l’espace-temps d’une élaboration cognitive sur sa propre histoire reconstituée et racontée à plusieurs voix dont la sienne propre. La parole d’Inès Madani, en partie produite par réflexion des autres paroles, a été le moteur manifeste d’une transformation ou d’une évolution subjective que l’on a désigné par le terme « resubjectivation ».
Dans le cas de Mehdi Nemmouche, un processus de subjectivation, s’il a eu lieu, n’a pas été visible puisque l’accusé est resté silencieux tout au long de l’audience, hormis lorsqu’il a lu sa lettre en huit points. Cette prise de parole apparemment motivée, selon ses mots, par une volonté de se dissocier du vol de dossier commis au bureau d’un des avocats est aussi l’occasion pour lui de verbaliser qu’il n’est pas coupable du crime dont il est accusé. Cette position est ensuite portée et défendue par ses avocats. Son absence de réactions observables aux différents témoignages le concernant ne permet pas d’évaluer un quelconque effet subjectivant visible. Nous faisons l’hypothèse que l’audition de témoignages à décharge, concernant sa vie passée et son enfance notamment, aurait peut-être pu lui permettre une identification et un étayage subjectivants.
Ainsi, nous concluons que les effets subjectivants des discours sur l’accusé sont moindres lorsque l’accusé reste extérieur à son procès, et ne participe pas à l’interaction des échanges contradictoires. Par ailleurs, la condition pour que sa propre parole donne lieu à une resubjectivation serait qu’elle soit précédée d’une réflexivité et d’une élaboration cognitive au sujet de sa propre histoire et de son rôle dans cette histoire. Le système judiciaire de droit civil met la parole de l’accusé au coeur de l’audience. Celui-ci est régulièrement consulté pour répondre à ce qui est dit à son propos, il peut solliciter le président pour s’exprimer s’il le souhaite. Autrement dit, l’accusé a la possibilité d’être véritablement acteur de son procès et donc de participer au débat en énonçant sa pensée et sa parole propre. Il n’est pas simplement auditeur et spectateur. À l’intersection du thérapeutique et du judiciaire, la parole demeure un vecteur de subjectivation, quel que soit le dispositif dans lequel elle est produite. En mobilisant la parole d’experts psychiatres ou psychologues, en faisant entendre la parole de témoins qui renvoient à l’accusé une certaine image de lui-même, le dispositif judiciaire enclenche la possibilité d’une parole subjectivante et d’une transformation chez l’accusé.
Si la fonction du droit n’est pas d’être « thérapeutique », peut-être peut-on néanmoins considérer sérieusement un « effet thérapeutique » ou du moins un « effet subjectivant » produit par l’audience sur l’accusé. Le dispositif a un effet qui peut être transformateur sur la subjectivité de l’accusé et notamment, comme nous venons de le voir, sur la capacité de l’accusé à énoncer une parole qui le subjective.
Dans une perspective préventive de récidive, il nous paraît important de poursuivre l’étude des conditions de possibilité et de production de cette resubjectivation de l’accusé par la parole au sein du dispositif judiciaire et, en particulier, au sein des salles d’audience.
Appendices
Notes
-
[1]
Michel Foucault, L’ordre du discours. Leçon inaugurale au Collège de France prononcée le 2 décembre 1970, Paris, Éditions Gallimard, (1971), p. 8-9, [En ligne], [www.litterature924853235.files.wordpress.com/2018/06/ebook-michel-foucault-l-ordre-du-discours.pdf] (24 avril 2023).
-
[2]
Christiane Besnier, La vérité côté cour. Une ethnologue aux assises, Paris, La Découverte, 2017.
-
[3]
Michel Foucault, Fabienne Brion et Bernard E. Harcourt (dir.), Mal faire, dire vrai. Fonction de l’aveu en justice. Cours de Louvain, 1981, Louvain, Presses universitaires de Louvain et University of Chicago Press, 2012.
-
[4]
Bruno Latour, La fabrique du droit. Une ethnographie du Conseil d’État, Paris, La Découverte, 2004.
-
[5]
Cette idée est notamment portée et développée par des psychanalystes : nous renvoyons par exemple aux travaux sur la radicalisation adolescente menés par Danièle Epstein, Dérives adolescentes : de la délinquance au djihadisme, Toulouse, Érès, 2017.
-
[6]
Voir, par exemple, les travaux suivants : Steven Wainrib, « Le processus de métasubjectivation », Bulletin de la Société psychanalytique de Paris, vol. 55, 1999, p. 152-167 ; François Richard et autres, La subjectivation, Paris, Dunod, 2006. Pour un historique de la notion de subjectivation en psychanalyse, voir Michèle Bertrand, « Qu’est-ce que la subjectivation ? », Le Carnet PSY, vol. 1, n° 96, 2005, p. 24-27, [En ligne], [www.cairn.info/revue-le-carnet-psy-2005-1-page-24.htm] (1 er août 2023).
-
[7]
Judith Revel, Le vocabulaire de Foucault, entrée esthétique de l’existence, Paris, Ellipses, 2002, [En ligne], [www.guichetdusavoir.org/question/voir/8589] (29 décembre 2023).
-
[8]
Antoine Garapon, Bien juger. Essai sur le rituel judiciaire, Paris, Odile Jacob, 2010, p. 131.
-
[9]
Code de procédure pénale français, art. 427 (2).
-
[10]
M. Foucault, préc., note 3.
-
[11]
Renaud Dulong (dir.), L’aveu. Histoire, sociologie, philosophie, Paris, Presses universitaires de France, 2001.
-
[12]
M. Foucault, préc., note 3.
-
[13]
C. Besnier, préc., note 2.
-
[14]
Br. Latour, préc., note 4, p. 255.
-
[15]
C. Besnier, préc., note 2, p. 161.
-
[16]
Judith Butler, « Mal faire, dire vrai : le cas de l’aveu sexuel », dans Jean-François Braunstein et autres, Foucault(s), Paris, Éditions de la Sorbonne, 2017, p. 224-243, [En ligne], [www.books.openedition.org/psorbonne/96387] (29 décembre 2023).
-
[17]
Renaud Dulong, « Le silence comme aveu et le “droit au silence” », Langage et société, vol. 2, n° 92, 2000, p.25-44, [En ligne], [www.cairn.info/revue-langage-et-societe-2000-2-page-25.htm] (29 décembre 2023).
-
[18]
Amartya Sen, Un nouveau modèle économique : développement, justice, liberté, Paris, Odile Jacob, 2003.
-
[19]
Pierre Legendre, Le crime du caporal Lortie. Traité sur le Père, Paris, Fayard, 1989.
-
[20]
Id., p. 196.
-
[21]
C. Besnier, préc., note 2.
-
[22]
Id.
-
[23]
Id., p. 125.
-
[24]
Cette cour d’assises spécialement composée avait été mise en place depuis 1986 à la suite de menaces d’un membre d’Action directe contre ses jurés.
-
[25]
Pour plus de détails sur l’évolution de la procédure judiciaire antiterroriste en France, voir Christiane Besnier (dir.), Les filières djihadistes en procès. Approche ethnographique des audiences criminelles et correctionnelles, 2017-2019, Paris, Centre d’anthropologie culturelle de la Sorbonne, Éditions Mission de recherche Droit et Justice, 2019, [En ligne], [www.dalloz-actualite.fr/sites/dalloz-actualite.fr/files/resources/2020/02/17.29-rapport-final.pdf] (30 décembre 2023).
-
[26]
La Cour d’assises spéciale a été créée en France en 1986 et promulguée par la Loi du 9 septembre 1986. Elle est compétente pour statuer sur les crimes commis en matière de terrorisme et de trafic de stupéfiants en bande organisée. Cette cour d’assises est spécialement composée uniquement par des magistrats professionnels, soit 7 en première instance et 9 en appel. En 1986, au cours d’une audience statuant sur des faits de terrorisme, des jurés ont été menacés par les accusés. Le lendemain de ces menaces, certains jurés ont refusé de siéger, et le procès a dû être renvoyé. C’est à partir de cet incident que les crimes de terrorisme ne sont plus jugés que par des magistrats professionnels.
-
[27]
Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 4 novembre 1950, S.T.E. n° 5 (entrée en vigueur le 3 septembre 1953), art. 6 (ci-après « CEDH »).
-
[28]
Le premier paragraphe de l’article 6 de la CEDH stipule ceci :
Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.
-
[29]
Denis Salas, « Le djihad du silence. Observations sur le procès de l’attentat du musée juif de Bruxelles (10 janvier-18 mars 2019) », (2019) 1-41 Archives de politique criminelle 226, [En ligne], [www.cairn.info/revue-archives-de-politique-criminelle-2019-1-page-221.htm] (25 mai 2023).
-
[30]
Christiane Besnier, « Présentation : Le phénomène Outreau », (2008) 55 Droit et cultures. Revue internationale interdisciplinaire, p. 11-29, [En ligne], [www.journals.openedition.org/droitcultures/299] (9 mai 2023).
-
[31]
C. Besnier, préc., note 2.
-
[32]
P. Legendre, préc., note 19, p. 95.
-
[33]
Pour le contexte, le 8 mai 1984, Denis Lortie, alors caporal des Forces armées canadiennes, pénètre à l’Assemblée nationale du Québec avec l’ambition de s’en prendre au gouvernement en tuant des députés. Finalement, il tue trois personnes, fait huit blessés (mais pas de députés) et se laisse arrêter. Condamné à perpétuité, il a été diagnostiqué comme souffrant de schizophrénie par des experts psychiatres. En étudiant son cas, Pierre Legendre étudie les liens étroits entre les dispositifs judiciaires et psychiatriques.
-
[34]
P. Legendre, préc., note 19, p. 11.
-
[35]
Max Travers, « Ethnométhodologie, analyse de conversation et droit », (2001) 2-48 Droit et société 349, [En ligne], [www.cairn.info/revue-droit-et-societe1-2001-2-page-349.htm] (29 août 2023).
-
[36]
John M. Atkinson et Paul Drew, Order in Court: The Organisation of Verbal Interaction in Judicial Settings, Londres, Macmillan, 1979.
-
[37]
Martha L. Komter, Dilemmas in the Courtroom : A Study of Trials of Violent Crime in the Netherlands, New-York, Lawrence Erlbaum Associates, 1998.
-
[38]
Pour une étude sur la construction des tours de parole et des questions pouvant influencer l’interaction entre les acteurs judiciaires, voir par exemple, J.M. Atkinson et P. Drew, préc., note 36.
-
[39]
Nigel Eltringham, Genocide never Sleeps. Living Law at the International Criminal Tribunal for Rwanda, Cambridge, Cambridge University Press, 2019.
-
[40]
Marc Hecker, « 137 nuances de terrorisme. Les djihadistes de France face à la justice », Focus stratégique, vol. 79, 2018, qui a travaillé sur 137 jugements de djihadistes, explique bien les difficultés auxquelles est confronté un chercheur qui souhaite accéder à des sources et à des documents judiciaires.
-
[41]
Vincent de Gaulejac, « Produire une histoire et chercher à en devenir le sujet : pour une clinique de l’historicité », dans Christine Delory-Momberger (dir.) et autres, La mise en récit de soi. Place de la recherche biographique dans les sciences humaines et sociales, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2013, p. 60.
-
[42]
Christophe Niewiadomski, « Clinique narrative », dans Christine Delory-Momberger, Vocabulaire des histoires de vie et de la recherche biographique, Toulouse, Éditions Érès, 2019, p. 37.
-
[43]
Aude Bariéty, « Attentat raté près de Notre-Dame : les proches d’Inès Madani, la principale accusée, se succèdent à la barre », Figaro, 25 septembre 2019, [En ligne], [www.lefigaro.fr/actualite-france/2019/09/25/01016-20190925LIVWWW00001-en-direct-attentat-rate-pres-de-notre-dame-suivez-la-troisieme-journee-de-proces.php] (6 juin 2022).
-
[44]
Id.
-
[45]
Id.
-
[46]
Id.
-
[47]
Id.
-
[48]
Id.
-
[49]
Id.
-
[50]
Id.
-
[51]
Thomas Pierret, chercheur en sciences politique, s’est exprimé sur le conflit syrien (Thomas Pierret, Baas et Islam en Syrie. La dynastie Assad face aux oulémas, Presses unitaires de France, « Proche-Orient », 2011) ; Alain Grignard, islamologue, a retracé l’histoire des organisations terroristes islamistes, remontant à Al-Qaïda et aux attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis ; Serge Garcet, professeur de victimologie et de criminologie, a présenté le processus de radicalisation (Serge Garcet, « Une approche psychocriminologique de la radicalisation : le modèle de « transformation cognitivo-affective de la définition de soi et de la construction du sens dans l’engagement radical violent », Revue de la Faculté de Droit de l’Université de Liège, vol. 3, 2016.)
-
[52]
Radio-télévision belge de la Fédération Wallonie-Bruxelles (RTBF), « Procès Nemmouche : Nacer Bendrer confirme que Nemmouche lui a demandé une kalachnikov », RTBF, 15 janvier 2019, [En ligne], [www.rtbf.be/article/proces-nemmouche-nacer-bendrer-confirme-que-nemmouche-lui-a-demande-une-kalachnikov-10118597] (2 janvier 2024).
-
[53]
rtbf, « Mehdi Nemmouche : « J’interdis à qui que ce soit de poser des actes d’intimidation » », RTBF, 6 mars 2019, [En ligne], [www.rtbf.be/article/le-proces-du-musee-juif-en-15-citations-cles-10163385] (2 janvier 2024).
-
[54]
Id.
-
[55]
rtbf, « Procès du Musée juif : « La vie continue », lance Mehdi Nemmouche », RTBF, 11 mars 2019, [En ligne], [www.rtbf.be/article/proces-du-musee-juif-la-vie-continue-lance-mehdi-nemmouche-10167151] (2 janvier 2024).
-
[56]
D. Salas, préc., note 29.
-
[57]
Nous rappelons que Mehdi Nemmouche a été placé en famille d’accueil par la protection de l’enfance très vite après sa naissance. Son père biologique est inconnu, et sa mère biologique n’était pas en capacité de s’occuper de lui. Il n’a renoué avec des membres de sa famille maternelle qu’à partir de ses 8 ans.
-
[58]
En 2019, l’instruction était encore en cours, et le procès jugeant la participation de Mehdi Nemmouche à des activités djihadistes en Syrie n’avait pas encore eu lieu.
-
[59]
Nicolas Hénin et Didier François, deux journalistes retenus en otage en Syrie en 2013-2014, ont été entendus devant la cour d’assises belge le 7 février 2019. Leurs auditions ont été retranscrites par la RTBF dans le compte rendu du 7 février 2019. Nous avons enregistré et conservé le compte rendu de l’audience dont la citation est extraite. Aujourd’hui, l’article n’est malheureusement plus en ligne.
-
[60]
Cet extrait provient de la retranscription par la RTBF du 11 février 2019, qui n’est plus en ligne aujourd’hui.
-
[61]
Nous entendons par là que Mehdi Nemmouche ne se saisit pas, de manière manifeste tout du moins, de ce que lui renvoient les différents locuteurs à propos de lui-même et de son histoire, afin de donner un sens partagé à son histoire. C’est l’élaboration d’un nouveau sens permettant d’expliquer qui il est dans les discours face à lui et le fait de s’identifier dans cette histoire qui fait resubjectivation.
-
[62]
Cela supposerait qu’il y ait eu un traitement cognitif des différents témoignages par Mehdi Nemmouche, une identification aux images qui lui ont été renvoyées, une assimilation qui nécessite une réflexion et la construction d’un nouveau discours, sans que celui-ci soit forcément verbalisé.
-
[63]
En France, la DGSI fait partie de la Communauté nationale du renseignement. Elle a donc une compétence générale en renseignement dans tous les domaines intéressant la sécurité nationale et les intérêts fondamentaux de la Nation, comprenant la lutte antiterroriste.
-
[64]
Au sujet des logiques interactives entre un policier et un prévenu lors d’un interrogatoire, nous renvoyons à une étude de Martha L. Komter, « La construction de la preuve dans un interrogatoire de police », (2001) 2-48 Droit et société 367, qui utilise l’analyse conversationnelle pour mettre en lumière une tension entre une pratique judiciaire, qui vise à préparer le dossier et un éventuel procès en construisant des preuves juridiquement valides, et une parole de l’accusé, qui doit être retranscrite le plus fidèlement possible aux énoncés d’origine dans les procès-verbaux. Elle montre que l’interaction est en réalité entièrement guidée par la nécessité de construire une preuve, aux dépens du respect de la parole du prévenu qui est restituée dans un discours retravaillé par le policier pour assurer une cohérence et une validité permettant d’être juridiquement utile.
-
[65]
Cet extrait provient de la retranscription par la RTBF du 11 février 2019, qui n’est plus en ligne aujourd’hui.
-
[66]
Id.
-
[67]
La DDASS a été chargée jusqu’en 2010 en France de protéger et de placer les enfants en danger. Depuis 2010, ce sont les agences régionales de santé et l’Aide sociale à l’enfance qui remplissent ce rôle.
-
[68]
Cet extrait provient de la retranscription par la RTBF du 8 février 2019, qui n’est plus en ligne aujourd’hui.
-
[69]
Id.
-
[70]
Id.
-
[71]
rtbf, préc., note 53.
-
[72]
Nous parlons de « resubjectivation » lorsque l’accusé construit une nouvelle perception de lui-même et de son histoire après l’élaboration d’un nouveau sens permise par une réflexivité avec les autres discours, au cours de l’audience.