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Introduction

Depuis les années 2000, le portrait de l’immigration a beaucoup changé au Québec. Les immigrants proviennent majoritairement de pays de cultures arabe, africaine, asiatique et latino-américaine et moins de pays de cultures occidentales (McAndrew et Audet, 2021). De plus, beaucoup sont jeunes. Par exemple, sur les 219 568 immigrants reçus au Québec entre 2017 et 2021, 31,8 % avaient moins de 25 ans (Gouvernement du Québec, 2023). Ainsi, l’immigration contribue à la croissance du nombre d’élèves de cultures et de langues diverses dans les écoles. Par exemple, sur l’île de Montréal, 49 % (219/447) des écoles ont entre 50 et 100 % d’élèves issus de l’immigration et, de plus, les élèves allophones représentent en moyenne 41,3 % des effectifs scolaires du réseau public (Comité de gestion de la taxe scolaire de l’île de Montréal [CGTSIM], 2023).

L’intégration scolaire des élèves immigrants comporte d’énormes défis. Par élèves immigrants, il faut entendre ceux qui sont nés à l’extérieur du Canada (1re génération) et ceux nés au Canada dont au moins un parent est né à l’extérieur du Canada (2e génération) (McAndrew, Bakhshaei et Ledent, 2013). Des recherches (Atangana-Abe et Ka, 2016; Kanouté, 2002) montrent que beaucoup d’élèves immigrants ont des difficultés à décoder les normes scolaires et les codes culturels et linguistiques de leur pays d’accueil. Ils vivent aussi des difficultés sur le plan identitaire et une détresse psychologique due à la discrimination (Jacquet et Masinda, 2014; Kanouté, 2002; Lafortune et Kanouté, 2019). En outre, ils sont plus vulnérables à l’abandon et à l’échec scolaires (Bauer et Akkari, 2016; Bergamaschi, 2016; Kamano, 2014; Lafortune et Kanouté, 2019; McAndrew et Bakhshaei, 2016; Ministère de l’Éducation, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche [MÉESR], 2015). Le taux de décrochage est particulièrement plus élevé chez les élèves immigrants nés à l’étranger : 31 % en 2011-2012 (MÉESR, 2015). McAndrew et Bakhshaei (2016) notent que ce sont les élèves qui viennent d’Amérique centrale et du Sud, des Antilles, d’Afrique subsaharienne et d’Asie du Sud qui obtiennent des scores de loin inférieurs à ceux des autres immigrants et des natifs du Québec.

Plusieurs obstacles nuisent à l’apprentissage de ces élèves et à leur réussite scolaire, notamment les retards scolaires, les différences sur le plan des méthodes d’enseignement et d’apprentissage, la méconnaissance du contexte socioculturel (Atangana-Abe et Ka, 2016; Bakhshaei, 2015), la difficulté à décoder les «rituels de l’école» et l’« implicite du curriculum » (Kanouté, 2002), l’absence de maîtrise de la langue d’enseignement, l’éloignement entre la culture scolaire du pays d’accueil et celle de leurs familles, la difficulté de leurs parents à comprendre le fonctionnement de l’école (Atangana et Ka, 2016; Bakhshaei, 2016; Benimmas, 2010; Jacquet et André, 2021; Kamano, 2014; Lafortune et Kanouté, 2019; Vatz Laroussi et Kanouté, 2013) ainsi que les préjugés, les stéréotypes et les attentes moins élevées des enseignants à leur égard (Bakhshaei, 2016; Benimmas, 2010; Lafortune et Kanouté, 2019; McAndrew et Audet, 2021).

La faible réussite des élèves immigrants serait également due à l’écart entre la diversité ethnoculturelle des élèves et celle du corps enseignant (Bauer et Akkari, 2016; Benimmas, 2010; Bieri, 2015; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse [CDPDJ], 2009; Kholi, 2016; Santoro, 2016) et au manque de compétences interculturelles et antiracistes des enseignants (Benimmas, 2010; CDPDJ, 2009). Si les compétences interculturelles et antiracistes du personnel enseignant ont attiré l’attention de plusieurs chercheurs (Larochelle-Audet, 2014; Larochelle-Audet, Borri-Anadon, Mc Andrew et Potvin, 2013; Larochelle-Audet, Borri-Anadon et Potvin, 2016; Steinbach, 2012), la contribution des enseignants issus de l’immigration n’a fait l’objet d’aucune recherche empirique jusqu’à présent au Québec. Pourtant, une recension des écrits (Niyubahwe, Mukamurera et Jutras, 2019) montre que ces enseignants jouent un rôle important auprès de ces élèves. Face à cet enjeu, nous nous posons la question suivante : comment les enseignants issus de l’immigration perçoivent-ils l’intégration des élèves immigrants et leurs propres contributions auprès de ces élèves?

Cadre conceptuel et théorique

Concept d’intégration scolaire

Selon Danvers (2003, cité par Bieri, 2015, p. 10), l’intégration est un processus qui « consiste à prendre place parmi les autres, à interagir avec eux et s’exprime par la reconnaissance de la place que le sujet occupe au sein de l’ensemble social et de l’utilité qu’il y remplit ». Ainsi, l’intégration scolaire est un processus qui implique à la fois l’élève immigrant et la société d’accueil, tout particulièrement l’école (Benimmas et Kamano, 2009; Bieri, 2015; Jacquet et Masinda, 2014).

Pour l’élève immigrant, réussir son intégration scolaire implique de s’acclimater à son nouvel environnement en s’appropriant les nouveaux codes de conduite et de communication et en apprenant la langue locale « afin de développer un sentiment d’appartenance à la société d’accueil et de s’y faire une place sans pour autant perdre son identité ou nier sa culture d’origine » (Benimmas et Kamano, 2009, p. 6).

Quant à l’école, elle doit donner à ces élèves les mêmes chances de réussite qu’aux autres élèves, en mettant en place des services adaptés à leur intégration linguistique, scolaire, culturelle et psychosociale (Bieri, 2015; Kamano, 2014). À cet égard, l’école doit porter une grande attention à l’intégration linguistique (Benimmas, 2010; Bieri, 2015), puisqu’il est impossible à ces élèves de socialiser avec les autres, de participer en classe et de comprendre les enseignements reçus sans la maîtrise de la langue d’enseignement. Sur le plan pédagogique, l’école doit s’assurer que l’élève a les prérequis dans les matières scolaires et doit veiller à son classement adéquat (Gouvernement du Québec, 1998; Potvin, 2014). Cela implique de tenir compte des acquis scolaires antérieurs de l’élève, de « ce qu’il est, ce qu’il vit, ce qu’il a vécu, ses caractéristiques, ses besoins et ses intérêts » (Sauvé, 2004, cité par Benimmas et Kamano, 2009, p. 6).

L’école doit aussi reconnaître et valoriser la culture d’origine de l’élève immigrant pour favoriser le développement de son identité et sa réussite scolaire (Bieri, 2015; Jacquet et Masinda, 2014; Kamano, 2014). De plus, vu qu’il fait face à de grands changements sur les plans psychologique et social, l’école doit penser aux « conséquences affectives et psychologiques qu’un tel changement peut avoir sur la relation de l’enfant à son nouvel environnement » (Bieri, 2015, p. 15) et veiller au développement de son estime de soi et à la qualité des contacts avec ses pairs non immigrants et ses enseignants (Baillargeon, 2007; Nadeau-Cossette, 2012).

Théorie du role-model et enseignants issus de l’immigration

Selon Radhouane (2019, p. 86), la théorie du role-model « est centrée sur l’individu et son interprétation de son identité culturelle. Cette dernière […] peut être considérée comme une ressource pour faire de [la] présence [de l’enseignant] un modèle à suivre ou un exemple de possibilités pour les élèves ». Elle permet d’analyser la façon dont les enseignants issus de l’immigration incarnent un modèle particulier auprès des élèves immigrants. En effet, comme le souligne Radhouane (2019, p. 100),

les liens entre leur identité professionnelle et personnelle en sont au coeur ainsi que ce qu’ils représentent pour les élèves : le « héros » ou l’« héroïne » qui réussit en dépit de son appartenance culturelle et qui devient alors un symbole de succès.

C’est d’ailleurs sous cet angle que les études faites auprès d’enseignants issus de l’immigration analysent leur plus-value potentielle (Bauer et Akkari, 2016; Beltron, 2013; Santoro, 2016; Schmidt et Janusch, 2016; Solomon, 1997). Ces études montrent que, par rapport aux enseignants non immigrants, ils apportent certaines spécificités dans l’intégration scolaire des élèves immigrants, notamment en leur servant de modèle d’intégration. En effet, leur présence à l’école signale à ces élèves qu’ils sont les bienvenus et qu’ils peuvent eux aussi avoir leur place. De plus, ayant vécu l’immigration, leur expérience contribue à faciliter la transition des élèves, dans la mesure où ils comprennent mieux les parcours migratoires, les antécédents scolaires, les bagages et pratiques culturelles, les besoins et les attentes des familles (Bauer et Akkari, 2016; Santoro, 2016).

Il ressort également de ces études que les enseignants issus de l’immigration servent de modèle de réussite. En effet, ils reflètent aux yeux des élèves immigrants « que le fait d’être d’origine étrangère n’empêche en rien de faire des études et d’arriver où ils désirent » (Beltron, 2013, p. 60). Selon Bauer et Akkari (2016), le rôle de modèle de réussite « prend d’autant plus de valeur lorsqu’il s’agit de groupes discriminés » puisque les élèves « reconnaissent ainsi le parcours exemplaire » (p. 13) de leur enseignant. En outre, ces enseignants servent de modèle d’identification. Comme ils représentent la différence par rapport à la culture majoritaire, ils partagent une identité commune avec les élèves issus du groupe non majoritaire (Solomon, 1997). Ayant des préoccupations et des réalités partagées en tant qu’immigrants, ils renvoient à ces élèves l’idée que la réussite dans la société d’accueil n’est pas incompatible avec le maintien de leur identité culturelle (Solomon, 1997).

Cadre méthodologique

Les résultats que nous présentons dans cet article s’appuient sur les données de deux recherches qualitatives menées au Québec auprès d’enseignants issus de l’immigration en 2019 et en 2022-2023. Les deux recherches avaient les mêmes visées mais celle de 2022-2023, plus vaste que la première, intègre le point de vue des parents immigrants. Toutefois, les données sur les parents sont analysées ailleurs (voir par exemple Niyubahwe, Mukamurera, Dridi et Côté, 2025).

Les participants ont été recrutés à l’aide d’un échantillonnage par réseaux ou en boule de neige (Fortin et Gagnon, 2022). Nous sommes passés par les ressources du milieu scolaire et notre réseau de contacts pour recruter les premiers enseignants issus de l’immigration interviewés. Par la suite, les participants nous ont indiqué d’autres personnes susceptibles de collaborer à la recherche. Pour être retenus, les participants devaient répondre à des critères déterminés. Dans le cadre des deux recherches, est considérée comme personne enseignante issue de l’immigration toute personne immigrante de première génération (née à l’étranger) ayant une formation en enseignement et une expérience d’enseignement acquise dans son pays d’origine ou au Québec. En outre, pour cette recherche, l’enseignant devait avoir au moins deux ans d’expérience d’enseignement au Québec dans une école primaire ou secondaire où il y a présence d’élèves issus de l’immigration. Ce dernier critère a permis d’avoir accès à des enseignants issus de l’immigration qui comprennent le fonctionnement du système scolaire québécois et qui ont une bonne connaissance de la situation de l’intégration des élèves immigrants. L’échantillon est diversifié quant au pays et continent d’origine, au sexe, à l’expérience d’enseignement au Québec, à l’ordre d’enseignement et à la région scolaire. Le tableau 1 présente les principales caractéristiques des participants.

L’échantillon comprend 21 hommes et 11 femmes, tous âgés de 36 ans et plus. La majorité (25/32) vient du continent africain, les autres viennent d’Europe, d’Asie; d’Amérique latine et des Caraïbes. Trois quarts d’entre eux (24/32) a plus de 6 ans d’expérience d’enseignement au Québec, huit ont entre 3 à 5 ans d’expérience. Plus de la moitié (21/32) enseignent au secondaire, 11 au primaire (classes régulières et classes d’accueil). Enfin, la majorité (26/32) parle plus de trois langues et 6 parlent deux langues.

Tableau 1

Principales caractéristiques des participants

Principales caractéristiques des participants

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La collecte des données a été faite au moyen d’entrevues semi-structurées (Savoie-Zajc, 2016) dans les régions de Montréal, de Sherbrooke, de Drummondville et de l’Outaouais auprès de 12 enseignants issus de l’immigration en 2019 et de 20 enseignants issus de l’immigration en 2022-2023. Dans les deux recherches, il leur a été demandé de s’exprimer sur l’intégration scolaire, sociale, culturelle et linguistique des élèves issus de l’immigration ainsi que sur leur rôle et contribution auprès de ces élèves.

Les entrevues, d’une durée de 60 à 90 minutes, ont été enregistrées, puis transcrites sous forme de verbatims anonymisés. Ensuite, elles ont été codées de façon informatisée à l’aide du logiciel d’analyse qualitative Nvivo 12 (Bassett, 2010) et selon la démarche de l’analyse thématique (Paillé et Mucchielli, 2021). Afin d’assurer la fiabilité des résultats, des stratégies de codage intra- et inter-juges ont été appliquées (Huberman et Miles, 1991). Ainsi, un échantillon de données a été codé par chacun des deux assistants au moins deux fois, à un intervalle d’une semaine, puis les résultats ont été comparés afin de raffiner le plan de codification. Les chercheurs ont aussi participé à la validation du plan de codification.

Résultats

Les résultats sont présentés en trois sections. D’abord les embûches à l’intégration des élèves immigrants, ensuite les parcours difficiles des enseignants issus de l’immigration comme source d’empathie, de sensibilité et de compréhension et, enfin, le rôle de modèle incarné par ces enseignants.

Embûches à l’intégration des élèves immigrants

Prise en compte insuffisante ou inefficace des antécédents scolaires et culturels des élèves immigrants

Les participants soulignent unanimement que l’école essaie d’intégrer les élèves immigrants. Toutefois, ils déplorent que les capacités, les besoins et les difficultés de ces élèves ne soient pas toujours identifiés adéquatement en raison d’une prise en compte insuffisante ou inefficace de leurs antécédents scolaires et de leur culture. D’après les participants, les élèves immigrants ne partent pas sur le même pied d’égalité que les élèves québécois puisque « beaucoup ne détiennent pas les bases pour démarrer correctement […] donc, ça fait des barrières pour l’enfant » (EII_07, 2019).

Les participants trouvent injuste qu’on classe ces élèves en fonction de leur âge et non de leur niveau scolaire. Cela fait que certains enfants se retrouvent pénalisés en étant classés dans des niveaux qu’ils ont déjà réussis, avec tout ce que cela comporte comme conséquences sur l’estime de soi et la motivation de ces élèves. Comme le témoigne un des participants,

il entre donc dans le cycle de troubles parce que quand on lui donne un exercice, il sait déjà ce que c’est. Il fait vite et après quand il n’a rien à faire, il va troubler les autres. Ce problème de déclassement aussi crée beaucoup de frustrations chez certains élèves.

EII_05, 2022

D’autres élèves se retrouvent dans des niveaux qui dépassent leurs acquis scolaires: « c’est fini, l’élève est là par obligation. Il va essayer de faire de son mieux, mais il n’est pas capable d’avancer, il n’est pas capable de comprendre » (EII_09, 2022). L’école met des ressources pour appuyer ces élèves « mais ça ne donne absolument rien » (EII_09, 2022). D’ailleurs, ces enseignants regrettent que beaucoup d’élèves se retrouvent en cheminement particulier et finissent par abandonner.

Les tests de classement qui ne tiennent pas compte des acquis antérieurs de l’élève et les instruments d’évaluation qui comportent des biais culturels ont aussi été pointés du doigt par les participants comme étant nuisibles à la réussite des élèves immigrants et à leur confiance en eux-mêmes. Ces enseignants évoquent que les concepteurs de ces tests les ont conçus « selon leur réalité, leur vision du monde et selon la vision dans laquelle eux ils ont grandi, évolué » (EII_10, 2022), bref « tout est fondé sur la culture québécoise » (EII_16, 2022). Pour un élève qui vient d’arriver, il est presque impossible de satisfaire aux attentes des enseignants qui les ont conçus en raison des biais culturels qu’ils comportent. Selon les participants, la mesure des capacités des élèves immigrants doit se faire autrement, car ces enfants ont des connaissances « qui sont propres à leur pays d’origine. Ces connaissances diffèrent de celles apprises et transmises au Québec. Ils savent beaucoup de choses et il faut en tenir compte pour leur donner confiance en eux » (EII_05, 2019).

En outre, s’intéressant peu au passé de l’élève immigrant et à son histoire dans l’analyse de ses besoins, l’école met en place des mesures d’aide peu efficaces, qui ne correspondent pas aux besoins de ces élèves : « lorsqu’on ne prend pas le temps de le faire, on passe à côté, on ne s’en soucie pas trop, et puis rendu dans le système, on va dire que l’enfant a trop de problématiques » (EII_07, 2019). Selon cette participante, si l’élève présente des problèmes de comportement, c’est « l’expression de ses demandes de base qui n’ont pas été écoutées, qui n’ont pas été comme fouillées pour savoir quoi faire avant. Et les étiquettes vont sortir » (EII_07, 2019). D’ailleurs, ils évoquent que beaucoup d’élèves immigrants obtiennent des diagnostics alors qu’ils ne présentent pas de problème et « se retrouvent dans des classes spécialisées alors que leurs problèmes diffèrent de ceux des enfants en classe spéciale » (EII_07, 2019). Un participant remet en question les instruments utilisés pour diagnostiquer ces élèves :

je n’ai jamais vu une adaptation de ces instruments. […] Souvent ce sont des tests américains qui ont été traduits juste en français seulement. Alors, est-ce qu’avec ces instruments, on est arrivé à déterminer ce qu’il fallait chez l’enfant? Je ne pense pas.

EII_01, 2019

Par ailleurs, les participants déplorent que certains enseignants traitent de la même manière les élèves nouveaux arrivants et les natifs « alors que l’autre enfant qui vient d’arriver ne commence pas sur le même pied d’égalité » (EII_05, 2019). L’élève immigrant « a étudié, mais dans la langue de son pays » (EII_07, 2019). Ainsi, les attentes des enseignants devraient tenir compte des barrières culturelles et linguistiques de ces élèves, car « on ne peut pas comparer un enfant immigrant qui n’a presque jamais manipulé de livres de lecture à un enfant d’origine québécoise qui a fréquenté la bibliothèque depuis son très jeune âge » (EII_05, 2019). Le manque d’attentes positives et l’impatience des enseignants à l’égard de ces élèves sont aussi relevés :

ils se contentent de dire que l’élève immigrant est en échec, qu’il ne peut pas suivre, qu’il est en retard alors qu’ils doivent lui accorder plus de temps. […] Ils veulent que l’enfant puisse rattraper le retard en quelques mois alors que c’est impossible.

EII_04, 2022

Valorisation insuffisante de la culture des élèves immigrants

Selon les participants, il existe des mesures ou des activités visant la valorisation de la culture des élèves immigrants, mais celles-ci sont insuffisantes ou incomplètes. Ils dénoncent aussi l’absence de prise en compte de la culture des élèves immigrants dans le programme scolaire : « tout est lié sur la culture de la société. Tout tourne sur la façon dont la société est organisée ici » (EII_16, 2022). Pour ces enseignants, tenir compte de la culture des élèves dans le programme peut les motiver et faciliter la compréhension de ce qui leur est enseigné : « c’est sûr que si l’élève lisait quelque chose d’un peu plus culturel, plus près de sa culture, peut-être que ça pourrait l’intéresser un peu plus ou faciliter la compréhension de certaines choses » (EII_14, 2022).

Ces enseignants issus de l’immigration relèvent que les enseignants québécois priorisent des activités qui se rattachent aux traditions québécoises. Quand les fêtes de Noël et d’Halloween approchent, les enseignants parlent de tout ce qui se rapporte à ces fêtes, mais n’abordent pas nécessairement les fêtes qui se déroulent ailleurs dans le monde ou qui proviennent d’autres cultures :

car ils ne sont pas assez bien outillés pour le faire parce qu’eux-mêmes, ils ont suivi la même formation. Ils ne savent pas ce qui se passe ailleurs. Donc, ça serait un peu difficile, pour eux, de tenir compte de ces spécificités-là pour ces enfants.

EII_08, 2019

Selon ces enseignants, l’absence de valorisation d’autres cultures est problématique, puisque certains élèves immigrants finissent par aimer ce qui est valorisé par l’école et confrontent leurs parents lorsque ces derniers refusent de fêter Noël ou l’Halloween comme les autres enfants :

« c’est plus festif. Pourquoi mes parents ne voient pas ça comme ça, puis ils voient ça comme quelque chose de pas correct ». Effectivement, ce sont des blocages chez certains enfants, et ça peut être des sources de rébellion à la maison comme à l’école.

EII_10, 2022

D’après les participants, l’adaptation à la culture québécoise se fait au détriment de leur culture d’origine : « ils perdent facilement et rapidement leur culture. Ils pensent que c’est ça qui est le mieux pour montrer qu’ils sont là et qu’ils s’intègrent dans la société. […] dans cette conception-là, ils perdent leur culture d’origine » (EII_08, 2019).

Qui plus est, certains enseignants québécois entretiendraient un discours défavorable au maintien de la culture d’origine chez l’enfant : « Vous venez dans le pays, vous vous intégrez dans le pays. Donc, vous devez vous adapter » (EII_05, 2019). Un autre enseignant issu de l’immigration travaillant dans une école multiethnique trouve injuste que « la culture de l’autre n’est pas acceptée. […] ils ne parlent jamais de leur culture » (EII_09, 2022).

En outre, certains participants mentionnent que les mesures ou les activités pour valoriser la langue d’origine sont peu efficaces en raison de leur manque de finalité. Selon eux, c’est bien de donner des cours d’enseignement des langues d’origine, mais ces cours doivent avoir une finalité en soi :

il faut qu’après le cours, y ait quelque chose qui se passe […] Et après, est-ce qu’ils vont faire un spectacle? Est-ce qu’ils vont composer des petits poèmes dans leur langue? Il faut que ça aille un peu plus loin que juste on donne le cours et c’est tout.

EII_07, 2019

De plus, rien n’est fait pour assurer la pérennité des mesures mises en place. Par exemple, un participant déplore l’arrêt d’un bon projet consistant à traduire les règles de l’école dans les langues plus couramment parlées par les élèves immigrants : « On avait fait des affiches en ourdou pour les Indiens […] pour créer cette fierté. Je ne sais pas si ça a fait beaucoup d’effets puisque le comité n’existe plus » (EII_01, 2019). D’autres participants relèvent que les mesures favorisant l’apprentissage du français découragent l’élève immigrant à parler dans sa langue maternelle. On les oblige de parler en français à l’intérieur comme à l’extérieur de la classe. Ces participants se demandent l’intérêt de les priver de leur langue lorsqu’ils jouent entre eux dans la cour de récréation. C’est pour eux important de mettre des balises pour maîtriser le français, mais cela « ne doit pas nécessairement être coercitif jusqu’à te faire haïr ta langue » (EII_07, 2019).

Parcours difficiles d’EII : source d’empathie, de sensibilité et de compréhension à l’égard des élèves immigrants

Tous les participants observent une similarité entre leurs parcours et celui des élèves immigrants. Ils affirment que les élèves immigrants rencontrent des difficultés qu’ils ont eux-mêmes vécues : « pour la majorité, nous avons rencontré des difficultés. On a connu le transfert des compétences, on a connu la douleur de la séparation des nôtres que les élèves vivent aussi et le déchirement » (EII_03, 2019). Ce parcours difficile est source d’empathie, de sensibilité, d’attention et de bienveillance à l’égard des élèves immigrants : « Je suis très attentif et bienveillant à l’égard de cette clientèle. Je comprends leur état d’esprit et comment ils vivent et j’agis donc en conséquence pour favoriser leur réussite » (EII_06, 2019). Ils mentionnent que les enfants immigrants « peuvent être trop vite jugés alors que c’est juste un simple problème de temps ou d’adaptation » (EII_03, 2022). Pour avoir eux-mêmes vécu des difficultés d’adaptation, ils sont plus tolérants et plus compréhensifs à l’égard de ces élèves, contrairement à « quelqu’un qui n’a pas vécu ça, il n’aura pas la même approche avec ces élèves. […] il ne leur donnera pas le temps de s’adapter pour pouvoir parler en français » (EII_19, 2022).

En outre, l’empathie leur permet de se poser des questions qu’un enseignant natif n’aurait pas nécessairement le réflexe de faire :

Par exemple, si un élève immigrant fait beaucoup de fautes lors d’une dictée, je peux me poser des questions comme : « est-ce que ce mot, il représente quelque chose pour cet enfant qui vient d’arriver? » Essayer de comprendre pourquoi.

EII_07, 2019

Ayant déjà travaillé dans d’autres systèmes éducatifs, ils s’estiment capables de déceler si l’élève immigrant ne comprend pas la matière en raison des difficultés linguistiques ou d’apprentissage ou par manque d’ancrage culturel : « nous, on comprend facilement que ça ne fait pas partie de leur cursus, leur culture, leur curriculum. Au niveau de l’enseignement, ils n’ont pas reçu cet enseignement-là » (EII_17, 2022). Ces participants soulignent que pour un enfant immigrant, se retrouver avec un enseignant issu de l’immigration « le rend déjà confiant, il est content et réconforté, d’avoir quelqu’un qui est enseignant dans le système québécois et qui comprend sa langue et qui comprend sa culture » (EII_04, 2022).

De surcroît, leur parcours difficile les aide à anticiper certains problèmes auxquels font face les enfants immigrants. Par exemple, une enseignante issue de l’immigration ayant déjà vécu de l’exclusion dans les travaux d’équipe à l’université mentionne qu’elle veille à ce qu’aucun enfant ne soit exclu en classe : « quand ils refusent de mettre un élève dans un groupe, je défais le groupe » (EII_05, 2019). Qui plus est, ils estiment avoir une bonne compréhension du contexte familial dans lequel vit l’enfant immigrant et agissent en conséquence, notamment en proposant des changements dans les pratiques enseignantes habituelles afin qu’elles soient mieux adaptées à la réalité des élèves immigrants. Par exemple, un enseignant (EII_07, 2019) a suggéré de donner une trentaine de minutes aux élèves vers la fin de la journée pour apprendre leurs mots de vocabulaire plutôt que de leur donner comme devoir, en raison du contexte socioéconomique difficile des parents immigrants.

Les enseignants issus de l’immigration, un modèle de réussite, de persévérance, d’intégration et d’identité pour les élèves immigrants

Tous les participants se perçoivent comme des modèles de réussite, d’espoir et de persévérance pour les élèves immigrants. Selon eux, un enseignant modèle est quelqu’un issu de l’immigration « qui réussit et qui lance un message aux autres que moyennant l’effort, la volonté d’agir, c’est possible de réussir aussi. Pour qu’ils puissent se dire : “Si lui a réussi, donc y a possibilité, y a pas d’obstacles” » (EII_06, 2019).

Ces enseignants parlent de leurs parcours aux élèves et font référence aux obstacles surmontés pour montrer que tout est possible, qu’ils sont la preuve vivante que ce n’est pas la couleur de la peau et l’accent qui vont les empêcher d’aller plus loin : « je suis là, devant vous. La problématique de l’immigration, je l’ai vécue, mais j’ai persévéré. Donc, mon témoignage, j’espère qu’ils le saisissent, qu’ils saisissent cette chance d’avoir un modèle vivant, devant eux, qui a passé les difficultés » (EII_10, 2019). De plus, pour les élèves immigrants, « c’est encourageant de voir qu’il y a un enseignant d’origine culturelle différente qui a réussi à s’intégrer, puisqu’ils peuvent s’identifier facilement » (EII_17, 2022).

En outre, ils mentionnent qu’ils font tout pour soutenir la réussite des élèves immigrants, notamment en dédramatisant les difficultés. Par exemple, ils les poussent à persévérer dans l’apprentissage du français : « je suis venu ici et j’ai appris la langue. Je la parle, je peux conjuguer des verbes que tu es encore en train de balbutier. Et puis, j’ai travaillé fort » (EII_05, 2019). Ils donnent aussi des conseils aux élèves immigrants pour réussir et éviter des distractions, mais aussi les poussent à se fixer des objectifs ambitieux : « s’ils visent toujours haut, alors il y a des chemins ouverts là et leur dire qu’ils doivent fournir plus d’efforts, que ce soit pour leur recrutement, pour leur réussite » (EII_07, 2019). Un autre enseignant les sensibilise aux défis qui leur sont propres : « pour les immigrants, je dis : “attention toi, tu n’as pas la même chance que les autres. Il faut que tu fasses plus pour que tu te perces un chemin meilleur demain” » (EII_07, 2019).

En outre, ces enseignants sensibilisent les jeunes immigrants au fait qu’être Québécois ne signifie pas perdre leur culture d’origine, et ils les encouragent à travailler dans le sens d’être des citoyens bien intégrés. Ils considèrent qu’en étant à cheval entre les deux cultures, « ils sont plus à même de pouvoir ramener les élèves au juste milieu par rapport à d’où ils viennent et là où ils arrivent » (EII_05, 2022), comme l’illustre ce témoignage :

Je ne renie pas ma culture d’origine, mais celle qui m’accueille m’a tout donné […] chacun doit être ce qu’il est, mais en ayant pour acquis qu’il faut qu’il participe à la communion de la grande société et de la mosaïque du Québec.

EII_10, 2019

Ces enseignants profitent aussi des questions des élèves immigrants pour leur rappeler qu’ils sont aussi Québécois : « Ils me disent : “Comment tu trouves ça d’être Québécois?”, et là, j’entre en détail » (EII_04, 2019).

Discussion et conclusion

Des barrières à l’intégration scolaire des élèves immigrants

Les résultats permettent de comprendre que plusieurs obstacles institutionnels nuisent à l’intégration scolaire des élèves immigrants. Il ressort que l’école ne prend pas suffisamment en compte les antécédents scolaires et la culture de ces élèves lors de l’orientation et de l’identification des besoins, des capacités et des difficultés. Par conséquent, elle met en place des mesures peu efficaces, qui ne répondent pas adéquatement aux besoins de ces élèves. D’autres recherches sur l’intégration des élèves immigrants au Québec (Bakhshaei, 2015; Potvin, Audet et Bilodeau, 2013; Potvin et al., 2014) soulignent aussi que les besoins des élèves immigrants ne sont que partiellement satisfaits.

Les tests de classement, qui ne tiennent pas compte de leurs acquis antérieurs, et les instruments d’évaluation comportant des biais culturels et linguistiques sont aussi nuisibles à leur intégration scolaire. En effet, ces élèves sont déclassés ou surclassés en fonction de leur âge, sans aucune considération de niveau scolaire. D’autres obtiennent des diagnostics inappropriés et sont placés dans des classes spéciales alors que leurs problèmes diffèrent de ceux des enfants en classe spéciale. Ces résultats corroborent ceux d’une étude réalisée au Québec (Potvin et al., 2014) auprès des jeunes de 16 à 24 ans issus de l’immigration à l’éducation des adultes. Ces pratiques de déclassement, de surclassement et de placement dans des classes spéciales sont source de frustrations et peuvent conduire à la démotivation, à la perte de l’estime de soi, à l’échec et l’abandon scolaires ainsi qu’à un sentiment d’injustice à l’école (Potvin, Audet et Bilodeau, 2013).

Selon Potvin (2014), la réussite scolaire des élèves immigrants nécessite que l’école ajuste « son curriculum pour le rendre significatif et pertinent culturellement et socialement » (p. 192), ce qui n’est pas le cas, comme le déplorent nos participants. Dans le même sens, Kanouté, Vatz-Laaroussi, Rachédi et Tchimou Doffouchi (2008) ont montré que le programme scolaire « est largement traversé de références socioculturelles de la société d’accueil » (p. 284). Même les mesures ou activités visant la valorisation de la culture et la langue des élèves immigrants sont insuffisantes ou superficielles. De plus, dans leurs choix d’activités et leurs discours, les enseignants natifs privilégient la culture et les traditions de la société d’accueil, souvent au détriment de la culture d’origine des élèves immigrants. À ce propos, il a été souvent souligné dans les écrits que les enseignants natifs sont moins outillés pour tenir compte de la diversité ethnoculturelle (Akkari, 2013; Larochelle-Audet, Borri-Anadon et Potvin, 2016).

Quant à l’intégration linguistique, elle s’accompagne de mesures coercitives qui découragent l’usage de la langue maternelle à l’école. Pourtant, selon Archambault et al. (2018), le français devrait être « un outil de communication complémentaire qui s’ajoute au bagage de l’élève et qui n’implique pas le rejet de sa langue d’origine » (p. 121). Si une bonne intégration culturelle et linguistique implique que l’élève immigrant garde sa culture et sa langue d’origine tout en adoptant celles de la société d’accueil (Berry, 1997), force est de constater qu’on privilégie l’assimilation de ces élèves.

Contribution des enseignants issus de l’immigration à l’intégration scolaire des élèves immigrants

Il ressort des résultats que la similarité de parcours des enseignants issus de l’immigration et des élèves immigrants « fait développer des compétences et des attitudes particulières qui permettent aux élèves primo-arrivants de se sentir mieux acceptés et reconnus » (Broyon, 2016, p. 50). Ayant eux-mêmes vécu des difficultés d’intégration au nouveau système scolaire et au nouvel environnement socioculturel, ces enseignants comprennent mieux que leurs collègues natifs le parcours de ces élèves, leur contexte familial et les barrières culturelles et linguistiques auxquelles ils font face. Cette proximité avec la réalité des élèves immigrants leur permet d’être plus bienveillants à leur égard, plus équitables et plus aptes à anticiper certains problèmes auxquels ils peuvent faire face et d’agir en conséquence, par exemple en mettant en place des pratiques plus inclusives et mieux adaptées à leur réalité. De plus, la compréhension des autres cultures, langues et systèmes éducatifs permet aux enseignants issus de l’immigration de distinguer les difficultés linguistiques des difficultés d’apprentissage ou de celles liées au manque d’ancrage culturel, ce qui est moins le cas pour les enseignants natifs. Villegas et Irvine (2010) ont également relevé que les enseignants issus de l’immigration ont une compréhension plus approfondie des expériences culturelles des élèves immigrants que les enseignants natifs. Dans le même sens, l’étude de Potvin et al. (2014) a montré que les enseignants natifs éprouvent un sentiment d’incompétence à bien identifier les difficultés de ces élèves, « à adapter les outils d’évaluation ou les pratiques pédagogiques aux réalités de ces jeunes; agir en contexte de diversité (compétences interculturelles et inclusives); à défaire certains préjugés et éviter certains biais » (p. 19). Les résultats d’une étude menée en Belgique (Benyekhlef et Baye, 2025) auprès de jeunes descendants d’immigrés ayant entre 16 et 24 ans corroborent nos résultats. Les jeunes soutiennent que les enseignants issus de l’immigration manifestent des attentes élevées et de la bienveillance à leur égard, en plus de mettre en place des pratiques pédagogiques qui tiennent compte de la diversité des élèves et de leur parcours migratoire.

Par ailleurs, nous avons constaté que les enseignants issus de l’immigration ont une grande sensibilité aux inégalités et à l’iniquité des classements liée aux biais culturels. Cette sensibilité est un atout favorable à l’intégration scolaire des élèves immigrants, car selon Heine (2018), « un enseignant qui perçoit les inégalités et qui adhère au dispositif de lutte contre celles-ci, peut s’avérer un partenaire précieux dans le déploiement des mesures sur le terrain » (p. 183). De surcroît, les enseignants issus de l’immigration ayant participé à notre recherche comprennent la difficulté d’apprendre une langue seconde, ce qui les rend plus patients et attentifs à l’égard des élèves immigrants, mais aussi très critiques envers le pessimisme et l’impatience de certains enseignants natifs au sujet du rythme d’apprentissage de ces élèves. De Koninck et Armand (2012) recommandent justement de « ne pas sous-estimer le temps dont l’élève a besoin pour s’approprier la langue des apprentissages scolaires » (p. 135). En cohérence avec cela, nos participants accordent du temps à ces élèves et font recours à leur langue ou sollicitent leurs pairs de la même origine pour soutenir leur compréhension.

Nos résultats corroborent ceux des études faites en Suisse (Bauer et Akkari, 2016; Broyon, 2016; Changkakoti et Broyon, 2013). Ces études montrent que la contribution des enseignants issus de l’immigration sur le plan pédagogique s’illustre par leur empathie à l’égard des élèves immigrants, leur sensibilité à la prise en compte de la diversité culturelle, leur compréhension des réalités et des défis auxquels font face ces élèves, leur attitude plus compréhensive et tolérante vis-à-vis de ces élèves, leurs perceptions et attentes positives ainsi que leur usage de méthodes pédagogiques mieux adaptées. Néanmoins, ce serait une erreur de croire que tous les enseignants issus de l’immigration maîtrisent forcément les cultures, les besoins de tous les élèves immigrants ainsi que les compétences interculturelles nécessaires pour y répondre efficacement. De la même manière, ce serait une grande méprise de penser que tous les enseignants natifs manquent d’intérêt et de compétences pour mieux intervenir auprès de ces élèves (Niyubahwe, Mukamurera et Jutras, 2019).

En outre, notre recherche montre que les enseignants issus de l’immigration servent de modèle de réussite, d’espoir, de persévérance, d’intégration et d’identité auprès des élèves immigrants, ce qui revient souvent dans les recherches hors Québec (Bauer et Akkari, 2016; Beltron, 2013; Broyon, 2016; Santoro, 2016; Solomon, 1997; Villegas et Irvine, 2010). Pour incarner leur rôle de modèle, ils font référence aux obstacles surmontés pour montrer à ces élèves qu’ils sont la preuve vivante que ce n’est pas la couleur de la peau et l’accent qui vont les empêcher d’aller plus loin. Ils font tout pour favoriser la réussite des élèves, notamment en dédramatisant leurs difficultés, en leur prodiguant des conseils pour réussir et éviter des distractions, mais aussi en les poussant à se fixer des objectifs ambitieux. De plus, ils leur disent qu’être québécois ne signifie pas perdre leur culture d’origine et les encouragent à être de bons citoyens. Cela les aide à « trouver un équilibre entre la culture d’accueil et leur culture d’origine » (McAdrew et Audet, 2021, p. 38), ce qui contribue au développement d’une identité harmonieuse et d’un sentiment d’appartenance à la société d’accueil. Les résultats de l’étude de Benyekhlef et Baye (2025) montrent aussi que les jeunes descendants d’immigrés perçoivent les enseignants issus de l’immigration comme des figures parentales, des modèles d’identité et de réussite sociale.

En conclusion, rappelons qu’aucune autre recherche empirique au Québec n’avait fait mention du point de vue des enseignants issus de l’immigration quant à l’intégration scolaire des élèves immigrants. En ce sens, nos résultats contribuent à l’enrichissement des connaissances. Ils mettent en évidence que les enseignants issus de l’immigration apportent une grande contribution à l’intégration scolaire des élèves immigrants. Toutefois, notre étude étant centrée uniquement sur le point de vue de ces enseignants, il serait pertinent d’interroger les élèves immigrants pour voir s’ils partagent cette perception. Malgré cette limite, pour le bien-être et la réussite de tous les élèves, l’école devrait diversifier le personnel enseignant et encourager, sur une base volontaire, une plus grande implication des enseignants issus de l’immigration dans l’analyse des besoins, des capacités et des difficultés des élèves immigrants. Il demeure que l’intégration scolaire des élèves issus de l’immigration doit être une responsabilité partagée par l’ensemble du personnel enseignant et scolaire. Il est donc nécessaire de développer les compétences interculturelles de tout le personnel pour favoriser l’inclusion scolaire de tous les élèves.