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Book ReviewsRevues de livres

Bernard Arcand. Les Cuivas. Une ethnographie où il sera question de hamacs et de gentillesse, de Namoun, Colombe et Pic, de manguiers, de capybaras et de yopo, d’eau sèche et de pêche à l’arc, de meurtres et de pétrole, de l’égalité entre les hommes et les femmes. Montréal : Lux Éditeur, 2019, 359 pages[Record]

  • Robert R. Crépeau

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  • Robert R. Crépeau
    Université de Montréal

Cet ouvrage posthume de Bernard Arcand (1945-2009) a enfin vu le jour en 2019 grâce aux efforts concertés de sa conjointe Ulla Hoff, ainsi que de ses collègues Sylvie Vincent† et Serge Bouchard. Il décrit les résultats d’une enquête de terrain réalisée entre 1968 et 1970 auprès des Wamonè, dits Cuivas, des Llanos de la Colombie. J’ai croisé Bernard Arcand pour la dernière fois, en 2007, lors d’un colloque en hommage à Jean-Claude Muller qui se tenait à l’Université de Montréal. Il nous avait alors offert un témoignage fort éloquent concernant « l’espérance de vie illimitée de l’ethnographie » en contraste avec le caractère éphémère des théories anthropologiques. À l’heure du lunch, il m’avait confié qu’il travaillait à compléter son ethnographie des Cuivas en disant avec un brin d’ironie l’avoir négligée par le passé pour s’occuper de sujets un peu moins sérieux. Or, dans un article qui figure en annexe, Arcand explique pourquoi il a choisi de « se taire » pendant de nombreuses années et de limiter l’accès à la thèse qu’il rédigea sous la direction d’Edmund Leach à l’Université de Cambridge afin de protéger les Cuivas qui subissaient alors les assauts des fermiers colombiens, des missionnaires du Summer Institute of Linguistics et des compagnies pétrolières. Illustré de belles photographies en noir et blanc, le livre est divisé en chapitres thématiques qui traitent de l’économie de chasse et de collecte, du système de parenté, de l’organisation socio-politique et de l’idéologie. Dans une préface bien sentie, Christine et Stephen Hugh-Jones, collègues et amis d’Arcand à l’Université de Cambridge, situent le contexte intellectuel et historique de l’époque. Ceux et celles qui ont encore en mémoire l’intelligence, la verve et le sens de la dérision critique d’Abolissons l’hiver ! ou de Le Jaguar et le Tamanoir retrouveront ces mêmes qualités dans cette ethnographie destinée à un large public où s’exprime un libre penseur qui refusa de se soumettre aux lieux communs de la discipline. En plus de la description et de l’analyse du mode de vie révolu de cette société de chasseurs, pêcheurs et cueilleurs, les spécialistes y trouveront des réflexions critiques originales concernant plusieurs des débats ayant occupé la discipline au cours des dernières décennies. Parmi ceux-ci, le thème du rendement économique du mode de subsistance des Cuivas occupe une place importante. Arcand consacra beaucoup de temps à mesurer et peser la production alimentaire, et à quantifier le temps de travail des hommes et des femmes. Ces mesures fastidieuses confirmèrent les conclusions révolutionnaires de Marshall Sahlins voulant que les chasseurs-cueilleurs n’exploitent qu’une partie des ressources dont ils disposent et constituent la première société d’abondance. Arcand confie au lecteur que la parution en 1968 de l’ouvrage collectif Man the Hunter qui arrivait à cette même conclusion avait rendu son travail « nettement moins original ». Prenant en compte ce contexte d’abondance, les observations d’Arcand concernant la mobilité des Cuivas n’en demeurent pas moins fort intéressantes. Ainsi, le groupe se déplacera pour varier un menu devenu trop monotone, en raison de la raréfaction de bois sec à proximité pour alimenter les feux ou encore, parce que le campement est devenu tout simplement insalubre. La discussion portant sur la bande comme forme d’organisation politique est passionnante. Arcand propose « …d’inverser la perspective traditionnelle » en affirmant que la bande est une soupape de sécurité qui «  sert à se libérer de l’autorité » (p. 219) en empêchant les abus potentiels du système de relations d’autorité au sein du groupe local et de la famille. Les regroupements occasionnels de la bande permettraient aux individus de reconsidérer leurs alliances, de trouver de nouveaux partenaires ; …

Appendices