Abstracts
Résumé
Réflexion sur le film En bonne compagnie / Las Buenas companias réalisé par Silvia Munt. L’intrigue, inspirée de faits réels, se déroule en 1977 à San Sebastian, au Pays basque, et raconte le mouvement féministe en faveur de l’avortement. Nous assistons à un conflit entre les valeurs traditionnelles et les valeurs plus progressives.
Mots-clés :
- avortement,
- conviction,
- féminisme,
- conservatisme,
- progressisme
Abstract
Reflections on the film En bonne compagnie / Las Buenas companias directed by Silvia Munt. The plot, inspired by real events, takes place in 1977 in San Sebastian, in the Basque Country, and tells the story of the feminist movement in favour of abortion. We witness a clash between traditional and more progressive values.
Keywords:
- abortion,
- conviction,
- feminism,
- conservatism,
- progressivism
Article body
En bonne compagnie ou Las Buenas companias (2023) est un film catalan réalisé par Silvia Munt (1). L’intrigue, inspirée de faits réels, se déroule en 1977 à San Sebastian, au Pays basque, et raconte le mouvement féministe en faveur de l’avortement. Nous assistons à un conflit entre les valeurs traditionnelles et les valeurs plus progressives ou émancipatrices. D’un côté, nous avons les valeurs traditionnelles qui font des femmes des mères réduites à porter des enfants sans aucune autonomie dans leur sexualité. Ce sont les valeurs du mariage, de l’hétérosexualité et de la soumission supportées par le catholicisme, bien présent dans la vie quotidienne de l’époque; le contenu de la radio en témoigne. De l’autre côté, il y a le mouvement féministe, représenté par Béa (Alicia Falco), qui lutte pour le droit à l’avortement, pour revendiquer le droit aux femmes d’être maître de leur corps, dénonçant du coup les violeurs et les abuseurs. Ce mouvement revendique une sexualité hors mariage.
Dans ce contexte, Béa rencontre une autre femme, Miren (Elena Tarrats), enceinte et qui se laissera convaincre d’avorter, mais en France. La mère de Béa (Itziar Ituno) affirme que les gens mieux fortunés ou qui ont de bons contacts s’en sortent mieux, ce qui est le cas de Miren qu’on cachait jusqu’à l’accouchement pour remettre ensuite l’enfant en adoption. Ce ne fut pas le cas de la tante de Béa, Belen, qui s’est elle-même fait avortée en utilisant des broches à tricot avec les risques que cela représente. Elle en mourra. La mère de Béa sera arrêtée car soupçonnée d’avoir pratiqué l’avortement. Finalement, Béa avouera à sa mère qu’elle est amoureuse de Miren. Ce sera difficile pour la mère d’accepter la nouvelle condition de sa fille, qui n’est plus une enfant, mais une femme avec toute son autonomie. D’ailleurs, elle le dira elle-même, les enfants nous sont prêtés pour un temps, après ils s’envolent là où les appellent leur liberté. Autrement dit, elle accepte, quoique difficilement, cette nouvelle réalité en empruntant, paradoxalement, un discours religieux. Elle encourage donc sa fille à voler de ses propres ailes en allant à Barcelone ou Madrid où elle pourra trouver une plus grande liberté. De son côté, la mère dit à sa fille qu’elle continuera de lutter à sa manière, c’est-à-dire dans l’ombre.
Nous sentons bien, à travers cette lutte, la présence de l’idéologie liée au franquisme (le général Franco est décédé en 1975) qui a rendu possible l’emprisonnement de onze femmes, les « 11 de Basauri », pour avoir pratiqué clandestinement l’avortement. Cette lutte à travers toute l’Espagne permettra la légalisation de l’avortement en 1985.
Toute cette histoire nous fait revive la tragédie d’Antigone de Sophocle (2). Ce sont les raisons du coeur en faveur de la dignité des femmes contre les institutions conservatrices. À l’époque, il fallait être radical pour l’avancement de la cause. Les hommes sont absents et dépeints comme des monstres. Nous pouvons nous demander alors si c’est juste ou éthique d’entretenir la haine pour promouvoir la justice. Quelle place pouvons-nous accorder à la violence en faveur du bien? Est-ce le retour des choses? Dans ce cas, est-ce que les femmes répètent à leur manière toutes les injustices qu’elles ont subi? Est-ce une vengeance? Ces questions se posent, non pas pour diminuer la valeur de ces revendications, mais pour ne pas devenir aveugles, si nous acceptons que l’éthique soit l’art d’interroger toutes les valeurs.
Il n’en demeure pas moins que ce film trouve encore sa pertinence dans un contexte où nous assistons à l’essor de politiques conservatrices à travers le monde, principalement en Occident, dans bien des cas, avec une justification religieuse. Le rejet de l’avortement n’est plus un droit acquis. Le renversement de l’arrêt Roe c. Wade par la cour suprême des États-Unis est exemplaire à cet égard. Les valeurs de l’humanisme sont toujours menacées, surtout chez les femmes.
La question de l’avortement devient une problème inscrite dans la condition féminine qui traverse les époques et les cultures. Il est probablement juste de se questionner si l’avortement est une bonne action, mais dans une culture caractérisée par le libéralisme et le pluralisme, il convient de laisser à chaque femme de réfléchir et de décider par elle-même ce qu’elle désire.
Le respect de l’autonomie et de non-malfaisance envers les femmes pèsent lourd dans la balance lorsqu’on veut réfléchir à l’avortement. Si on reprend la pensée de Max Weber (3), on peut dire que les conséquences sont trop sévères pour se cantonner dans des convictions fermées. Une société se juge aux soins qu’elle accorde aux femmes. En ce sens, l’éthique c’est, avant toute chose, penser. Et penser, c’est prendre soin de soi, des autres et du monde en s’exposant à la souffrance, à la fragilité et à la vulnérabilité intrinsèque à la condition humaine, plus spécifiquement à la condition féminine. Avant de donner naissance à des enfants, il convient tout d’abord de nourrir la liberté, une pensée nourrie par la condition féminine qui refuse une vie de mensonge et d’exploitation.
Le jeu des actrices est exceptionnel. La qualité des images et de la lumière est remarquable. Plus que tout, ce film donne à penser.
Appendices
Bibliographie
- 1. Allociné. En bonne compagnie.
- 2. Sophocle, Antigone. Paris : Les Belles Lettres; 2013.
- 3. Weber, M. Le savant et le politique. Paris : La Découverte; 2007.